Etendre la déchéance de nationalité

François Hollande veut étendre la déchéance de nationalité – jusqu’ici réservée aux naturalisés français ayant une autre nationalité – aux terroristes nés français. Il entend aussi interdire aux djihadistes ayant une double nationalité de revenir sur notre territoire, en contradiction avec la CEDH.

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Trois jours après les attentats du 13 novembre 2015, François Hollande a annoncé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles deux mesures ciblant expressément les djihadistes français, ayant une deuxième nationalité : déchéance de nationalité pour ceux déjà condamnés et interdiction de retour sur le territoire pour ceux à l’étranger. Le président de la République reprend là des marqueurs idéologiques de la droite et de l’extrême droite dont l’efficacité pour lutter contre le terrorisme reste à prouver.

François Hollande veut qu’il soit désormais possible « d'interdire à un binational de revenir sur notre territoire, s'il représente un risque terroriste, sauf à ce qu'il se soumette, comme le font nos amis britanniques, à un dispositif de contrôle draconien ». Il reprend une proposition de Nicolas Sarkoy (Les Républicains) effectuée en janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher. À l’époque, le ministre de l’intérieur (PS) Bernard Cazeneuve s’était opposé à cette mesure, avec une excellente raison. Comme le ministre l’expliquait à Nicolas Sarkozy dans un courrier en date du 17 janvier, « s’agissant des Français » la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme stipule que « nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant ».

« Sauf à prendre le risque de se trouver sanctionné par la Cour européenne des droits de l'homme, cet article s'oppose donc à ce que le retour en France de ressortissants français soit interdit, qu'ils aient ou non une autre nationalité », écrivait alors Bernard Cazeneuve. Ce que nous confirme aujourd’hui Serge Slama, maître de conférences en droit public à Paris Ouest Nanterre. « Interdire de retour les binationaux est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et c’est normal car il s’agirait d’un bannissement », affirme le juriste.

Deuxième mesure visant les personnes ayant une double nationalité : François Hollande veut étendre la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour terrorisme ou atteinte aux intérêts de la nation aux personnes nées en France. « Nous devons pouvoir déchoir de la nationalité française un individu condamné pour atteinte aux intérêts de la nation ou pour acte terroriste, même s’il est né français, dès lors qu’il a une autre nationalité », a affirmé le président de la République. 

Aujourd’hui, l’article 25 du code civil prévoit que seules les personnes ayant acquis la nationalité française puissent en être déchues. Et encore faut-il qu’elles disposent d’une autre nationalité afin que cette décision ne fasse pas d’elles des apatrides – la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 l'interdit.

Le code civil liste quatre motifs  :
– une condamnation pour un « crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ou pour « terrorisme » ;
– une condamnation pour un « crime ou délit prévu au chapitre 2 du titre III du livre IV du Code pénal » (espionnage, haute trahison militaire, etc.) ;
– s’être soustrait « aux obligations résultant pour lui du Code du service national » ;
– s'être « livré au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».

« L’étendre aux personnes nées françaises remet en cause le droit du sol, estime Serge Slama. On peut comprendre que quelqu’un admis dans la nation et qui a commis des actes graves soit éventuellement privé de la nationalité française, mais un gamin né en France, socialisé en France, au prétexte qu’il a une autre nationalité ? »

Plusieurs juristes soulignent en outre que cette mesure risque de ne concerner que très peu de personnes. « Il faudra qu’il s’agisse d’enfants français par le droit du sol, c’est-à-dire né sur le territoire français de parents étrangers et justifiant avant 13 ans de cinq ans de résidence continue, et qui auraient ensuite fait des démarches à l’égard du pays de leurs parents pour en acquérir la nationalité », explique Me Nurettin Meseci. Serge Slama avance une autre hypothèse : « Il peut aussi s’agir d’enfants français par le droit du sol qui acquièrent parfois automatiquement sans presque le savoir la nationalité algérienne ou marocaine par leur père. »

Le risque est également de créer de nouveaux cas insolubles de personnes assignées ad vitam aeternam à résidence en France, car déchues de leur nationalité mais inexpulsables en raison d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme.

En 2009, la Cour européenne avait ainsi interdit l’expulsion vers l’Algérie de Kamel Daoudi, condamné pour terrorisme en 2005 et déchu de sa nationalité dans la foulée. L’Algérien est depuis assigné à résidence en France, une situation administrative « kafkaïenne » qu’il avait décrite dans cet article de Rue89. Selon Libération, six autres personnes, condamnées pour terrorisme, non expulsables et régulièrement déplacées afin d’empêcher la reconstitution de réseaux, se trouvaient dans la même situation en 2015. L'un d'eux, un ancien du Groupe islamique armé (GIA), a été condamné le 28 juillet 2015 à quatre mois de prison pour avoir enfreint cette assignation à résidence qu'il ne supportait plus.

Six déchéances pour terrorisme depuis 2014

Les cas de déchéance de nationalité, dans la configuration actuelle, sont rares. Selon les chiffres du ministère de l'intérieur, 26 déchéances de nationalité ont été prononcées – toutes pour terrorisme – depuis 1990. Mais elles se sont récemment accélérées : alors que la dernière remontait à 2006, Bernard Cazeneuve a signé six décrets en ce sens à lui seul depuis son arrivée place Beauvau.

Le 28 mai 2014, le ministre socialiste a déchu de sa nationalité le Franco-Marocain Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi, condamné en mars 2013 à sept ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». À sa sortie du centre de détention de Réau (Seine-et-Marne) le 22 septembre 2015, Ahmed Sahnouni a été directement placé dans un fourgon de police et expulsé vers Casablanca (Maroc). Et ce en dépit d’une injonction expresse de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Selon son avocat français, Me Nurettin Meseci, Ahmed Sahnouni serait désormais détenu « à la prison de haute sécurité de Salé, près de Rabat » au Maroc où il risque d’être jugé une seconde fois pour les mêmes faits.

« À son arrivée, il a disparu pendant une semaine, puis ses proches l’ont retrouvé au commissariat de Casablanca et le 2 octobre il aurait été présenté à un magistrat et placé en détention, mais mon confrère marocain a beaucoup de mal à entrer en contact avec lui », explique Me Nurettin Meseci. L'avocat dit n'avoir aucune information sur ses conditions de détention. En janvier 2015, le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution cette déchéance de nationalité française au motif que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ».

Le 7 octobre 2015, ce sont quatre Franco-Marocains et un Franco-Turc, âgés de 38 à 41 ans, qui ont perdu leur nationalité française. Ils avaient été condamnés en 2007 à des peines comprises entre 6 et 8 ans de prison par le tribunal correctionnel de Paris pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » pour les attentats de Casablanca (Maroc) du 16 mai 2003, qui avaient fait 45 morts, dont trois Français. Revendiqués par Al-Qaïda, ces attentats étaient coordonnés avec le Groupe islamique combattant marocain (GICM). Les cinq hommes, amis d’enfance ayant grandi dans les Yvelines, ont été libérés entre 2009 et 2010, ayant purgé leur peine. Leurs avocats Me William Bourdon et Me Jean-Pierre Spitzer ont déposé deux recours devant le Conseil d'État, dont l'un en référé-suspension pour éviter qu'ils ne soient expulsés avant l'examen au fond de leurs recours en excès de pouvoir. Le Conseil d’État doit justement examiner ce référé-suspension ce mercredi 18 novembre 2015.

L’extension de la déchéance de nationalité revient régulièrement dans le débat depuis 2010, d'habitude portée par la droite et l’extrême droite. Après la tuerie au Musée juif de Bruxelles en mai 2014, Marine Le Pen avait ainsi exhumé le débat. Sur France Info, le 2 juin 2014, la numéro un du FN s’était dite « prête à parier » que Mehdi Nemmouche, l’auteur présumé des faits, était binational et avait plaidé en faveur d’une révision du code civil.

À l’été 2010, lors d’un discours resté dans les annales prononcé à Grenoble (Isère), Nicolas Sarkozy (Les Républicains) avait lui ciblé les « délinquants d’origine étrangère ». Il avait annoncé son intention d’étendre les cas de déchéance de la nationalité « à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique ». En mars 2011, le gouvernement et les députés UMP avaient finalement renoncé à étendre la déchéance de nationalité aux personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de dix ans et s’étant rendues coupables de crimes à l’encontre de représentants de l’autorité publique.

Enfin en avril 2010, Brice Hortefeux, alors ministre de l’intérieur, avait écrit à son collègue chargé de l’immigration et de l’identité nationale, Éric Besson, pour lui demander d’étudier la possibilité de déchoir de sa nationalité le conjoint d’une femme verbalisée pour port de niqab au volant de sa voiture, au motif qu’il était suspecté de polygamie et de fraude aux aides sociales. L’ex-transfuge socialiste Éric Besson n’avait pu le satisfaire, envisageant une « adaptation législative », sans donner suite.

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