Pour fêter ses un an à l’Elysée, mardi 6 mai, Nicolas Sarkozy est allé dans le Gard désamorcer une bombe. Devant les 300 salariés d’une usine de béton du Pujaut, près d’Avignon, il a parlé retraites. On pourra gloser sur le contraste entre l’éclat de sa victoire, il y a un an, et le peu de faste de cette journée-là. Mais ce serait oublier que le dossier retraites est encore classé sensible par l’Elysée.
Le 22 mai, les syndicats descendront dans la rue pour défendre le régime de retraite par répartition, menacé de ruine à moyen terme. Raisons de leur grogne : le bas niveau des pensions, le pouvoir d’achat en berne des retraités et l’absence de solutions concrètes pour améliorer l’emploi des travailleurs âgés. Alors, devant les ouvriers du Gard, Nicolas Sarkozy a déroulé les promesses. Les retraites seront augmentées de 0,8% en septembre, après une récente hausse de 1,1%. Les salariés «seniors» seront encouragés à cumuler un emploi et une retraite.
Les syndicats seront-ils satisfaits ? Probablement pas. Car selon eux, le rendez-vous retraites de 2008 est déjà manqué. La concertation qui vient de se conclure, a débouché sur des choix timorés. Mesure-phare du gouvernement, le passage aux 41 ans de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein pourrait donner l’impression que le gouvernement a sauvé les régimes de retraite. En réalité, les 41 ans ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Papy boom et vieillissement de la population oblige, les besoins de financement de la branche vieillesse de la Sécurité sociale ne vont cesser d’augmenter : 25 milliards d'euros en 2020, 68,8 milliards en 2050.
« Le rendez-vous des retraites est trop important pour qu’on l’escamote », affirme Bernard Van Craeynest, président de la CGC, la fédération des cadres. Ce n’est en effet pas tous les jours que les partenaires sociaux discutent de l’avenir de nos retraites. La dernière fois, c’était en 2003 : la loi Fillon d’août 2003 avait alors gravé dans le marbre le passage aux 40 ans de cotisation pour tous, salariés du privé comme ceux du public. Cinq ans après, le gouvernement a bien fait quelques propositions nouvelles, comme le transfert d’une partie de l’excédent des cotisations chômage sur les retraites pour renflouer les caisses.
Certes, mais ces transferts, c'est pour quand ? Le texte remis aux syndicats le 28 avril (voir sous l’onglet Prolonger) ne le dit pas. Et en tout état de cause, ce ne sera pas avant 2010 ou 2011, car l'assurance-chômage, si elle est redevenue excédentaire, traîne encore un boulet de 9,5 milliards d’euros de dettes. «Nous n’avons eu que deux rendez-vous», se plaint Jean-Louis Malys. Le M. retraites de la CFDT aurait bien aimé qu’un sujet si crucial soit un peu plus débattu. Les organisations syndicales avaient en effet dans leur besace de nombreuses propositions. Pour vous, Mediapart passe en revue, ces idées qui, pour l’instant, n’ont pas été entendues.
Des sanctions pour décourager les entreprises anti-seniors
Nicolas Sarkozy l’a dit, ce mardi, dans le Gard. Le faible taux d’emploi des seniors (38,1% en France, contre 43, 6% dans le reste de l’Europe) est un «scandale social». En 2003, le gouvernement s’était engagé à s’attaquer à ce sujet, qui empêche raisonnablement tout allongement de la durée de cotisation, et encore plus de la durée légale du travail, tant qu’il n’aura pas trouvé de solution.
Mais les mesures annoncées alors, comme la possibilité de cumuler un emploi et une retraite, ont fait «pschitt». Cinq ans plus tard, les syndicats ont demandé des mesures énergiques. A commencer par la CFDT. Pourtant très pragmatique sur le dossier retraites (elle avait signé la réforme de 2003, une trahison pour les autres syndicats), l’organisation de François Chérèque réclamait une augmentation de 0,5% des cotisations vieillesse des entreprises. Elle n’a, pour l’instant, pas été entendue, explique Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT.
Dans les plans du gouvernement, de telles sanctions ne sont pas prévues avant 2010. Dans le Gard, Nicolas Sarkozy a rappelé la nouvelle règle : des négociations devront être ouvertes dans les branches ou les entreprises sur l’emploi des seniors avant la fin 2009, et ces accords devront comporter des engagements chiffrés. Exit l’idée de bonus-malus avancée au début de l’année par Xavier Bertrand, le ministre du travail. Exit tout ce qui pouvait ressembler à une charge de plus pour les entreprises.
En l’absence de sanctions concrètes dès 2008, que penser des mesures annoncées ce mardi par le président de la République pour inciter les salariés plus âgés à travailler plus longtemps, telles la suppression de la mise à la retraite d’office, la majoration de 5% (contre 3% depuis 2003) de la retraite pour ceux qui ont une retraite à taux plein et veulent reprendre un travail, ou la «taxation» des préretraites que Nicolas Sarkozy a promis «sévère» ? Elles ne permettront sans doute pas, d’un coup de baguette magique, de changer le faible attrait des entreprises françaises pour les seniors. Ni de changer les plus de 50 ans en stakhanovistes.
Les enquêtes de la Caisse d’assurance-vieillesse le prouvent bien : 57% des salariés français de 50-64 ans souhaitent prendre leur retraite le plus vite possible. C’est bien plus qu’aux Pays-Bas, au Danemark ou en Suède, ou le taux d’emploi des seniors est bien supérieur au nôtre.
Et si l'on taxait les stock-options?
Augmenter le niveau des retraites
Ces derniers mois, pour donner du pouvoir d’achat aux retraités, le gouvernement a annoncé quelques coup de pouce, comme la hausse du minimum vieillesse (il devrait être augmenté de 25% sur la durée du quinquennat, a promis à plusieurs reprises François Fillon). Mais s’ils serviront à rattraper l'inflation galopante, ils ne permettront pas d’inverser la logique enclenchée en 1993, avec la réforme Balladur des retraites.
Depuis, le taux de remplacement, c’est-à-dire la différence entre le dernier salaire et la première pension ne cesse de baisser. «Pour un cadre qui a cotisé à taux plein, ce taux n’est que de 43%», affirme Gérard Rivière, spécialiste des retraites à Force Ouvrière. «Si on ne fait rien, tout le monde sera au minimum,vieillesse c’est ça qu’on veut ?, demande à haute voix Bernard Van Craeynest, de la CGC. On ne peut pas tout attendre de l’épargne. Sinon, on aura de plus en plus de gens dans la voiture balai du système collectif et qui vont basculer dans la pauvreté».
Cet appauvrissement des retraités résulte de choix : le calcul, dès 1993, de la retraite des salariés du privé sur les 25 meilleures années (non plus sur les dix dernières) et, depuis la fin des années 1980, l’indexation des retraites sur les prix (non plus sur les salaires) pour le calcul de la retraite. Or, chaque année, l’évolution moyenne des salaires est supérieure à celle des prix… Certains syndicats, comme FO ou la CGT, demandaient un retour à la formule antérieure. Impossible, a répondu le gouvernement, puisque c’est déjà inscrit dans la loi.
Taxer les stock-options, l'intéressement...
Chaque année, des salaires sont versés qui ne sont pas soumis à des cotisations sociales. Intéressement, participation, épargne salariale, mais aussi indemnités de ruptures de contrats, sans oublier les stock-options des dirigeants… autant de «niches sociales» qui ne participent pas au financement de l’assurance-vieillesse.
Selon un rapport publié en septembre 2007 par la Cour des Comptes (voir sous l’onglet Prolonger), ces salaires non exonérés ont représenté 63 milliards d’euros de pertes brutes de recettes pour la Sécurité sociale en 2005. Et les exonérations de charges sociales et patronales sur les heures supplémentaires, votées dans le cadre de la loi Tepa d’août 2007 (pour un résultat médiocre) n’ont fait qu’alourdir la balance de ces salaires fantômes pour la collectivité.
Comme la plupart des syndicats, Bernard van Craeynest de la CGC demande donc que ces revenus soient, eux aussi, taxés. Une nécessité, selon lui, pour maintenir la référence au salaire, qui est le cœur du système par répartition (où les actifs paient pour les retraités). Et garantir aux caisses d’assurance vieillesse un peu d'argent pour plus tard.
En février, le président de la République, en visite dans l’Allier, avait promis des décisions rapides sur le sujet. L’idée, qui suscite une forte résistance de la part du patronat, n’a pas resurgi depuis.
La CGT: « Moins on créé des emplois, plus on paie »
Faire payer les entreprises
C’est le grand tabou de la discussion. «On nous dit qu’il n’y a que trois leviers pour sauver les retraites», s’insurgent la plupart des syndicalistes qui ont participé à la récente concertation avec le gouvernement. Trois moyens d’actions, toujours les mêmes : la baisse des pensions (difficile de faire mieux), la hausse des prélèvements obligatoires (le gouvernement y est opposé) et la durée de cotisation.
Mais toutes les pistes ont-elles vraiment été explorées ? Ce n’est pas l’avis de FO, qui aurait aimé que les bénéfices non réinvestis des entreprises, et d’abord de celles du Cac 40 soient taxés à hauteur de 3%. Quant à Jean-Christophe Le Duigou, numéro deux de la CGT, il propose, lui, une taxe spéciale entreprises «à double modulation» : si leurs cotisations sociales sont jugées insuffisantes par rapport à d’autres secteurs de l’économie et si elles ne créent pas assez d’emplois.
Remplir le bas de laine
Un gigantesque bas de laine, censé renflouer les caisses des régimes de retraites après 2020. Le Fonds de réserve des retraites (FRR) devait à l’origine être abondé régulièrement, notamment à chaque privatisation, à chaque ouverture de capital d’une entreprise privée. A sa création, on avait même parlé de «1000 milliards de francs», soit 152 milliards d’euros.
Le coffre-fort est pour l’instant beaucoup moins bien rempli : seulement 31 milliards d’euros au 31 mars 2008 (sans compter une paume de 3 milliards à la suite de la dégringolade des marchés financiers, comme l’a souligné dans le Club de Mediapart Michèle Iltis, mais qui reste une perte virtuelle).
Et si on changeait tout?
Depuis quelques mois, les partenaires sociaux ont même craint que le FRR ne soit purement et simplement syphonné par le gouvernement, qui n’avait pas caché son intérêt pour ce magot dormant, en ces temps de disette budgétaire. Un appétit aiguisé par la présidence à venir ( dès le 1er juillet) de l’Union européenne, affirme Bernard van Craeynest de la CGC. «On a senti que la France avait peut-être envie de combler quelques déficits pour faire bonne figure auprès de ses collègues européens», dit-il.
Le FRR est-il menacé pour autant ? « Ils n’ont pas intérêt, c’est explosif », prévient-on à la Cnav. Pour assurer la survie du Fonds de réserve, la CGT propose une taxe sur les revenus financiers des entreprises. Une contribution qui, pour être équitable, devrait être au moins égale aux cotisations salariales, soit environ 12% selon Jean-Christophe Le Duigou (il est aussi vice-président du FRR). Impossible à mettre en place ? Lui n’y croit pas : «Si on ne peut plus décider d’un prélèvement sur les entreprises, il faut le dire. Au moins les choses seront plus claires.»
Mettre le système cul par-dessus tête
«Depuis quinze ans, tous les gouvernements ont présenté la question des retraites comme une question de chiffres, analyse Jean-Christophe Le Duigou. Alors on crie plus ou moins fort selon que l’équipe dirigeante est de gauche ou de droite, mais finalement on n’apporte jamais de réponses. » Cette logique comptable, le numéro deux de la CGT la combat. «Il faut tout repenser.» Selon lui, le chemin rectiligne formation-activité-retraite, sur lequel s’est fondée la retraite par répartition a volé en éclats. Et les jeunes qui entrent dans la vie active ont besoin, dit-il, d’avoir à nouveau confiance dans le système de retraites.
« Les jeunes de moins de 30 ans sont deux fois plus nombreux que leurs aînés de 10 ans à souscrire des plans d’épargne.» Jean-Christophe le Duigou, qui a écrit un post sur le sujet dans notre Club propose, par exemple, d’intégrer les périodes de formation et d’apprentissage dans le calcul de la retraite. Bref, de donner un coup de neuf à notre vieux système de retraites en renversant la table. Une voix salutaire, alors que les Cassandre de la retraite n'ont de cesse de prédire la lente agonie du système par répartition, tout en lui imposant des remèdes de cheval.