S'il est une science qui s'est beaucoup préoccupée d'identité, c'est bien l'immunologie, branche de la biologie qui étudie le système immunitaire. Un de ses pionniers, Jean Dausset, décédé l'an passé, la définissait comme «la science de la défense contre le non soi dans le respect du soi». Cette définition pose d'emblée les deux concepts clés.
D'un côté le soi, caractérisé par le motif biochimique unique de protéines du système HLA (Human Leukocyte Antigen) présent à la surface de chaque cellule et qui permet l'identification par le système immunitaire –la découverte de ce système valut à Jean Dausset le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1980. Comme il existe une quinzaine de milliards de combinaisons possibles de protéines HLA, chaque individu est unique. Même deux vrais jumeaux n'ont pas le même système HLA, qui constitue donc un genre de carte d'identité immunologique.
De l'autre le non soi, c'est-à-dire tout ce qui ne présente pas de système HLA à sa surface (bactérie, parasite) ou qui porte un système HLA différent (greffon) et est donc reconnu comme étranger par le système immunitaire.


La théorie du soi et du non soi, formulée en 1949 par l'Australien Macfarlane Burnet, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1960, a clairement eu un immense mérite: celui de permettre l'invention des greffes d'organes. Les premières tentatives, dans les années 1950, se terminaient dramatiquement au bout de quelques jours par le rejet du greffon et la mort du patient. L'essor, dans la décennie suivante, des greffes n'a été possible que grâce à la découverte du système HLA.
Chez l'homme, il comprend douze grandes familles, et de multiples sous-familles constituant autant de groupes tissulaires au sein desquels la réaction de rejet immunitaire est moins forte. Cette découverte a permis les premières transplantations d'organes entre individus non apparentés, comme la description des groupes sanguins avait, dans les années 1920, permis l'essor de la transfusion sanguine.
250.000 personnes vivent aujourd'hui en Europe avec un rein, un foie, un poumon ou un cœur transplanté. On compte chaque année en France quelque 4.500 greffes d'organes. Le chiffre reste insuffisant face à la progression, d'environ 6% par an, du nombre de malades inscrits sur les listes d'attente. Il montre cependant que la greffe est à présent une technique très répandue.
Mais progressivement, à mesure que les greffes se généralisaient, l'appariement HLA s'est avéré être une condition nécessaire, mais nullement suffisante, du succès à long terme de la transplantation. Le rejet aigu du greffon, dans les jours ou les semaines qui suivent l'opération, est aujourd'hui bien maîtrisé par les médicaments, mais le rejet chronique, survenant après plusieurs années, reste un problème. Au bout de quinze ans, la moitié des reins greffés ne sont plus fonctionnels. Pour éviter que leur système immunitaire ne rejette le greffon, les patients doivent prendre de manière permanente un traitement immunosuppresseur lourd, coûteux et susceptible d'entraîner de graves effets secondaires: toxicité rénale, susceptibilité accrue aux infections, accroissement du risque de cancer. La greffe d'organe se généralise, mais ses mécanismes ne sont pas bien compris pour autant. «On ne peut aujourd'hui prédire si le système immunitaire d'un patient tolérera le greffon, ou au contraire développera une réaction d'hypersensibilité conduisant à un rejet chronique. De même, on ne peut pas savoir si un patient greffé peut, ou non, arrêter son traitement immunosuppresseur»,reconnaît Michel Goldman de l'Institut d'immunologie médicale de Charleroi en Belgique.