Russie, Venezuela, Chine, Cuba… Voilà les noms de pays qui reviennent sous la plume et dans la bouche des personnes les plus critiques des positionnements internationaux de Jean-Luc Mélenchon. À ce dernier, il est régulièrement reproché une complaisance envers les autocrates et un manque d’égard pour les libertés politiques des peuples vivant sous leur joug. Généralement, l’intéressé réplique en pointant les contradictions de ses contempteurs et en arguant de la préservation de la paix comme objectif supérieur.
À gauche, les Verts et les socialistes invoquent volontiers ces enjeux pour justifier à quel point l’entente est difficile, voire impossible avec le leader Insoumis. « Je ne partage absolument pas sa position sur les relations internationales », a déclaré Anne Hidalgo le 13 janvier dernier sur France Inter, à propos de la crise ukrainienne.
Un sujet primordial
Douze jours plus tard au même micro, Yannick Jadot clamait : « Quand je défends la démocratie en France, je la défends aussi en Russie, en Chine, en Amérique du Sud. Moi, je n’ai pas d’hésitations sur le génocide des Ouïghours. » Interrogé par Libération, sur la place qu’il pourrait attribuer à Mélenchon en cas de victoire, il a répondu en riant : « pas au Quai d’Orsay ». Jeudi dernier dans l’émission « Élysée 2022 » sur France 2, il a usé de la même ligne d’attaque.
Tout désaccord en la matière ne peut être considéré comme anecdotique. La politique étrangère est en effet considérée par Jean-Luc Mélenchon comme un sujet primordial, sur lequel il ne dispose pas d’autre porte-parole que lui-même.
En octobre 2021, il a ainsi proposé un débat public sur ce thème au chef de l’État. Évoquant dans sa lettre ouverte quelques-uns de ses désaccords avec les choix du chef de l’État, il ajoutait qu’il lui « coût[ait] de voir ces questions si capitales pour l’avenir de notre peuple le plus souvent confinées dans des cénacles d’experts ». Un mois auparavant, à la suite du revers français dans l’affaire des sous-marins australiens, il était l’un des rares responsables politiques à proposer par écrit sa propre vision de la place de la France dans la zone indo-pacifique, dans une tribune à L’Opinion.

Preuve de cette attention portée aux enjeux diplomatiques et stratégiques, aucune autre force politique n’offre de doctrine et de propositions aussi détaillées à leur propos. Une section entière et trois chapitres du programme « L’Avenir en commun » leur sont consacrés, de même qu’un livret thématique d’une vingtaine de pages, venant préciser le projet d’une « diplomatie indépendante et altermondialiste ».
Il faut y voir la préoccupation d’apparaître prêts à gouverner, mais aussi la quête d’une cohérence intellectuelle. La bifurcation écologique et sociale sur le plan intérieur est pensée en écho des « révolutions citoyennes qui ont marqué la décennie écoulée ». Elle implique, aux yeux des Insoumis, de porter « des alternatives au néolibéralisme » au plan extérieur, et donc de défaire les alignements internationaux de la France qui feraient système avec ce paradigme économique.
De ce point de vue, les polémiques sur le Venezuela et Cuba ne permettent pas de saisir la logique d’ensemble du projet insoumis. Ces régimes, qui ont effectivement viré autoritaires après avoir prétendu mettre en œuvre le socialisme, sont souvent invoqués dans l’objectif de décrédibiliser les responsables politiques prétendant à une transformation sociale. Les dénoncer sur commande représente pour Mélenchon une concession insupportable à la bienséance médiatique et à ses adversaires politiques – raison pour laquelle il s’y refuse.
Réalisme cru et idéalisme prononcé
On peut douter de l’efficacité de cet évitement. On peut également relever que d’autres personnalités issues de la gauche alternative, telles que la représentante états-unienne Alexandria Ocasio-Cortez ou le président chilien Gabriel Boric, parviennent à trouver le ton juste sans se renier. À l’été 2021, l’une et l’autre ont exprimé leur solidarité avec les manifestants cubains tout en dénonçant l’embargo américain.
Il reste que réduire la critique du programme insoumis à la question des deux États caribéens, dont l’influence sur l’ordre international est marginale, passe à côté des vrais enjeux. Le rapport de Jean-Luc Mélenchon aux grandes puissances s’avère bien plus crucial, de même que la question de savoir si la France a réellement les moyens du non-alignement que ce dernier promeut avec vigueur.
En explorant l’entièreté de la doctrine insoumise et de ses justifications, on s’aperçoit qu’elle fusionne un réalisme cru, qui se traduit notamment par une posture compréhensive à l’égard des intérêts sécuritaires de pays comme la Russie et la Chine, et un idéalisme prononcé, ambitionnant la mise en place de biens communs planétaires par le biais d’un concert des nations égalitaire, débarrassé de toute tutelle hégémonique.
Le lien entre les deux est opéré par une vision de la France qui reprend certains éléments de stratégie gaullienne de la « grandeur ». Jean-Luc Mélenchon insiste beaucoup sur la singularité du rang et de la voix de la France, qui pourrait contribuer à « ordonner le monde » selon des aspirations universalistes, et appuyer des revendications que l’on aurait autrefois qualifiées de « tiers-mondistes ». Il s’agit cependant d’une version radicalisée des choix faits en son temps par De Gaulle : celui-ci n’a jamais rompu avec le camp atlantique, ni n’avait un rapport autant critique au mode de production en vigueur.
Le « non-alignement » à des fins altermondialistes
La dimension du programme qui fait moins l’objet de polémiques est la nature « altermondialiste » de la diplomatie voulue par les Insoumis. Le terme n’est ni innocent ni évident. Comme nous le rappelle Christophe Ventura, ancien membre du Parti de gauche et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), le mouvement altermondialiste « s’est écharpé sur l’idée même de penser l’État ». Et « hormis quelques gouvernements progressistes d’Amérique latine », le même confirme que des puissances adhérant à cette culture politique manquent cruellement sur la scène internationale.
« Parler d’altermondialisme, c’est indiquer que nous souhaitons redéployer l’action internationale de la France sur des thématiques qui correspondent à ce que cette galaxie a mis à l’agenda au tournant des années 1990 et 2000, explique à Mediapart Arnaud Le Gall, coresponsable du livret international de la France insoumise. Nous voulons nous investir au sein de l’ONU, qui est à renforcer et démocratiser. Nous défendons également une conception des biens communs antagoniste à celle des libéraux. Là où ils affirment que le marché peut y pourvoir, nous proposons de les sortir de la sphère marchande. Cette vision est déclinable depuis l’eau jusqu’aux grands fonds marins, en passant par les forêts ou les brevets sur les vaccins. »

Dans le programme, figure également une batterie de propositions pour renverser les dépendances qui entravent la souveraineté des peuples. La restructuration voire l’annulation de certaines dettes publiques est défendue, de même que la perspective d’une monnaie mondiale pour en finir avec la suprématie du dollar. Dans un esprit identique, est affirmée la volonté plus modeste que « les pays africains des zones CFA » deviennent réellement « les seuls maîtres » de leur monnaie. De manière générale, les Insoumis promeuvent des coopérations internationales pragmatiques, du « petit bassin méditerranéen » aux Outre-mers dans leurs régions respectives.
Si la France veut être crédible sur cette orientation, pensent Mélenchon et ses partisans, elle doit toutefois assurer et signifier son indépendance. « En sortant du carcan atlantiste, la France ne sera pas isolée mais non-alignée », est-il écrit dans le livret international. « On pense que la France n’a pas vocation à s’inscrire dans un bloc occidental, traversé de conflits d’intérêts et de valeurs. Cela nous permettrait par ailleurs d’être en cohérence avec la géographie de notre pays, dont la plus grande frontière est partagée avec… le Brésil », nous précise Arnaud Le Gall.
La France insoumise en tire des conséquences majeures, qui signifieraient une rupture avec plusieurs décennies de politique extérieure du pays. La principale d’entre elles serait le refus de « toute alliance militaire permanente ». C’est pourquoi une sortie progressive mais complète de l’Otan est annoncée (là où d’autres ne défendent qu’une sortie du commandement militaire intégré, et pas de l’Alliance elle-même). De manière cohérente, dans « L’Avenir en commun », il est précisé que « la France peut et doit se défendre elle-même ».
Controverses sur le coût de l’indépendance
Cette dernière affirmation suscite cependant le scepticisme de plusieurs spécialistes des questions internationales ayant répondu à Mediapart dans le cadre de cette série.
Pour commencer, l’argument de la dissuasion nucléaire ne répondrait pas à toutes les inquiétudes. « Jouer le jeu de la dissuasion, prévient Benoît Pélopidas, auteur de Repenser les choix nucléaires (Presses de Sciences Po, 2022), c’est aussi accepter d’être vulnérables. Le jour où notre ennemi le plus hostile décidera de nous causer des dommages inacceptables, de grandes souffrances en résulteront, sans parler du risque d’explosion accidentelle. » Le même reconnaît néanmoins à Jean-Luc Mélenchon et au député insoumis Bastien Lachaud, qui s’interrogent sur les moyens alternatifs à la dissuasion, le mérite de provoquer un débat sur « la possibilité du changement technologique majeur ».
Quand bien même on ferait confiance à la dissuasion nucléaire, celle-ci « n’est utile que pour éviter un conflit de haute intensité, remarque Alice Pannier de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle l’est beaucoup moins contre des attaques “dans le bas du spectre”, comme les cyberattaques de plus en plus fréquentes ». Or sur des sujets tels que la sécurité environnementale ou le terrorisme, « la coopération ne peut pas être superficielle », estime le professeur à Sciences Po Thierry Balzacq. La recherche d’une autonomie totale peut être contradictoire avec la nécessité de partager des bases de données pouvant concerner les nationaux d’autres États.
Si l’on se place maintenant dans des scénarios noirs de conflits armés qui ne dégénéreraient tout de même pas en escalade nucléaire, se défendre sans l’OTAN ni aide bilatérale pourrait nécessiter des coûts exorbitants en termes de remise à niveau militaire. « Imaginons que nous devions faire face à une prise de contrôle hostile de la Nouvelle-Calédonie par la Chine. Avec nos deux frégates sur place, ce serait très vite fini en notre défaveur. En Méditerranée, des combats avec les forces algériennes ou turques, qui se sont dotées de fortes capacités, pourraient nous faire beaucoup de mal », affirme Olivier Schmitt, professeur à l’université du Danemark du Sud.
« En cas de conflit majeur, abonde Antoine Bondaz de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), la France aurait aujourd’hui besoin des États-Unis. Cela a été le cas pour les opérations au Mali et en Libye, et ce serait pareil pour protéger nos territoires en Océanie. Sur le plan capacitaire, une partie de nos équipements proviennent des États-Unis car si nous devions les produire nous-mêmes, nous n’en fabriquerions pas beaucoup et cela nous coûterait énormément d’argent. » Pour se débrouiller de manière totalement autonome, estime le chercheur, « il faudrait dépenser des dizaines de milliards d’euros supplémentaires en armement ».

Arnaud Le Gall soutient de son côté que le coût ne serait pas si dantesque – ou du moins que « c’est un chantier qui s’organise ». D’abord, il serait partiellement compensé par la réduction des opérations extérieures, qui grèvent le budget et participent selon les Insoumis d’une dérive impérialiste de la politique française.
Invoquant l’expertise de la CGT-Défense, le coresponsable du livret international entend ensuite « revoir le format de l’industrie d’armement, en trouvant un compromis entre rusticité et haute technologie et en planifiant un usage mixte des chaînes de production », qui ne soit pas uniquement militaire. L’objectif, dont la crédibilité reste à démontrer davantage, consiste à construire « une industrie de taille critique » sans avoir besoin d’exporter en masse, y compris à des régimes peu recommandables.
Une focalisation sur la dangerosité des États-Unis
Au-delà de la faisabilité, se pose la question du caractère souhaitable de la rupture du lien transatlantique dans sa forme actuelle. Il s’agirait d’une orientation contraire à de nombreux choix stratégiques passés, mais aussi à une sociabilité et à une culture politique partagées au fil du temps entre les élites des deux rives de l’océan, réunies par une adhésion à la démocratie libérale et à l’économie de marché.
Dans toutes les interventions médiatiques de Jean-Luc Mélenchon, comme récemment sur France 5, le tableau du désordre mondial est en effet invariable. Les États-Unis sont présentés comme le principal facteur d’instabilité. En tant que puissance impériale sur le déclin, craignant de perdre leur domination sur le reste du monde, ceux-ci seraient de plus en plus tentés de la maintenir par la coercition.
Le livret international les qualifie carrément de « principale menace pour la paix ». La position est ancienne : lors de sa campagne de 2012, le candidat du Front de gauche dénonçait déjà une « puissance paranoïaque qui menace la liberté du monde ».
Selon Christophe Ventura, cette vision est cohérente avec le double diagnostic de crise irréversible du capitalisme et de dérèglement du « système-monde » dominé par les États-Unis, développé notamment par l’intellectuel critique Immanuel Wallerstein. « Les États-Unis sont une marmite, un pays aux fractures béantes au bord de la rupture, affirme le chercheur à l’Iris. La gestion de leur déclin s’inscrit dans une temporalité qui dépasse les cycles électoraux. Républicains et démocrates diffèrent dans leur manière de s’en emparer, mais quelle que soit l’administration en place, certains fondamentaux structurent leur rapport au monde, dont la rivalité avec la Chine, qui risque de dériver en confrontation militaire. »
Face aux personnalités de centre-gauche séduites par la rhétorique de Joe Biden appelant à l’alliance des démocraties contre les régimes autoritaires, les Insoumis en pointent sans difficulté les contradictions et les hypocrisies, comme les rapports étroits entretenus par les Occidentaux avec les dictatures d’Arabie saoudite et des émirats du Golfe. Pour eux, l’invocation des grandes valeurs n’est qu’un vernis mystificateur des intérêts américains, qui ne tromperait que les naïfs.
On entretient des relations avec des États, pas avec des régimes.
On touche là à la tonalité hyper réaliste du discours mélenchonien, qui décrit volontiers les rivalités entre grandes puissances comme un choc entre des entités cherchant à maximiser leurs gains. Leur nature politique disparaît fréquemment dans l’explication de leur comportement géopolitique. Cette grille de lecture renforce la thèse selon laquelle la France ne devrait lier son sort à aucune de ces puissances, et tracer son propre chemin, forte de son autonomie.
D’un côté, il est vrai que la diplomatie implique de composer avec des partenaires qui ne nous ressemblent pas. La chercheuse Pauline Peretz et le diplomate Manuel Lafont Rapnouil ont bien soulevé, dans la revue Esprit, les problèmes de légitimité et d’efficacité posés par l’idée d’une « union des démocraties », qui circule de longue date dans les cercles états-uniens. Et de fait, des progrès collectifs sur des sujets aussi importants que le désarmement ou le climat seraient impossibles dans un cadre aussi restreint.
C’est pourquoi Arnaud Le Gall n’a aucun mal à assumer « une vision classique de la diplomatie. On entretient des relations avec des États, pas avec des régimes. Cela ne fait pas de nous des partisans des dictatures. Lorsque le général De Gaulle reconnaît la Chine en 1964, il ne devient pas maoïste ». Une reconnaissance ou l’acceptation de discussions n’est toutefois pas la même chose que de contracter ou renoncer à une alliance.
« Il n’y a pas forcément besoin de brandir les idéaux démocratiques pour assumer un lien plus privilégié avec les États-Unis qu’avec d’autres puissances rivales, nous affirme un diplomate souhaitant rester anonyme. D’abord parce qu’ils concourent mieux à nos intérêts de sécurité et de prospérité, par exemple en sécurisant les voies de circulation maritime. Ensuite parce que nous partageons des principes comme l’intangibilité des frontières, pilier du droit international, là où la Russie les a défiés à plusieurs reprises. »
Quant à la nature des régimes, admettre qu’elle ne peut suffire à déterminer une politique étrangère ne signifie pas qu’elle serait une variable négligeable. Les intérêts d’un pays et les comportements de ses élites dirigeantes ne sont pas dictés par sa géographie et son histoire. Ils sont aussi modelés par des compromis idéologiques et matériels sur la scène intérieure.
Par ailleurs, une approche réaliste n’implique pas forcément d’agir comme si les valeurs étaient « complètement » neutres. Elle peut aussi adopter pour horizon régulateur une éthique libérale (voire socialiste) attentive au bien-être des peuples et à leur jouissance de droits politiques.
La négligence des « impérialismes secondaires »
Cette focalisation sur les États plutôt que sur les régimes débouche parfois, dans la bouche du candidat, en considérations troublantes. Au Figaro, le 11 novembre 2021, Jean-Luc Mélenchon affirmait ainsi : « Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression. Les autres peuples ne raisonnent pas tous comme ça. »
Ces propos essentialisants collent tout de même mal avec l’histoire impériale russe. Et même en adoptant une posture compréhensive vis-à-vis du mécontentement de Poutine envers les extensions de l’Otan, il est difficile de considérer comme bienveillantes les atteintes à l’intégrité territoriale de la Géorgie (en 2008) et de l’Ukraine (en 2014), sur laquelle plane depuis plusieurs semaines le spectre d’une invasion. Alors que l’annexion de la Crimée avait valu des sanctions à la Russie, Mélenchon y est hostile. D’ailleurs, a-t-il confié sans fard au Monde, « [il] pense que la Crimée est russe ».
Interrogé à ce sujet, Arnaud Le Gall fait valoir que « la Russie est sur la défensive. Elle impressionne mais c’est une puissance qui s’estime en danger face à la plus grande alliance militaire au monde à ses frontières ». Quant à la Chine, il nous assure qu’elle n’a « pas de tradition expansionniste » et n’est « jamais partie à la conquête du monde », contrairement aux Occidentaux. Là encore, difficile de passer sous silence ses défis et provocations dans les mers de Chine. Pour le coresponsable du livret international, ces litiges territoriaux sont un problème essentiellement régional, qui doit se régler à l’ONU.
Sur le papier, Mélenchon est attaché au statu quo en ce qui concerne Taïwan, l’île à propos de laquelle la Chine fait monter la pression, en augmentant ses forces pour une éventuelle invasion. Mais il est significatif que dans un post de blog précisant cette position, le leader insoumis affirme que « la population de Taïwan est une composante du peuple chinois depuis toujours ». Non seulement ce n’est pas exact historiquement, mais cela néglige justement à quel point cette formation sociale complexe indique une autre voie que le nationalisme han exacerbé des dirigeants actuel du Parti-État chinois.
Bien sûr, l’île constitue un enjeu stratégique majeur pour la domination de l’Asie-Pacifique. C’est pourquoi Pékin vit son indépendance de facto comme un problème de sécurité. Mais ce cas illustre aussi à quel point la politique intérieure a son importance. La démocratisation de Taïwan a conduit « à une réévaluation de la menace, selon Mathieu Duchâtel, auteur de Géopolitique de la Chine (Puf, 2017). Elle est désormais d’ordre idéologique, le Parti communiste percevant la survie d’une démocratie dans le monde chinois comme un défi direct ».
Récemment, c’est le refus de parler d’un génocide des Ouïghours qui a relancé les polémiques à propos d’une complaisance envers le régime du PCC. Si le traitement de cette minorité est bien dénoncé, le terme est récusé car jugé non consensuel et compris dans un sens extensif, ainsi que Clémentine Autain s’en était expliquée à l’Assemblée nationale puis dans nos colonnes. Pourtant, les mesures de contrôle des naissances et les stérilisations sont documentées. Or, les « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe » sont bien citées comme critère par la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide.
« Dès que des exemples concrets sont évoqués à propos de l’impérialisme chinois et russe, résume et déplore Antoine Bondaz, la réponse de Jean-Luc Mélenchon est de changer de sujet en pointant les problèmes posés par les États-Unis. L’absence totale de réflexion sur l’évolution de la Chine est parlante. J’ai connu une Chine qui s’est libéralisée un temps, mais se referme aujourd’hui. Or la dynamique impulsée par Xi Jinping pose plus de problèmes que celle portée par Hu Jintao auparavant. Le candidat véhicule une représentation de puissances qui seraient comme des blocs sans gouvernements, incapables d’évolution. »
« Son analyse géopolitique surestime l’importance de l’impérialisme états-unien et sous-estime les velléités impérialistes chinoises et russes, estime aussi le politiste Manuel Cervera-Marzal, auteur d’une sociologie de La France insoumise aux éditions La Découverte. La posture de futur gouvernant est utilisée pour ne dénoncer que très mollement leurs pratiques. C’est en décalage avec les principes défendus en France, de même que l’est le fonctionnement assez autoritaire de l’appareil insoumis. Ces différents niveaux n’ont rien à voir, mais sont autant de points d’alerte sur la question démocratique. »
Vouloir échapper aux injonctions à choisir son camp, et se tenir à équidistance de tous les impérialismes, pourrait déboucher sur l’ambition d’une « Europe gaullienne », poursuivant sa propre autonomie stratégique. Mais comme d’autres spécialistes ne partageant pas forcément leur ligne idéologique, les Insoumis estiment que la défense européenne est vouée à rester une chimère. « On ne fera pas changer les pays membres qui préfèrent l’Otan, et la complémentarité entre l’Otan et la défense européenne est inscrite dans les traités », justifie Arnaud Le Gall.
Là encore, il y a toutefois un pas entre ce constat et le fait de demander, comme le 18 janvier dernier dans Le Monde, « pour quelle raison nous devrions assumer les querelles des Lettons ou des Estoniens avec la Russie, qui durent depuis mille ans ». Un signal de non-solidarité envoyé à des États membres de l’Union, au sein de laquelle un Mélenchon devenu Président devra déjà imposer une ligne de désobéissance aux traités bloquant sa politique. Une façon également de balayer les notions de souveraineté et de droit à choisir son destin. Et une confirmation du présupposé contestable selon lequel ce qui se passe à l’Est ne concernerait quasiment pas la France.
Une chose est certaine : ces convictions sont très ancrées chez le candidat de l’Union populaire. Non seulement parce qu’on peut repérer la constance de ses positions au fil du temps, mais aussi parce que celles-ci ne répondent a priori à aucun intérêt électoraliste évident.
Aucune enquête sérieuse, en effet, ne tend à faire penser qu’une majorité de l’électorat se retrouverait dans cette grille de lecture des relations internationales. La seule enquête paneuropéenne relayée par le site du Grand Continent en septembre dernier irait même dans le sens inverse.
Au moins doit-on reconnaître à Mélenchon et ses soutiens de contribuer au débat par une offre programmatique complète et travaillée en la matière, là où d’autres candidates et candidats font le service minimum, ou ne traitent de sujets diplomatiques et stratégiques que pour mieux continuer à faire de la politique intérieure. Dans le prochain épisode, nous nous demanderons si l’absence de doctrine détaillée chez Valérie Pécresse ne masque pas des tensions internes à la droite post-gaulliste.