Nos enquêtes, reportages et analyses sur la crise traversée depuis des années par le système hospitalier, et encore aggravée par l’épidémie de Covid-19.
En ces vacances de fin d’année, les malades ont encore débordé des urgences des hôpitaux. À Bordeaux, certains ont attendu sept heures et demie dans le camion des pompiers. À Metz-Thionville, l’ancien hôpital du ministre de la santé a monté des tentes normalement réservées aux catastrophes.
Énième illustration de la crise de l’hôpital, les urgences du CHU de Rouen sont au bord de l’explosion, comme en témoignent les échanges entre soignants que « Le Poulpe » a repêchés. Parmi ces messages de médecins en détresse, quelques lignes sur un patient dont le décès interroge.
Le ministre de la santé perd patience : en réponse à une pédiatre qui dénonce le « tri des malades », il se dit « choqué », menace d’une « enquête ». En nombre, les médecins confirment pourtant à Mediapart : dans toutes les spécialités, face à toutes les urgences, ils trient et ne veulent plus en assumer seuls la responsabilité.
Depuis le début de l’épidémie de bronchiolite, il y a trois semaines, 16 enfants ont déjà été transférés, faute de places, vers des services de réanimation à des centaines de kilomètres de chez eux. Il a fallu une tribune signée par 4 000 pédiatres pour que le gouvernement réagisse.
Les réanimations d’Île-de-France sont déjà débordées et ont transféré une dizaine d’enfants à Rouen, Reims ou Caen. Alors que le gouvernement vient de nouveau de recourir au 49-3, cette fois sur le budget de la Sécurité sociale, les pédiatres témoignent, sur tout le territoire, de sous-effectifs et de lits fermés.
Chacun depuis son poste d’observation de l’hôpital public, ils confient à Mediapart ce qu’a été leur quotidien, entre services d’urgence filtrés et maternités débordées, durant des semaines véritablement sur le fil. « Je ne supporte plus de voir ça, lâche un urgentiste du Samu. Je pense aux autres, à moi plus tard. Ça me fait peur. »
De nombreuses maternités sont confrontées à une pénurie sans précédent de sages-femmes. Elles limitent les inscriptions, abandonnent le suivi de grossesse et sont parfois contraintes de refuser des femmes sur le point d’accoucher. En Seine-Saint-Denis, le décès d’un bébé a bouleversé les soignants.
Les urgences, confrontées à la vague de chaleur, ne voient pas beaucoup plus de malades. Mais le moindre grain de sable les met en péril. À Bordeaux, elles sont privées du soutien des pompiers. À Saint-Nazaire, la salle d’attente a dû être déplacée à l’extérieur le 15 juillet. Partout, les lits manquent.
Élisabeth Borne a retenu toutes les recommandations de la « mission flash » sur les urgences. La population devra passer plus systématiquement par le 15, mais elle n’en fait pas une étape obligatoire avant d’accéder aux urgences. Les médecins de ville et les personnels hospitaliers obtiennent des revalorisations.
La première ministre a reçu, jeudi, 41 recommandations pour l’été « à haut risque » qui s’annonce à l’hôpital. Parmi les mesures mises sur la table : la fin de l’accès sans filtre aux urgences et la revalorisation des heures de travail la nuit et le week-end.
L’hôpital de Chinon, hôpital rural à la maternité et au service de psychiatrie exemplaires, mais fermés pendant des semaines faute de personnels, est en lourd déficit. Un cabinet de conseil préconise des fermetures de lits et de postes, l’agence régionale de santé conditionne ses aides au retour à l’équilibre. Comme avant la pandémie.
L’hôpital s’est mobilisé dans une cinquantaine de villes en France. Les manifestants alertent sur une situation d’une gravité sans précédent. Ils craignent aussi les prochaines annonces pour les urgences, qui pourraient restreindre l’accueil des patients.
L’hôpital public profite des petits salaires et des contrats précaires des médecins aux diplômes extra-européens. Pire: l’administration les a conduits dans une impasse en leur imposant d'être titularisés avant la fin de l’année, sans s’en donner les moyens.
Les urgences de l’hôpital Pellegrin régulent l’accès des patients en soirée et la nuit. Cela ne règle rien aux dysfonctionnements de l’établissement, mettent en garde les urgentistes bordelais. Épuisés par leur métier, ils sont nombreux à renoncer à leur vocation.
Document confidentiel obtenu par notre partenaire Rue89 Strasbourg, le « contrat d’avenir » signé avec l’agence régionale de santé oblige les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à augmenter leur activité tout en fermant des lits et en réduisant le nombre de postes.
Chaque vendredi, des hospitaliers se recueillent une minute pour conjurer la « mort programmée de l’hôpital public ». Car aucune promesse politique n’est tenue : les soignants partent, les lits ferment et les patients dorment sur des brancards dans les couloirs des urgences.