France Enquête

La Côte d'Azur ne fait plus rêver les salariés

Avec des prix qui ont plus que doublé en sept ans, se loger sur la Côte d'Azur est devenu mission impossible. Dans le secteur public comme dans le privé, beaucoup de salariés renoncent donc à venir travailler dans une région qui faisait autrefois rêver. Les élus tardent à réagir, ignorant les besoins de logements pour "actifs" et favorisant l'immobilier de tourisme. Les entreprises s'alarment et s'organisent. A terme, c'est tout le dynamisme économique de cette région qui est menacé. Lire aussi notre reportage sur la chasse aux logements vides à Nice.

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Ah! la Côte d'Azur... Son soleil, ses festivals, sa mer chaude en été, Isola 2000 en hiver: le rêve de tout salarié. Jadis. Le mythe du gendarme de Saint-Tropez est bel et bien mort. «Quand on fait un appel à candidatures, les collègues continuent de répondre de toute la France. Mais après s'être renseignés sur le prix des logements, ils renoncent: les prix sont inabordables», explique Jean-Yves Mura, chargé de trouver des solutions à La Poste.

En début d'année, une vingtaine d'emplois étaient vacants dans le département sur le seul réseau des bureaux de poste (essentiellement guichetiers et conseillers financiers). Pour inciter à venir dans le département, l'entreprise publique est allée jusqu'à proposer une prime de 5.000 euros. Qui n'a pas suffi: il a fallu ouvrir le recrutement à l'externe. Impensable il y a encore quelques années !

A La Poste, on craint que le phénomène s'amplifie avec les futurs départs à la retraite. Car si dans d'autres départements, une baisse des prix de l'immobilier se dessine, ce n'est pas le cas dans les Alpes-Maritimes. Il y a quelques jours, à Sophia-Antipolis, les deuxièmes assises du logement pour actifs ont dressé un constat implacable: des années d'inertie dans le domaine du logement ont conduit à une situation dangereuse pour l'équilibre économique de la région.

Longtemps, les maires de la côte, soucieux de ne pas se mettre leur population à dos, n'ont pas construit de logements sociaux. Les appels des associations d'aide aux mal-logés s'échouaient dans la Méditerranée. La loi SRU, qui impose 20% de logements sociaux aux communes de plus de 3500 habitants, était ostensiblement ignorée.

Et puis, alertée par les entreprises du département, la chambre du commerce et de l'industrie (CCI) a tiré la sonnette d'alarme. Certains élus ont alors tendu l'oreille. A tel point que lors des Assises tous les acteurs de la région ont évoqué une «prise de conscience». En réalité, la situation reste très préoccupante.

Région touristique, conservatisme local

Dominique Estève, président de la CCI, parle ainsi clairement du manque de logements comme d’«un frein à la construction d’emplois et à l’implantation des entreprises.» Il regrette que «la situation n’évolue pas significativement» et dénonce «un retard colossal». Jean-Marie Carteirac, président de la DDE (Direction départementale de l'équipement) des Alpes-Maritimes, pointe du doigt «certaines communes qui n’ont rien fait depuis six ans» et l’entrée en vigueur de la loi SRU.

Pire: par rapport aux objectifs fixés par cette loi, le déficit s’amplifie. Entre 2002 et 2004, l’écart entre ce qui devait être réalisé et ce qui a été réalisé n’était «que» de 2254 logements. A l’époque les maires justifiaient ce manque par «une nécessaire période de rodage».

Mais entre 2005 et 2007, et bien que des villes comme Cannes, Grasse, Carros ou Valbonne aient fait des efforts, l’écart par rapport aux objectifs est passé à 3272 logements. Alors, prise de conscience, vraiment?

Région touristique, relief accidenté, conservatisme local: le département cumule les handicaps. Et si tout le monde se tourne vers les élus, c’est parce que la solution ne viendra clairement pas du loyer libre (parc privé classique). En 2007, «seulement 1% de la production neuve a été dédiée aux actifs», selon l’ANAH (Agence nationale de l'habitat), qui inscrit dans cette catégorie tout logement dont le prix au mètre carré est inférieur à 3500 euros.

Pour les 99% restants, les prix sont devenus fous. Entre 1983 et 2000, la hausse avait été de 26% sur 17 ans. En seulement 7 ans, entre 2000 et 2007, elle a été de 135% ! En conséquence, 70% des logements neufs sont vendus à des gens extérieurs au département, souvent des habitants d’Europe du Nord.

Les résidences secondaires représentent ainsi 33% des logements du département. Pour autant, «dans la classe politique, personne n’envisage d'intervenir sur ce marché, explique Cathy Herbert, de l’ADIL. Les élus ne veulent surtout pas décourager l’achat. Et de toute façon, les actions vers le parc privé relèvent toujours de l’incitatif, jamais du coercitif. A l’image de la question des logements vacants (voir reportage). Du coup, un propriétaire va préférer louer à prix d’or son appartement pendant le festival de Cannes en meublé», plutôt que de s’«embarrasser» avec un locataire toute l’année.

Au final, dans le département, 28% des habitants ont un taux d’effort (part des revenus consacré au logement après allocations) qui s'élève à plus de 40%, contre 19,5% en France. Et «si longtemps, le marché de l’ancien a pallié le prix du neuf, ce n’est plus le cas aujourd’hui», analysent les agents immobiliers.

Qui servira les riches?

Reste donc le maigre parc social. Qui subit malgré lui les hausses du privé: personne ne veut le quitter. Ainsi, Nice détient le triste record d'immobilité en HLM de toute la France: 2,8% (contre 5,37% à Paris) de rotation. En clair, hormis les pieds devant, personne ne quitte le parc social. «Du coup, et en dépit de l'offre nouvelle, il y a chaque année moins d'opportunités d'intégrer ce parc», explique Philippe Olivieiro, directeur de l'association régionale des organismes HLM.

Pour résoudre la crise, il faudrait construire 5000 logements pour actifs par an dans le département. Or seuls 2000 sont actuellement réalisés. La frilosité n'a pas disparu. «Plutôt que de parler de HLM, les élus parlent de logements pour actifs, raconte Cathy Erbert. Ils pensent que cela fait moins peur.» Et «plutôt que de construire du logement très social, ils construisent des PLS, des logements dits sociaux, certes, mais que ne peut se payer qu'une partie infime de la population», analyse Fathi Bouaroua, de la Fondation Abbé-Pierre à Marseille, qui poursuit: «Des communes comme Beaulieu-sur-Mer, Pégomas ou La Trinité ont fait 100% de PLS. C'est inadmissible.»

Dominique Estrosi, épouse et adjointe au logement du maire de Nice (UMP), explique que sa ville «envisage d'imposer un quota de logements sociaux dans toute nouvelle construction, peut-être de 20%». Elle songe aussi à recourir plus amplement à la préemption (possibilité pour la mairie d'acheter prioritairement un bien lorsque celui-ci est à vendre). Et affirme vouloir plus de densité dans la ville. «Car dans la police, dans l'éducation nationale, les fonctionnaires ne veulent plus venir. Et puis l'hôtellerie, le tourisme ont besoin de travailleurs saisonniers qui puissent se loger.»

Avoir des enfants pose la question une deuxième fois

Beaucoup d'acteurs locaux louent le dynamisme de Dominique Estrosi. Dans son sillage, à Nice, un agent de la mairie admet: «Attirer les riches, c'est bien. A condition qu'on ait encore des salariés pour les servir sur les plages ou au restaurant... »

En réalité, la question se pose pour toutes les couches de la population, y compris les plus aisées. Magali Viano, directrice des ressources humaines à Amadeus, qui emploie 2100 salariés à Sophia-Antipolis dans le domaine du high-tech, reconnaît: «Notre salaire moyen est de 47.000 euros bruts par an. On pourrait croire que cela met à l'abri. Mais non. Et comme le salaire est le même à Toulouse ou à Grenoble, ça complique les choses. 30% de nos offres d'emploi sont refusées en raison du coût du logement.»

Sans compter qu'une fois le contrat d'embauche signé, la question n'est que provisoirement réglée. «On recrute beaucoup de jeunes. Au bout de trois ou cinq ans chez nous, ils ont souvent besoin d'une pièce supplémentaire car ils vont avoir un enfant. Et là, beaucoup sont obligés de déménager vers d'autres régions de France.»

A Team Côte d'Azur, un organisme chargé de la promotion du territoire à l'étranger, on ne veut pas trop noircir le tableau. On explique que «les grandes entreprises étrangères rencontrent en dehors de nos frontières des tarifs tout aussi élevés», que «la proximité avec l'aéroport de Nice (le 2e de France) reste un grand atout», que «la Côte d'azur, en terme d'environnement, ce n'est quand même pas la Part Dieu» (à Lyon). Et que «les emplois continuent d'augmenter sur la zone de Sophia-Antipolis».

Pour autant, son directeur, Philippe Stéfanini, ne nie pas que certaines entreprises préfèrent s'installer ailleurs, comme Expedia (Voyages en ligne), « à Marseille, où le personnel technico-commercial pouvait se loger à moindre coût ».

Les entreprises construisent leurs logements

Du coup, certaines entreprises ont décidé de prendre les choses en main. Georges Dao, président de Cari, une entreprise de construction qui emploie 850 personnes sur le département, s'alarme: «Il est devenu presque impossible de recruter des cadres qui ne sont pas issus de la région. Ceux qui viennent du coin trouvent des solutions de famille, restent chez leurs parents ou se débrouillent comme ils peuvent. Mais la plupart habitent très loin. Or ici, il n'y a pas les infrastructures de transports qu'on peut trouver en Ile-de-France. Il faut donc faire de très longs trajets en voiture, épuisants, et qui coûtent cher.»

Georges Dao a poussé le raisonnement jusqu'au bout: «Les entreprises ont commencé par faire des crèches, des cantines. Moi je suis obligé de pousser plus loin. Je me lance dans la promotion immobilière.» Cari s'est associé avec un promoteur, chargé de trouver des réserves foncières à un prix inférieur à 2800 euros/m2. «Et nous, derrière, on choisit le produit, l'architecture, et on réalise», explique Georges Dao.

En attendant,via le Logiam (collecteur du 1% logement), son entreprise a loué «six appartements tampons qui permettent d'abriter pendant six mois les personnels qui nous rejoignent, le temps qu'ils trouvent un vrai logement. On peut aussi y loger ceux qui viennent pour une mission ponctuelle. Car l'hôtel nous coûtait une fortune.»

A La Poste aussi, on a décidé de bâtir. Une structure, Poste Habitat, dirigée par Jean-Yves Mura, a été spécialement conçue pour construire des logements sociaux pour postiers grâce à l'aide de l'Etat et des collectivités, mais aussi grâce au fonds social de la Poste. Les travaux de construction de Nice Saint-Barthélémy devraient débuter en mars 2009, et déboucher sur 32 logements, dont la moitié sera réservée aux postiers.

"Mieux vaut tard que jamais", sourit Jean-Yves Mura, chargé de préparer quatre autres projets immobiliers du même type.

Le tout en espérant que Bienvenue chez les Ch'tis reste une exception. Et que Kad Mérad, alias Philippe Abrams, directeur d'une agence de La Poste muté dans le Nord alors qu'il aurait aimé continuer à travailler dans le Sud, ne soit pas le précurseur d'un mouvement de grande ampleur.

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