France Enquête

L'UMP en manque de leadership et de débats après un an de Sarkozy

Pendant plus de trois ans, entre 2004 et 2007, l'UMP a vécu dans l'effervescence de la préparation de l'élection présidentielle. Nicolas Sarkozy installé à l'Elysée, le parti majoritaire se retrouve comme orphelin, peine à trouver ses marques et à redéfinir son rôle, étouffé par un président qui veut tout contrôler. En mal de leader, en panne de débats et d'initiatives, l'UMP est-elle redevenue un parti "godillot"? Mediapart a interrogé la base, des cadres locaux qui s'impatientent. Lire également: "le grand malaise des militants un an après l'élection de Sarkozy".

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Après l’euphorie de la campagne présidentielle, de l’intronisation de Nicolas Sarkozy à la tête du parti, en 2004, jusqu’à sa victoire au second tour de la présidentielle, le 6 mai 2007, l’UMP se serait-elle endormie ? C’est l’opinion de certains secrétaires départementaux, qui déplorent «un manque de vie au sein du parti».

Adhérent au RPR puis à l'UMP depuis l'âge de 14 ans, secrétaire départemental de la fédération du Territoire de Belfort depuis 1997 et député depuis 2002, Damien Meslot avoue aujourd'hui être «dubitatif sur la façon dont cette maison est gérée. La machine s’endort depuis la présidentielle, le mouvement de relance et de réorganisation s'éternise, on a vraiment peu d’action. Jusqu’à notre tract de mai sur les réformes accomplies, on n’en avait plus eu depuis des mois ! On n’a même plus de brochure explicative pour les adhérents!».

Pour son homologue de la Meuse, Bertrand Pancher, «l’UMP n’a pas un fonctionnement démocratique. Les militants ne sont pas suffisamment consultés et associés. Il n’y a quasiment plus de conventions thématiques pour faire remonter les réflexions du terrain. Il aurait fallu des réunions, des programmes d’action, la désignation de leaders. Les cadres du parti n’auraient jamais dû laisser faire ça, peut-être que les militants aussi auraient dû le dire».

Damien Meslot renchérit: «Il faut trouver une manière d’associer véritablement les militants, avec des référendums internes, des conventions. On ne peut pas leur demander d’être de simples colleurs d’affiches.»

Secrétaire départementale de l’Eure-et-Loir depuis deux ans et adhérente depuis 1969, Josette Philippe le reconnaît: «C’est parfois frustrant de ne pas être relayé en haut quand on a une bonne idée.» A Paris, Jean-Didier Berthault estime quant à lui qu’«un parti politique, ça sert d’abord à préparer les élections et à accompagner les réformes».
Certains dénoncent à voix basse un manque de démocratie qui commence à l’échelon départemental, avec des secrétaires de fédération bâillonnés. «Ils sont totalement dépendants de Paris, puisque c'est la direction qui les nomme. Et beaucoup sont cooptés, déplore Bertrand Pancher. Ce n’est pas en embrigadant les responsables du parti qu’on va s’en sortir, mais en s’ouvrant. Je rêve d’une convention sur le fonctionnement de notre parti».

«C’est sûr qu’on ne peut pas dire systématiquement ce qu’on veut, concède Josette Philippe (Eure-et-Loir). Ce sont les présidents de fédération qui ont la véritable liberté de parole. Nous, nous sommes un peu les préfets de l’UMP, on donne la ligne à suivre, on n’est pas là pour étaler nos états d’âme. »

Efficacité et fidélité sont donc requises pour ce poste. Un bon secrétaire départemental doit avant tout tenir ses troupes et diffuser la bonne parole dans sa fédération. «Notre rôle est de trouver un point d’équilibre. J’essaye d’être l’ami de tout le monde, ce n’est pas simple !», explique Jacques Lebigre (Essonne).

En mars dernier, à la suite des élections municipales et cantonales, onze secrétaires départementaux ont été remerciés, officiellement parce que jugés «peu performants». Sur cette question, ils sont nombreux à botter en touche parmi les secrétaires de fédération. «Ils ont été remplacés pour des raisons politiques», se contente de répondre Jean-Didier Berthault (Paris).

Les remplacements devraient se poursuivre à l'automne, puisque Patrick Devedjian a décidé d’avancer le renouvellement des instances départementales au mois de novembre (les statuts le prévoyaient en 2009), afin de «créer de la compétition», a-t-il précisé lors de la réunion avec les secrétaires départementaux, le 17 mai. «Ceux qui sont candidats vont se sentir stimulés pour faire des adhésions afin d'être soutenus. (…) Ça fait des campagnes d'adhésion et ça fait repartir la machine», a-t-il expliqué.

Egalement député, Bertrand Pancher (Meuse), pointe du doigt une absence d’équilibre des pouvoirs qui ne cesse d’être dénoncée par les parlementaires: «Je n’ai pas le sentiment que le Parlement fait contre-poids – il n’y a pas de rencontres régulières avec les parlementaires –, ni l’UMP. L’élection du président de la République au suffrage universel implique une majorité sans véritable équilibre des pouvoirs. Ce n’est pas rendre service à notre gouvernement que de fonctionner comme ça.»

"Le patron, c'est Sarkozy": et c'est le problème

Mais le secrétaire départemental des Pyrénées-Atlantiques, Jean Gougy, l'assure: l’UMP est en train de retrouver le rôle actif qui était le sien pendant la présidentielle. «Depuis deux mois, on relance la méthode Sarkozy [mise en veille] depuis novembre, à cause de la préparation des municipales et des cantonales.»

Pour Thierry Lazaro, secrétaire départemental et député du Nord, on ne peut de toute façon pas «comparer l’UMP d’avant et d’après les élections, il y a eu un changement. Le patron, c’est Nicolas Sarkozy, faut pas se voiler la face !». Et c’est tout le problème, selon certains.

«L’erreur a été de faire contrôler totalement le parti par Sarkozy après son départ, analyse Bertrand Pancher (Meuse). La direction de l’UMP est trop dépendante de l’Elysée. Je comprends que le président veuille tout contrôler, aller vite et donc mettre en place des personnalités qu’il contrôle à tous les niveaux. Mais c’est important d’avoir des espaces de respiration. D’autant que, pour faire passer des réformes compliquées, on a besoin de forces qui font remonter les idées et les demandes de la base.»
Pour Damien Meslot (Territoire de Belfort), «le parti est orphelin depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. L’organigramme est compliqué, on n’a pas de vrai leader et à force de vouloir faire plaisir à tout le monde ou ne déplaire à personne, on ne prend aucune décision». Bertrand Pancher acquiesce : «On n’a pas l’impression d’avoir de vrais leaders dans les instances dirigeantes. Patrick Devedjian a de bonnes initiatives et des positions courageuses, comme sur les 35 heures, mais elles ne sont pas audibles car il est seul et n’a pas le charisme nécessaire pour entraîner le parti. »

Pour lui, le véritable problème n’est pas le secrétaire général – «son départ ne changerait rien» –, mais le manque de légitimité et d’unité de la direction. Ce n’est pas l’avis de Thierry Lazaro (Nord), qui évoque un secrétaire général «impopulaire» qui n’a pas su tenir ses troupes. «On attend d’un secrétaire général d’avoir une ligne clairement définie», explique-t-il.

Peu visible et isolé, Patrick Devedjian met du temps à se faire accepter comme véritable leader au sein des fédérations. «On parle assez peu de lui, il n’est pas encore venu sur le terrain, et chez nous les militants aiment bien voir directement les gens», explique Josette Philippe (Eure-et-Loir).
En mal de leader clair et en baisse de régime, l’UMP serait-elle redevenue un parti "godillot" comme sous de Gaulle? «Le parti majoritaire a longtemps été un parti croupion au début de la Ve République parce qu’on avait besoin d’un exécutif fort et que le niveau culturel de la population était moins élevé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, le président doit en tenir compte», estime Bertrand Pancher.

«Nous sommes en amont du gouvernement, on n’est plus des suivistes. Nous avons un mode plus ouvert, plus participatif», affirme au contraire Jacques Lebigre (Essonne). En témoignent, selon lui, «les débats continuels dans [sa] fédération entre les fortes personnalités que sont Serge Dassault, le villepiniste Georges Tron, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. Ce n’est pas interdit d’être en désaccord avec Nicolas Sarkozy ! Il y a une extraordinaire diversité à l’UMP, certains, comme Nathalie Kosciusko-Morizet, soutiennent par exemple Obama, alors que d’autres sont pour Mc Cain».

Pour Philippe Rouault, président de la fédération d’Ille-et-Vilaine depuis six ans, «il faut trouver un équilibre entre le soutien à notre gouvernement et la volonté d’être aux avant-postes sur les problèmes de société».

Sénateur et secrétaire départemental de l’Hérault, Raymond Couderc «comprend que Nicolas Sarkozy n’ait pas souhaité qu’il y ait un président pour éviter les contradictions», tout en reconnaissant qu’il faut «une identification plus forte à l’UMP et des circuits de décision plus souples pour les cadres».

Vers des courants et une réorganisation du parti?

Manque de démocratie, problème de leadership. Pour certains, le redressement de l’UMP passe par la désignation d’un président, voire l’organisation de courants. Ils sont nombreux, parmi les secrétaires départementaux, à réclamer un véritable leader pour leur parti.

«Je préférerais qu’il y ait un président, ou un président délégué, car la direction actuelle est vieillissante et pas efficace», confie Jean-Didier Berthault (Paris). Du bout des lèvres, son homologue du Loiret, Marc Andrieu, le reconnaît: «Ça manque un peu de directive et de cohérence à l’UMP. J’aurais voulu avoir un président.»

D’autres, comme Thierry Lazaro (Nord), soutiennent le mode collégial actuel, «qui convient car chacun n’a pas individuellement les qualités requises [pour être un bon leader]». «On a fait le choix de ne pas remplacer Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP pour ne pas lancer un rival alors qu’il est candidat à sa propre succession, explique Jacques Lebigre (Essonne). Notre leader est dehors, tant qu’il sera président, il n’y aura pas de refonte drastique du mouvement. On conservera une direction collégiale et des alliés, comme "Debout la République", le CNI (Centre national des indépendants et paysans), les libéraux d'Hervé Novelli.»

Pour l’ex-UDF Bertrand Pancher, faire de l'UMP un parti moteur passe surtout par l’organisation de courants et le renouvellement des dirigeants. «On ne retrouve pas la diversité du parti à sa tête. Moi, par exemple, je suis centriste euro-libéral et je ne me retrouve pas dans les prises de position de l’UMP. Les courants sont visibles dans les statuts, mais ils n’existent pas concrètement car les principaux leaders de la droite ont des responsabilités dans le gouvernement et ne veulent pas contrarier la politique menée.»

Un cumul des casquettes qui n’est pas judicieux, selon lui. «On a besoin de personnalités de ce type, mais ils ne peuvent pas être les uniques responsables de l’UMP.» Ce à quoi les actuels dirigeants rétorquent souvent: «Prenez des responsabilités !» «C’est à eux de provoquer cette réorganisation, estime Bertrand Pancher. Car aujourd’hui, comment ces personnalités peuvent-elles s’exprimer ? Combien ont-elles de troupes derrière elles ? Si on n’ouvre pas l’UMP, on va voir se multiplier le mécontentement, les divergences, les départs. Ce sont des appels au changement du fonctionnement interne.»

Cette revendication trouve moins d’écho dans les rangs des secrétaires départementaux issus de l'ancien RPR. Leur argument? Pas question de reproduire le fiasco du Parti socialiste, qui s'embourbe dans ses courants. Inutile aussi de dépenser une fortune pour matérialiser une diversité qui existe déjà, selon eux.

En avril, l'UMP, endettée, avait d'ailleurs annoncé une réduction des subventions accordées à ses partis et clubs associés. «S’il s’agit juste de courants d’idées, oui. Si c’est pour avoir des moyens financiers, négocier des postes, non, dans ce cas on est une confédération», affirme Jean-Didier Berthault (Paris). «Je suis contre les courants, ça sert juste à payer des restos ! On peut exprimer ses idées autrement. Il ne faut pas faire de l’UMP un parti de notables», prévient Damien Meslot (Territoire de Belfort).

En attendant une réorganisation éventuelle de l'UMP, un nouveau dirigeant a su se faire sa place. Promu secrétaire général adjoint par Nicolas Sarkozy en mars pour encadrer Patrick Devedjian, le populaire ministre du travail Xavier Bertrand séduit aussi la base du parti.

«Son arrivée est une bonne chose, on sent un début de frémissement, il a l'air de vouloir faire bouger les choses», s'enthousiasme Damien Meslot. Et le ministre du travail entend bien conquérir un à un les départements. Chaque vendredi, il se rend dans l'une des cent fédérations de l'UMP. «Il est venu à Arras l'autre jour, on a réuni 500 personnes!» se félicite Thierry Lazaro. De quoi inquiéter l'actuel secrétaire général.

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