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Sarkozy/Kadhafi: les avocats de Mediapart demandent l'audition de Baghdadi

Trois jours après l’extradition de l’ancien premier ministre libyen, les avocats de Mediapart ont demandé au procureur de la République de Paris, que la justice française procède à son « audition », à Tripoli, sur les soupçons de financements occultes de Nicolas Sarkozy. En Libye, les avocats de Baghdadi n'arrivent plus à le joindre depuis dimanche.

Fabrice Arfi and Karl Laske

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C’est un témoin clé de l’affaire Kadhafi/Sarkozy qui s’est envolé secrètement pour la Libye dimanche. Trois jours après l’extradition en catimini par le gouvernement tunisien de l’ancien premier ministre de la Libye, Baghdadi al-Mahmoudi, les avocats de Mediapart ont officiellement demandé au procureur de la République de Paris que la justice française procède à son « audition », à Tripoli, sur les soupçons de financements occultes de Nicolas Sarkozy par le régime Kadhafi.

« La justice devra agir dans la plus parfaite indépendance et il appartiendra aux autorités de l’Etat d’agir sur le plan diplomatique pour permettre à la justice de faire son travail dans un cadre judiciaire exempt de toute pression de quelque autorité étatique que ce soit », écrivent Mes Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, mercredi 27 juin, dans un courrier adressé au procureur de la République de Paris, François Molins.

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© Reuters

Le 28 avril dernier, Mediapart avait révélé un document officiel libyen faisant état de la promesse d’un versement de 50 millions d’euros à l’occasion de la campagne présidentielle de 2007 de M. Sarkozy (voir ici). D’après cette note datée de décembre 2006, l’opération avait été supervisée par le Comité populaire général, soit le gouvernement libyen, dont M. Baghdadi (photo) était alors le chef.

Après la publication de ces révélations, Nicolas Sarkozy avait déposé plainte contre Mediapart pour « faux », « usage de faux » et « recel », déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris. De son côté, Mediapart a répliqué en poursuivant l’ancien chef de l’Etat français pour « dénonciation calomnieuse ».

Depuis, de nombreux avocats tunisiens de l’ancien chef du gouvernement libyen ont confirmé (ici) que leur client avait évoqué avec eux l’existence d’un financement occulte de M. Sarkozy en 2007. Le 25 octobre 2011, M. Baghdadi avait même affirmé devant la cour d'appel de Tunis avoir « en tant que premier ministre supervisé le dossier du financement de la campagne de Sarkozy depuis Tripoli », comme l’ont rapporté publiquement plusieurs de ses conseils (voir ici).

Emprisonné en Tunisie depuis le mois de septembre 2011, M. Baghdadi a été extradé dans la nuit de samedi à dimanche dernier par le gouvernement tunisien, dirigé par le mouvement islamiste Ennahda, sans en avoir prévenu la présidence de la République, opposée à cette extradition précipitée. De fait, de nombreuses associations de défense des droits de l’homme avaient mis en garde les autorités tunisiennes sur les risques encourus (torture, élimination…) par Baghdadi al-Mahmoudi s’il venait à être livré.

L'« affaire Baghdadi » a provoqué en quelques jours une crise politique sans précédent en Tunisie, allant jusqu'à menacer de faire exploser la coalition tripartite au pouvoir.

« Il craignait d’être torturé et liquidé »

Le 3 mai dernier, les avocats de Mediapart avaient déjà sollicité par courrier le procureur de Paris pour l’alerter des menaces qui pèsent, en Libye, sur l’ancien premier ministre du pays (lire ici). « Nous ignorons complètement si des démarches ont été entreprises par la justice française, et d’abord par vous-même, seule autorité apte à agir, pour qu’il soit notifié aux autorités tunisiennes qu’une commission rogatoire internationale pouvait être lancée aux fins qu’il soit entendu », écrivent aujourd’hui Mes Mignard et Tordjman à l'attention du procureur de Paris.

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© Reuters

Comme l’a déjà raconté Mediapart (ici), l’avocat français de l’ancien premier ministre libyen, Marcel Ceccaldi, avait pris contact deux jours avant l’extradition de son client avec le juge Renaud Van Ruymbeke, en charge de l’affaire Takieddine. Selon Me Ceccaldi, M. Baghdadi « allait être amené à parler des financements des campagnes électorales et des questions d’enrichissement personnel » en marge des relations franco-libyennes.

M. Baghdadi, témoin clé de la lune de miel Sarkozy/Kadhafi entre 2005 et 2011, pourra-t-il être désormais entendu en Libye par un juge français ?

En attendant, le sort de l’ex-chef du gouvernement libyen inquiète son entourage. Contacté par Mediapart, son principal avocat en Tunisie affirme être « sans nouvelles » de son client depuis dimanche. « Je suis très inquiet. Sa famille, des avocats libyens et moi-même avons essayé d’entrer en contact avec lui. Nous n’y parvenons pas, affirme Me Mabrouk Korchid. Les autorités libyennes que j’ai contactées, que ce soit le ministère de la défense, celui de la justice ou de l’intérieur, ne nous donnent aucune information. Ni sur sa détention ni sur son état de santé. Je n’arrive même pas à obtenir le procès-verbal de son extradition ! » s’indigne l’avocat.

Plusieurs ONG, comme la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) ou Amnesty, ont dénoncé ces derniers jours les conditions d’une extradition qui a violé, selon elles, toutes les règles du droit international au regard de l'instabilité institutionnelle de la Libye actuelle.

Depuis dimanche, les proches de Baghdadi se font l'écho d’éventuels mauvais traitements dont l'ancien premier ministre aurait été victime en Libye après son arrivée. Un journal palestinien a même annoncé, mercredi matin, la mort de l’ancien premier ministre. Les autorités libyennes ont démenti une à une ces informations, assurant que Baghdadi al-Mahmoudi était « bien traité » et qu'il aura droit à un procès équitable.

« La dernière fois que je l’ai vu, il y a un mois et demi, il m’a dit qu’il craignait d’être torturé et liquidé s’il était extradé. Je demande aujourd'hui aux autorités libyennes de nous laisser rencontrer M. Baghdadi et de nous montrer une vidéo récente de lui en bonne santé », confie pour sa part Me Korchid.