« La vertu du catch, c'est d'être un spectacle excessif », écrivait Roland Barthes dans ses Mythologies. On est tenté d’en dire autant de la scène médiatique agitée par la dérive droitière des intellectuels. Même goût de l’emphase, mêmes gestes exagérés, même immédiateté de l’effet recherché. Il n’y a pas loin du catch au clash médiatique. Et si le combat est évidemment truqué, chacun le sait et en jouit.
Dans le monde où l’on clashe, tout est simulé. N’y cherchez ni le cœur ni la raison. Ni intrigue ni interprétation. Sur le ring du talk-show, chacun est prié de coller à « l’évidence de son rôle ». Chaque mot, chaque signe est paradoxalement lisible dans sa duplicité. C’est sérieux et c’est une blague. C’est du premier et du second degré. C’est un jeu et c’est un combat. On est là pour convaincre et s’amuser. Le public invité dans l’arène est prié de se manifester. Applaudir une chose et son contraire.

C’est la performance qui compte, pas le sens. La repartie, pas l’argument. Particulièrement bienvenu est le personnage du « salaud », personnage clé de tout combat de catch. Nadine Morano, tout à sa quête de notoriété, s’y est brûlé les ailes. « Le salaud est pris au piège, par un retournement soudain », conclut Roland Barthes.
Pas d’histoire : juste le spectacle surjoué d’un pétainisme cool, autorisé, et même « de-gaullisé ». Un pétainisme non pas « transcendental », comme l’a écrit à juste titre Alain Badiou du sarkozysme, mais recyclé, remastérisé. Et ce recyclage a un prix : la dévoration médiatique de l’intellectuel « Il y a des gens qui croient que le catch est un sport ignoble, écrivait Roland Barthes. Le catch n'est pas un sport, c'est un spectacle. »
Alors pourquoi s’indigner ? On pourrait même s’en amuser, si les médias n’étaient devenus au fil des ans, de transgression en transgression, le lieu du blanchiment des pires préjugés racistes, le paradis fiscal où se recycle l’argent sale du commerce xénophobe, les profits symboliques récoltés dans le périurbain, le tout voyageant sous le pavillon de complaisance de l’identité nationale « made in France » lancée par la firme Sarkozy-Buisson en 2007.
C’est le sens du tohu-bohu orchestré par les talk-shows télévisés autour de la dérive droitière des intellectuels. Trahison ? Hérésie ? L’affaire mérite qu’on s’y arrête, car elle marque une nouvelle étape d’une mue entamée il y a plus de trente ans avec la « Nouvelle Philosophie » et l’invention de l’intellectuel médiatique.
Depuis cette date, la figure de l’intellectuel, née au moment de l’affaire Dreyfus, ne cesse de se décomposer sous les coups de boutoir de la mondialisation et de la troisième révolution industrielle. Un monde nouveau est en train de naître et une fraction de l’intelligentsia française ne semble pas prête à l’accueillir. Ce n’est pas l'intellectuel médiatique qui a changé. C’est le monde. Le voilà désorienté face à des enjeux nouveaux, complexes, pour une part insaisissables. Nouveaux partages du savoir. Nouveau régime du climat. Nouveaux territoires du pouvoir. Autant de sujets que Mediapart explore régulièrement.
- Voir par exemple ici : Bruno Latour : « Sur le climat, nous devons comprendre qui est l'ennemi de qui »
- Ou ici : Posséder la terre: l'enjeu des nouveaux conflits avec le Sud
- Ou ici : Numérique : pour un nouvel âge démocratique
- Ou encore ici : Patrick Boucheron: pourquoi le Moyen Âge nous parle politique
- Et là : Pourquoi Internet doit devenir un « bien commun »
Face à ces nouveaux enjeux, l’intellectuel médiatique est fort dépourvu. Le monde change, et il en est toujours à convoquer les fantômes des années 1930. C’est là que la récente affaire de la « droitisation des intellectuels » nous apporte des informations éclairantes. Au-delà des rivalités éditoriales qui les opposent, les intellectuels médiatiques ont le sens du créneau et savent à l’occasion se répartir le travail. Pour le dire de manière imagée : quand les uns inspirent la politique étrangère de la France, les autres en gèrent les retombées sur la politique intérieure, la crise migratoire, les réfugiés… Les uns au Quai d’Orsay, les autres place Beauvau.
Quand les premiers soutiennent ou inspirent des guerres déstabilisatrices en Irak, en Libye ou en Syrie, les autres se chargent de gérer la crise migratoire générée par ces guerres. Les uns et les autres s'enferment dans le même horizon géographique et historique : la création d’une Europe bastion, hostile aux autres cultures et civilisations.
Les « faiseurs de guerre »
L’intellectuel engagé défendait, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, les luttes d’indépendance contre les empires coloniaux, les peuples agressés par l’impérialisme. Il a cédé la place à l’intellectuel médiatique, rangé aux côtés de ceux qui exercent le pouvoir et non plus de ceux qui le subissent, de ceux qui déclenchent les guerres et non plus des victimes de ces guerres, des vainqueurs et non plus des vaincus.
Quand tout au long du XXe siècle, l’intelligentsia signait manifestes et pétitions contre la guerre, l’intellectuel médiatique est un « va-t’en-guerre ». Depuis le 11 septembre 2001, il ne se contente plus de soutenir les guerres des néoconservateurs (en Afghanistan et en Irak ), il va même jusqu’à exiger des gouvernements hésitants qu’ils s’engagent dans des interventions coûteuses et déstabilisatrices comme l’a fait Bernard-Henri Lévy en Libye – un cas d’école. Marx qualifiait ses épigones français de « faiseurs de nuages ». Les « faiseurs de nuages » sont devenus des « faiseurs de guerre » décomplexés. Voilà la politique étrangère de « l’intellectuel français ». Quant à sa politique intérieure, elle en est l’exact complément.

Nous sommes bien loin d’un Sartre soutenant les ouvriers en grève (français et immigrés) de chez Renault ou d’un Foucault dénonçant les conditions de vie des prisonniers (français et immigrés), ou plus récemment, sous une forme plus collective, du « Parlement international des écrivains » que nous avions fondé à Strasbourg dans les années 1990, créant des villes refuges pour accueillir les écrivains persécutés dans leur pays ou soutenant les sans-papiers contre les lois Pasqua. Voici aujourd'hui qu’un quarteron d’« intellectuels » décide de fustiger les réfugiés chassés de leur pays par les guerres occidentales, prenant le contre-pied du mouvement de solidarité qui s’est exprimé dans toute l’Europe après la mort du petit Aylan sur une plage turque.
Voilà l’intellectuel français (ou ce qu’il en reste) qui s’inquiète de la perte de l’identité française, menacée par les vagues d’immigration, dénonce d’une seule voix non plus le racisme mais l’antiracisme, et prend la défense du « Français de souche » ou du « petit peuple » méprisé au profit des réfugiés.
À première vue, rien de commun entre Michel Houellebecq, Éric Zemmour, Alain Finkielkraut et Michel Onfray, les quatre protagonistes de cette affaire. Le premier est un romancier roué qui a l’habileté de loger la thématique de ses romans au cœur des débats de société (le désarroi du manager, la critique de Mai-68, le tourisme sexuel, l’art contemporain et le déclinisme français, l’islam de France). Le second est un pamphlétaire habitué des radios et des plateaux de télévision, auteur de best-sellers comme Le Suicide français et Mélancolie française qui cultivent la nostalgie d’une France sans étrangers. Alain Finkielkraut est un essayiste décliniste, pourfendeur tout à la fois de l’immigration dénaturante, de l’école disqualifiante et des nouvelles technologies addictives. Quant à Michel Onfray, venu de l’extrême gauche, il est l’auteur à succès d’une Contre-histoire de la philosophie, créateur d’une université populaire à Caen.
Tous les quatre accumulent les unes des journaux et créent la polémique à longueur de talk-shows. Ce n’est pas diminuer leurs mérites que de constater qu’ils doivent leur succès à leur surexposition médiatique. Tous ont en commun une soudaine passion pour le Peuple, l’Identité, la Nation, la Laïcité, qu’ils feignent de découvrir comme si les écailles tombaient de leurs yeux alors qu’ils refont le parcours classique du pamphlétaire, avec ces lieux communs et ces topoï bien repérés par Marc Angenot dans La Parole pamphlétaire (Payot, 1982). On ne saurait trop leur recommander ce livre, car ils y retrouveraient la trame (l’Urmelodie) de toutes leurs interventions : la vision d’un monde crépusculaire, la mélancolie d’un âge d’or perdu, le pouvoir du bon sens, la mort de la littérature, la menace de la modernité, l’anti-France… Une vision du monde, du peuple, de l'école « old school », comme dirait Michel Onfray.
Ils ont gagné la bataille des idées, dit-on, mais de quelles idées parle-t-on, et de quelle bataille ? Partagent-ils, sinon une même idéologie, au moins une quelconque idée ? Rien n’est moins sûr. Et contre quels ennemis ferraillent-ils ? On peine à les apercevoir dans la poussière soulevée par la bataille. Car la bataille fait rage, dit-on, une bataille féroce pour l’« hégémonie culturelle ». Mais contre qui se battent ces vétérans ? Qui les a défiés ? Dans l’arène médiatique, il n’y a qu’eux ! Pas le moindre contradicteur ne leur est opposé, sinon des animateurs de talk-shows qui jouent les « faire-valoir » en leur donnant la réplique. Ils ferraillent contre un ennemi absent, des fantômes, des revenants (Mai-68, SOS Racisme) ou des envahisseurs (l’Étranger, l’Islam, le « Parti de l’Autre »)…
On ne comprend rien à cette volte-face si on ne l’inscrit pas dans l’univers médiatique, qui est régi par d’autres lois que celles de la cohérence ou de la loyauté. Et nos quatre mousquetaires maîtrisent parfaitement les lois de l’économie de l’attention. Quelles sont ces lois ? Les comportements à adopter dans l’univers concurrentiel des chaînes TV sont tous calculés pour avoir, selon les mots de George Steiner, « un impact maximal et une obsolescence instantanée ».
« La trouvaille du marketing »
Impact maximal, car dans un monde saturé d’informations, l’attention devient la plus rare des ressources et seul un message choquant, plus choquant que le précédent, a des chances de capter l’attention des téléspectateurs. Obsolescence instantanée, dans la mesure où, comme le fait observer Zigmunt Baumann, « le lieu d’attention a besoin d’être déblayé dès qu’il est rempli, afin de faire de la place pour les nouveaux messages ». Cette double exigence d’« impact maximal » et d’« obsolescence instantanée » favorise la généralisation de conduites transgressives (ce qu’on pourrait qualifier de « principe de Morano »).
C’est ce que fait Michel Onfray quand il dénonce, en pleine crise des réfugiés, les « messes cathodiques » en faveur des immigrés, qui feraient passer le sort des étrangers avant « le peuple français méprisé », auquel ses élites préféreraient « les marges célébrées par la pensée de Mai-1968 ». Pendant que les « populations étrangères [sont] accueillies devant les caméras du 20 heures, la République fait la sourde oreille à la souffrance des siens ». Et de se faire l’avocat de « ce peuple old school », « notre peuple », « mon peuple », en précisant bien que « c’est à ce peuple que parle Marine Le Pen ». Succès garanti.

La brèche avait été ouverte par Alain Finkielkraut au moment des émeutes dans les banlieues, en 2005, quand, interrogé par le journal israélien Haaretz, le philosophe s'en était pris vivement aux « Noirs », aux « Arabes » et à l'islam, tout en se moquant de l'équipe nationale de football qui serait la risée de l'Europe parce qu’elle est « black-black-black ». Le romancier Michel Houellebecq, mezza voce, ne joue-t-il pas sur la même corde en déclarant que « la religion la plus con c’est quand même l’Islam », au moment de la sortie de son roman, Plateforme?
Quant à Éric Zemmour, le chevalier de l’Apocalypse identitaire, n’étant ni romancier ni philosophe mais polémiste de profession, il est un spécialiste de la transgression où l’ignoble le dispute au ridicule, à l’image de sa déclaration au lendemain du naufrage de plusieurs centaines de personnes à Lampedusa : « Les naufragés de Lampedusa ne sont pas des réfugiés mais des envahisseurs. »
« Après Alain Finkielkraut pleurant en 2014 “l’identité malheureuse” d’une société française disloquée par l’immigration, on se demande, écrivait récemment François Cusset, si la surenchère nauséabonde n’est pas l’ultime recours d’un intellectuel français moribond, dont la seule stratégie de distinction encore viable, serait la dérive droitière décomplexée : jouer la nation exsangue contre la mondialité libérale et ses déplacés sans nombre. »
Paradoxe de ces auteurs conservateurs, ils doivent apparaître, dans l’univers médiatique, comme des rebelles, des insurgés, des briseurs de tabous. Or ils sont à la une des magazines, membres de l’Académie française, couronnés par les plus grands prix littéraires… D’où une contorsion stylistique de plus en plus difficile à tenir et qui se manifeste par le « look célinien » de Houellebecq pour le lancement de Soumission, à la posture de Tartuffe d’un Michel Onfray sur le canapé rouge de Michel Drucker, au « pétainisme de velours » d'Éric Zemmour…
C’est l’ultime épisode d’une mutation de la figure de l’intellectuel. Après l’effacement de l’intellectuel généraliste, à l’image de Jean-Paul Sartre ou d’Albert Camus, au profit de l’intellectuel spécifique, selon Michel Foucault : il n’intervenait que sur des questions relevant de ses domaines de compétence. Le communisme avait nationalisé l'intellectuel. Il l'avait doté de pensions et de privilèges, il l'encadrait dans les unions d'écrivains. Le capitalisme l'a privatisé. Après les intellectuels du parti, les idéologues du show-biz : ils ne cherchent plus la légitimité dans les institutions du savoir mais dans les médias, à l’intérieur du monde « enchanté » médiatico-marchand dont ils sont les créatures.
Analysant l’irruption de la nouvelle philosophie dans le champ intellectuel à la fin des années 1970, Gilles Deleuze s’était bien gardé de discuter le contenu de leurs positions politiques ou idéologiques, leur anticommunisme ou leur alignement sur l’agenda de la politique américaine. Il avait mis à nu la seule idée nouvelle des nouveaux philosophes, ce qu’il appelait « la trouvaille du marketing ». « Il fallait y penser, écrit-il, cette histoire de marketing dans la philosophie, c'est réellement nouveau, c’est une analyse très adaptée du paysage et du marché. »
Deux indices de cette évolution repérée par Gilles Deleuze chez les nouveaux philosophes. D'abord, « ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses ». Hier, c’était la Loi, le Pouvoir, le Goulag. Aujourd’hui, c’est l’Identité, la Nation, l’Étranger, la Race, l’École, la Laïcité, le Peuple… C’est à l’évidence une force dans l’univers médiatique qui s’acharne à réduire les multiplicités, les singularités a contrario de l’effort de pensée qui consiste à former « des concepts à articulation fine, ou très différenciée, pour échapper aux grosses notions dualistes ».
Un véritable carnaval de sorcières
Deuxième indice : la personnalisation de la pensée. Plus le contenu de pensée est faible, plus le « penseur » se dépense, se donne de l'importance par rapport aux énoncés vides. Michel Onfray en a donné un exemple récemment, qui s’est lancé dans une anaphore, à l’instar du désormais célèbre « Moi président » de François Hollande : « Mon athéisme avéré, mon opposition à la peine de mort, ma défense de l’avortement et du mariage homosexuel, mon combat pour l’euthanasie et le clonage thérapeutique, mon refus de jeter tout l’art contemporain à la poubelle, ma défense d’un socialisme libertaire, mon refus de ceux qui, chez elle, relèvent du canal historique du FN, ainsi que mon dédain de toutes les classes politiques… »
Là encore, efficacité garantie dans l’univers des talk-shows, qui sont des machines à personnaliser la pensée et la politique afin de dépolitiser les personnes et de les empêcher de penser.
La télévision peut même prétendre sauver les apparences du débat public, alors qu’elle procède au contraire à la destruction de l’idée même de délibération. Car on ne débat pas à la télévision, pas plus qu’on ne combat dans le monde du catch. C’est un spectacle. L’empire de l’audimat ne connaît pas d’autres règles que la synchronisation des attentions. Il ne s’agit donc pas d’idéologie ni de politique, mais d’économie, une économie souterraine, une économie informelle des pulsions.

L’écrivain russe Viktor Pelevine soulignait il y a vingt ans, dans la revue Autodafé, le paradoxe de l’engagement des intellectuels à l’ère médiatique. « La résistance intellectuelle acquiert dans cette situation, le caractère d’une farce : elle est efficace uniquement si on invite l’intellectuel à l’émission à laquelle il est censé résister. » Nulle part ailleurs qu’en France, cette farce n’a été poussée aussi loin. Elle atteint en cet automne 2015 les proportions d’un véritable carnaval de sorcières, une nuit de Walpurgis, au cours duquel l’intellectuel médiatique brûle ce qu’il a adoré et se soumet à l’air du temps en revêtant les masques de l’Identité malheureuse, de la Nation bafouée, du Peuple méprisé, autant de thèmes préemptés et estampillés par le Front national depuis trente ans.
Cela fait des années maintenant que les médias, avec une persévérance qui confine à l’obsession, sont devenus le théâtre de l’emphase identitaire, la scène sans cesse rejouée de l'inconfort français : identité malheureuse, racisme anti-Blanc, phobie de l’autre s’y donnent à lire sans scrupule ni recul. Et sur cette scène, c’est la même histoire qui est racontée, celle du « petit Blanc » oublié, méprisé, insulté par le « méchant » Maghrébin et sa femme voilée, la masse colorée des Français sans souche qui transgressent les règles du jeu de la laïcité, de la République.
L’objectif est clair : connecter les transformations de la société française à la question de l’immigration. Et pour cela, construire la figure d’un ennemi intérieur, un autre inassimilable, le Musulman, le Rom, l’Étranger, le jeune de banlieue, selon les mêmes méthodes utilisées par les antisémites pour construire la figure du Juif malfaisant. Il s’agit moins de défendre le vrai peuple injustement méprisé, comme le prétend Onfray, que de reconfigurer la société, en traçant une frontière entre les insiders et les outsiders, les Français et les réfugiés, le Citizen et le Denizen…
Ce message, ce sont les médias qui le formatent et le diffusent. Les intellectuels médiatiques n’en sont que les porte-parole. Il n’ont même pas le privilège de l’antériorité. C’est flagrant dans le cas de Michel Onfray, qui ne fait que suivre, à l’instar de politiques, la pente d’une opinion publique formatée par les médias. Ça l’est plus encore d’Éric Zemmour, qui n’appartient pas à la sphère intellectuelle mais à l’univers médiatique des radios et des talk-shows. C’est aussi vrai d’Alain Finkielkraut, qui se confie depuis des années à ce qu’il dénonce et se précipite dans le grand trou noir médiatique qui nourrit et aiguise ses obsessions et ses peurs.
La dérive droitière des intellectuels est la forme que prend leur ralliement à la doxa médiatique, leur soumission à l’air du temps. Ils ne dérivent pas à droite, ils suivent la pente des idées reçues. Ils sont absorbés par le trou noir des médias, cette bouche d’ombre qui avale et dévore toute expérience réelle de création ou de pensée. Ce n’est pas seulement à la dérive droitière d’intellectuels que nous assistons, mais à la dévoration médiatique de toutes les figures publiques de la représentation. Homo politicus. Homo academicus. Homo mediaticus. Toutes les figures publiques y succombent l’une après l’autre : la figure du politique, privée de sa puissance d’agir, celle du journaliste, de son indépendance, celle de l’intellectuel, du magistère de la pensée.
Homme politique sans pouvoir, journaliste embedded et intellectuel sans œuvre : voilà les trois figures de la dévoration médiatique. Déchargées de leur puissance d’agir, ayant perdu toute autonomie, elles fusionnent sous nos yeux pour donner naissance à l’histrion, au polémiste, qui est la forme terminale de l’intellectuel médiatique. Dans un univers où la manipulation des pulsions a pris la place de l’échange des idées et des expériences. C’est la mort de l’intellectuel français de souche.
Il ne manquait qu’un meeting à la Mutualité, sans autre prétexte que la défense de Michel Onfray, pour lui servir d’obsèques nationales. Ce sera chose faite le 20 octobre prochain. Qui s’en plaindra ?