France

Presse: Mediapart quitte les «états généraux»

Mediapart était invité à participer à l'une des quatre commissions des «états généraux» sur la presse organisés par l'Elysée. Nous nous sommes rendus à la première réunion de cette commission, le 23 octobre. Pour constater qu'aucune des conditions minimales n'était remplie: pas de publicité des débats, sous-représentation des journalistes, absence des lecteurs et des blogueurs, et un flou procédural laissant libre cours aux influences et petits arrangements.

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Mediapart aura finalement participé aux « états généraux » de la presse. Durant dix-sept minutes! Avant de se retirer d'une procédure qui se confirme être au mieux un jeu de dupes, au pire une menace pour l'ensemble de nos métiers. Nous avions, dès le 13 octobre, fait part de notre inquiétude sur cette initiative présidentielle inédite, consistant pour le pouvoir – le chef de l'Etat et son cabinet – à remodeler ce qu'il est convenu d'appeler « le contre-pouvoir ».

Dans une « lettre ouverte aux états généraux » (à lire en cliquant ici), la rédaction de Mediapart s'inquiétait de cette « procédure monarchique » : « C'est le président de la République qui, seul, décide, choisit, arbitre. Ainsi le pouvoir exécutif s'arroge sans partage le droit de décider ce qui sera bon pour ceux qui, dans ce pays, font profession d'informer. »

Le 1er octobre, veille de l'ouverture de ces états généraux par le président de la République, Bruno Patino, actuel directeur de France Culture, nous invitait à intégrer l'un des quatre groupes d'études créés par l'Elysée et dont il se voyait confier la présidence, groupe intitulé « les nouveaux modèles de la presse face au choc d'Internet ».

Fallait-il y aller ? Oui, bien sûr, pour simplement porter devant ce groupe nos interrogations et nos inquiétudes. Certains, tel par exemple Claude Soula, du Nouvel Observateur, ont cru dans un raccourci audacieux y voir une contradiction (lire son billet de blog du 17.10 en cliquant ici).

Nous avons donc accepté et préparé la première réunion de ce groupe qui s'est tenue ce jeudi matin, à 9 heures, rue de Babylone, à Paris, dans une annexe du ministère de la culture. La veille, nous avions adressé aux vingt-neuf membres de cette commission quelques remarques et demandes sur l'ordre du jour (liste complète des membres sous l'onglet "Prolonger").

Nous soulignions tout d'abord l'opposition d'une partie de la profession face à l'initiative présidentielle :

« La prise en main directe de ces états généraux par la plus haute autorité de l'exécutif, en l'occurrence le président de la République, assisté de sa conseillère spéciale, Emmanuelle Mignon, et de plusieurs membres de son cabinet, a causé une vive inquiétude dans une partie de notre milieu professionnel.»

Transférer la tutelle au Parlement

Nous poursuivions: « Le Forum des sociétés de journalistes (il représente 27 rédactions) a finalement décidé de ne pas participer à ces réunions. Plusieurs dirigeants de médias – Denis Olivennes du Nouvel Observateur, Edwy Plenel du site d'informations Mediapart, Daniel Schneiderman du site Arrêt sur images – ont exprimé à des degrés divers leurs réserves qui vont d'un franc scepticisme à une opposition radicale. D'anciens dirigeants – tels Jean-François Kahn, fondateur de Marianne, ou Alain Genestar, ex-directeur de Paris Match –, des observateurs avisés – tel Bertrand Pecquerie, directeur du World Editors Forum – ont fait de même. Enfin, une large partie de la « blogosphère » conteste et critique la procédure mise en œuvre.

« Tous s'inquiètent ou s'indignent de voir la nécessaire réforme de ce qu'il est convenu d'appeler le "contre-pouvoir" laissé à l'appréciation du seul pouvoir. Le discours du président de la République du 2 octobre, avec un recours fréquent au "je" (53 fois) et un engagement flou – "J'écouterai ce qui sera dit" –, a causé un émoi certain. Emoi que partagent plusieurs membres des quatre commissions décidées par la présidence de la République, des représentants de certains titres et des syndicalistes, par exemple. »

Nous proposions ensuite de « sortir par le haut » de la situation ainsi créée en demandant à cette commission de se prononcer par vote :

« Il semble donc indispensable, puisque nous sommes dans une procédure baptisée "états généraux", de procéder à une consultation préalable de nos membres. J'ai ainsi demandé au président de notre groupe, Bruno Patino, de bien vouloir, dès ce jeudi, à l'issue de son introduction, soumettre au vote de notre commission les trois résolutions suivantes. Elles me semblent à même d'assurer la sérénité de nos débats et de permettre à chacun d'y participer.

Résolution 1- La présidence de la République confie à la commission des affaires culturelles et sociales de l'Assemblée nationale, en liaison avec le groupe d'études sur la presse de l'Assemblée, le soin de poursuivre l'organisation des « états généraux de la presse ». Il lui reviendra à l'issue des débats d'élaborer une ou plusieurs propositions de lois, et de soumettre au gouvernement les mesures réglementaires nécessaires, en tenant compte des propositions issues des états généraux.

Pas de débats publics

Résolution 2- Chacune des quatre commissions créées pour ces états généraux de la presse doit assurer en son sein une représentation équitable des trois acteurs suivants : les sociétés de journalistes ; les associations, sociétés ou collectifs de lecteurs ; les blogueurs les plus représentatifs des débats et tendances qui animent actuellement le web.

Résolution 3- L'intégralité des débats en commission est publique. Ces débats peuvent être retransmis par tous ceux qui le désirent et par tous les moyens jugés nécessaires (texte, images et sons). »

Nous rappelions enfin le fâcheux précédent de la commission Copé sur la réforme de l'audiovisuel public, dont les suggestions furent écartées par l'Elysée. Pire, c'est en s'abritant derrière ses travaux que le président de la République a décidé de faire régresser la télévision publique en télévision d'Etat, en annonçant qu'il nommera lui-même, directement, le président de France Télévisions (lire sous l'onglet "Prolonger" l'intégralité de notre texte).

Mercredi en fin d'après-midi, Bruno Patino a répondu à notre mail. « Nous avons choisi de transmettre aux personnes en charge de la coordination et de l'organisation des états généraux », nous dit-il, reconnaissant qu'il ne pouvait être décisionnaire quant à l'organisation de l'ordre du jour de sa commission et de ses procédures de fonctionnement.

Dans ce même mail, il écarte la possibilité d'un recours au vote : « Notre pôle n'est en aucun cas une instance représentative. Il n'est donc appelé ni à voter des motions, ni à prendre des décisions mais, plus simplement, à faire des recommandations » (lire sous l'onglet "Prolonger" l'intégralité de ce mail).

Mercredi, toujours, nous avons également demandé à Nicolas Princen, conseiller de Nicolas Sarkozy et rapporteur de cette commission, l'autorisation de filmer sa première réunion. Réponse négative, énoncée en ces termes : «Il a été décidé qu'on ne filmerait pas les séances plénières des réunions de travail, pour la bonne et simple raison qu'il y a parmi les intervenants, des consultants qui vont faire des présentations dont le contenu est d'habitude commercialisé. Nous avons donc décidé de ne pas diffuser ni filmer toutes les réunions plénières internes. En revanche, à la suite de ces réunions, libre à vous de faire des interviews des participants.»

Une initiative de Mediapart avec vous, lecteurs!

Pas de publicité des débats, donc. Ou plutôt une communication sous contrôle : jeudi, nous avons pu découvrir que des étudiants de l'école de journalisme de Sciences Po – école que préside justement Bruno Patino ! – étaient dans la salle pour un simili « live-bloging » fort policé. Pour d'autres commissions, par exemple celle présidée par Bruno Frappat, nous avons eu droit à ce jour à de splendides communiqués en langue de bois (à lire en cliquant ici).

Cette première réunion a donc débuté à 9h10. Introduction de Bruno Patino, énoncé de l'ordre du jour. Un bref temps de parole nous a ensuite été accordé. Qu'avons-nous dit ?
1. Qu'un grave problème de représentation se posait : absence des sociétés de journalistes ; absence des lecteurs ; absence des blogueurs, ceux-là mêmes qui ont bouleversé nos pratiques professionnelles ces dernières années !
2. Que nous ne pouvions accepter que des débats d'« états généraux » ne soient pas publics.
3. Que le caractère non représentatif de notre commission n'empêchait nullement un recours au vote. Que ce vote permettrait au contraire d'arbitrer entre de graves désaccords : pas seulement sur la nature de ces états généraux présidentiels, mais aussi sur les stratégies éditoriales, industrielles, publicitaires suivies par les différents acteurs.

Membre de cette commission, la députée socialiste Aurélie Filippetti (Moselle) est ensuite intervenue pour souligner « les problèmes posés par cette procédure », les risques « d'instrumentalisation ou de manipulation » et rappeler, elle aussi, les mésaventures de la commission Copé.

Bruno Patino a pris acte de nos remarques, tout comme Marc Tessier, vice-président de la commission. Plusieurs journalistes présents, Laurent Joffrin, directeur de Libération, Pierre Haski, directeur de Rue 89, Frédéric Filloux, ancien directeur de 20 minutes et représentant du groupe norvégien Schibsted, Michel Delberghe, journaliste au Monde et syndicaliste CFDT, ou Eric Marquis, représentant du SNJ, ne sont pas intervenus. Nous avons alors choisi de quitter la salle. Il était 9h27. Nous venions de perdre un quart d'heure.

Loin de ces coteries où l'influence et l'opacité tiennent lieu de procédures, Mediapart poursuivra à sa façon ses états généraux sur la presse. D'ores et déjà, nous prévoyons une initiative pour la fin du mois de novembre. D'ici là, n'hésitez pas à participer à notre édition participative « Etats généraux, le off » (cliquer ici pour y accéder). C'est avec vous, lecteurs, abonnés, professionnels, que nous pourrons repenser une presse pluraliste, libre, indépendante.

Voir les annexes de cet article

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Depuis le 7 janvier 2023 notre confrère et ami Mortaza Behboudi est emprisonné en Afghanistan, dans les prisons talibanes.

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