Ce jour-là, la MUD (Table de l'Unité démocratique), la coalition antichaviste, a de quoi se réjouir. Le 24 juin 2016, elle déclarait que plus de 400 000 Vénézuéliens avaient apposé leurs empreintes digitales pour confirmer leurs signatures afin de solliciter un référendum révocatoire contre Nicolás Maduro. Le double de ce qui est légalement requis. La veille, à un millier de kilomètres de là, en République dominicaine, 20 pays sur les 32 États que compte l'Organisation des États américains (OEA) autorisaient son secrétaire général, l'Uruguayen Luis Almagro, à présenter en session extraordinaire son rapport de 132 pages, qui sonne comme un réquisitoire contre ladite révolution bolivarienne. Ses requêtes sont celles de la MUD : libération des prisonniers politiques, envoi d'une aide humanitaire pour faire face aux pénuries et surtout la tenue du référendum révocatoire cette année. Les dominos tombent les uns après les autres.

Pourtant, quelques jours plus tard, le 28 juin, le camp pro-gouvernemental fait tapis. Le Gran Polo Patriotico (coalition chaviste) annonce qu'il demandera au Tribunal suprême de justice (TSJ) « l'abolition » pure et simple de l'Assemblée nationale pour usurper les prérogatives du gouvernement. Des passes d'armes comme celles-là, le Venezuela en vit chaque semaine depuis que l'Assemblée nationale, largement gagnée par l'opposition, est entrée en fonctions en janvier.
La MUD maintient le bras de fer sans relâcher l'effort. Son défi de mettre fin au mandat du président socialiste Nicolás Maduro en six mois est perdu, mais elle croit toujours pouvoir le révoquer avant la fin de l'année. Si le « oui » l'emporte lors d'un scrutin organisé avant le 10 janvier 2017, de nouvelles élections présidentielles seront organisées. Après cette date, un succès de l’opposition ne mènerait qu’au remplacement de Nicolás Maduro par son vice-président. Face à elle, le gouvernement soutient que le référendum ne peut avoir lieu en 2016 et sous son influence le Conseil national électoral (CNE) montre peu d'empressement à valider les étapes successives d'un long processus. C’est le blocage.
La crise économique avec son impressionnante inflation (plus de 700 % en 2016, d'après les prévisions du FMI), et ses pénuries, dope la popularité de la MUD. « Plus que de savoir qui a gagné, il s’agit de savoir qui a perdu », avertit Luis Vicente Leon, dirigeant de l'institut de sondages Datanalisis. « Pour la grande majorité des Vénézuéliens, c'est le gouvernement qui est responsable de la détérioration économique. » Le manque de confiance envers le gouvernement gagne toutes les classes sociales. Comme le relève l'historien Steve Ellner (Universidad de Oriente, Cumana), la MUD peut bien entendu compter sur l'appui des élites économiques : « Elle a aussi des soutiens parmi la bolibourgeoisie [des personnes qui se sont enrichies grâce au système chaviste – ndlr] que l'on décrit à tort comme monolithique. Surtout, la classe moyenne échappe aux chavistes et se mobilise contre le gouvernement. » Les classes populaires ne sont pas épargnées alors qu'elles sont la base de l'électorat des socialistes et les bénéficiaires des missions, des programmes sociaux. « L'opposition est soutenue passivement par une partie des classes populaires parce qu'elles souffrent des effets de la crise. Mais ce n'est ni un appui politique, ni un appui idéologique. Le travail de l'opposition dans les barrios [quartiers populaires – ndlr] est peu important, stratégique et a peu d'effets », nuance George Ciccariello-Maher, professeur en sciences politiques à l’université Drexel à Philadelphie.
Dans ce contexte, le référendum révocatoire connaît un succès certain. 1,3 million de signatures pour le référendum avaient été validées lors d'une première étape de consultation. Luis Vicente Leon assure que « sept Vénézuéliens sur dix voteraient contre Nicolás Maduro aujourd'hui ». La MUD profite aussi des dissensions publiques de son adversaire. Les soutiens à Nicolás Maduro s'effritent. L'ancien maire de la métropole Caracas (2004-2008), Juan Barreto, dont le parti REDES qu'il dirige est membre du Gran Polo Patriotico, a affirmé que la démission de Nicolás Maduro est en négociation afin d'éviter « d'enterrer » le chavisme en cas de défaite au référendum. Le président s'y refuserait. Au début du mois, c'était le général chaviste à la retraite Cliver Alcala Cordones qui déclarait que Hugo Chavez avait commis une erreur en désignant Nicolás Maduro comme son successeur.
Et même s'il faudra tout de même réunir 7 585 780 votes, soit le score de Nicolás Maduro lors des élections présidentielles de 2013, sur un corps électoral d'environ 19 millions d'individus, pour destituer le président, l'opposition entraperçoit la fin du chavisme. Au revoir les anciennes stratégies : l'issue ne passe plus par des manifestations pour pousser Nicolás Maduro à la démission comme en 2014 avec le mouvement de la « salida », ni par l'amendement de la constitution pour écourter le mandat présidentiel (retoqué sans surprise par le Tribunal suprême de justice [TSJ]) et non plus par la convocation d'une assemblée constituante. Désormais, toutes les forces de l'opposition se concentrent sur le référendum.
L'opposition est divisée entre ceux qui sont prêts, ou pas, à dialoguer avec le gouvernement
Cette stratégie remet sur le devant de la scène un homme en perte de vitesse jusqu'en décembre dernier : Henrique Capriles Radonski, gouverneur du second État le plus peuplé du Venezuela, l'État de Miranda. L'homme à l'indévissable casquette aux couleurs du drapeau vénézuélien, issu d'une riche famille, avait fini par lasser une partie de l'électorat de la MUD après ses défaites répétées, contre Hugo Chavez en octobre 2012 (44,31 % contre 55,07 %) puis, de très peu, contre Nicolás Maduro en avril 2013 (49,12 % contre 50,61 %). Promoteur et initiateur du référendum, il reprend sa place de principal meneur de l'opposition. S’il a fait ses premières armes sous les couleurs du parti conservateur Copei (démocrate chrétien), il est perçu comme modéré. Le co-fondateur du parti Primero Justicia s'allie facilement avec des organisations plus marquées à gauche. À chaque campagne, il soutient que les « missions » bolivariennes ne seront pas supprimées.
Dans sa course au référendum révocatoire, il peut compter sur l'appui de celui qui a longtemps été son concurrent, le plus radical Leopoldo Lopez, ancien maire du quartier central huppé de la capitale, Chacao (2008-09). Lui aussi issu de la grande bourgeoisie vénézuélienne, lui aussi co-fondateur de Primero Justicia, il a formé son propre parti, Voluntad Popular, en 2009. Emprisonné pour 13 ans et 9 mois pour son rôle lors des émeutes de 2014 qui ont fait, selon le gouvernement, 43 morts, il demeure présent sur la scène publique par l'intermédiaire de son épouse, Lilian Tintori, ancienne présentatrice télé et championne de kitesurf. Après avoir lui-même mis en scène son arrestation, subi un procès injuste (64 des 65 témoins appelés à la barre ont été rejetés), Leopoldo Lopez a définitivement gagné ses galons de martyr aux yeux des anti-chavistes, conquérant le cœur de nombreux Vénézuéliens, notamment parmi les jeunes. Pour Diego Ibarra, dessinateur industriel qui, sans être membre d'un parti, soutient l'opposition, c'est cette intransigeance qui fait mouche : « Il assume sa position devant la patrie et a affronté directement le régime et son système judiciaire. » Il est certain qu'il ne s’assiéra jamais à des tables de négociation.

Le trio pro-référendum est complété par le président de l'Assemblée nationale, le vieux briscard de 73 ans Henry Ramos Allup, déjà député en 1994, cinq ans avant la première élection de Hugo Chavez. Pilier de l'encore puissante Acción Democratica, parti dont il est le secrétaire général depuis 2000, sa fonction à la tête du Parlement monocaméral l'a révélé au grand public. Il s'est montré inflexible, décidé à tenir tête au président. Les partis des trois meneurs les plus influents de la MUD représentent à eux seuls 72 sièges sur les 112 de la coalition. Cette coalition compte tout de même onze partis avec moins de cinq députés chacun.
Cette apparente unité trouvée pour défendre le référendum est mise à rude épreuve sur la question de la négociation avec le gouvernement. Les tentatives de médiation menées par José Luis Rodriguez Zapatero, missionné par l’Union des nations sud-américaines (Unasur), l'ont dévoilé. D'après Caracas Chronicles, l'ancien chef du gouvernement espagnol aurait proposé à des membres de la MUD d'abandonner le référendum révocatoire. En échange, les prisonniers politiques seraient libérés et l'opposition gagnerait plus de pouvoir au sein du Tribunal suprême de justice qui, jusqu'à maintenant, bloque les lois votées. Refus sans surprise de Henrique Capriles, suivi de Leopoldo Lopez alors que d'autres leaders anti-chavistes comme Manuel Rosales de Nuevo Tiempo (3e parti de l'opposition le plus représenté à l'Assemblée nationale) étaient « plus ouverts ».
Dans une coalition où dix-sept organisations cohabitent, « l'unité passe au-dessus des discussions idéologiques. La MUD n'ose pas parler de ses différences », note l'historien Steve Ellner. C'est la stratégie à adopter qui déplace le curseur entre les modérés et radicaux, aujourd'hui entre ceux qui sont prêts à dialoguer avec le gouvernement ou non. Sur la gauche de la MUD, Henri Falcon, le gouverneur de Lara, qui fut un temps proche des partis chavistes, souhaite ouvrir les discussions avec le gouvernement tout en critiquant vertement le peu d'élan de Nicolás Maduro qui ne cesse de souffler le chaud et le froid. « C'est l'offre de la paix », assure Luis Vicente Leon pour qui Henri Falcon est amené à jouer un rôle plus important sur la scène politique vénézuélienne. Alors que les étapes vers le référendum sont lentement franchies, les analystes vénézuéliens supputent déjà sur les potentiels candidats. Henri Falcon, qui a tout de même peu de chances d'être le représentant de la MUD, est une pièce utile dans le dispositif pour attirer les chavistes déçus et sans lesquels la coalition anti-chaviste ne peut gagner.
Malgré leurs différences, les partis de la MUD « partagent une vison néolibérale », note le politologue George Ciccariello-Maher. « Ils ne peuvent pas l'exprimer ouvertement dans un pays transformé par le chavisme. Les gens ont désormais un esprit critique structuré. Proposer une réponse néolibérale ne fait pas gagner les élections. » La campagne pour les élections législatives s'est, comme d'habitude, transformée en plébiscite pour ou contre Nicolás Maduro. Le programme « offre législative pour le changement » est passé à l'arrière-plan. Depuis son élection, la chambre le suit pourtant consciencieusement. On y lit que la MUD souhaite revenir sur ce qu'elle nomme les « expropriations », les nationalisations, faciliter la circulation et la distribution des biens en annulant la loi sur les prix justes qui permet au gouvernement de fixer certains prix, supprimer des droits de douanes pour augmenter les importations, annuler ou baisser « sensiblement » les impôts que doivent les entreprises privées… La libéralisation de l'économie serait la solution à la crise. Le privé s'invite jusque dans les sphères publiques. Les prestations de services publics pourront être « assumées » par « les entreprises privées ou mixtes », est-il écrit. Certaines lois sont tout de même plus sociales : comme le versement d'une aide financière à toutes les personnes âgées même si elles n'ont pas contribué à la sécurité sociale.
L'opposition préfère médiatiser sa campagne pour faire accepter la loi d'amnistie et de réconciliation nationale, comme toujours, retoquée par le TSJ. Cette loi couvre toute la période chaviste depuis 1999. Elle lève par exemple les peines sur les participants du coup d'État contre Hugo Chavez en 2002, amnistie les personnes rendues coupables d'« avoir causé la panique par la diffusion de fausses informations », pour « association de malfaiteurs », pour avoir possédé « des engins explosifs », etc. Difficile à digérer pour le gouvernement. L'approbation de cette amnistie pèse pourtant dans les négociations. On imagine alors à quel point le dialogue entre les deux pouvoirs est difficile. Car c’est aussi l'écriture de l'histoire de dix-sept ans de chavisme qui est en jeu.