Takieddine

L’ami encombrant de l’Elysée
En l’espace de quelques semaines, Ziad Takieddine, homme de secrets, de mystères et de légendes, s’est trouvé projeté contre son gré dans la lumière de l’affaire de Karachi. Une lumière crue.
Intermédiaire d’origine libanaise, il est l’homme qui concentre aujourd’hui tous les soupçons de redistribution politique en marge des deux contrats d’armement-jumeaux signés, fin 1994, par le gouvernement Balladur: Agosta (trois sous-marins vendus au Pakistan) et Sawari II (deux frégates vendues à l’Arabie Saoudite). Avec son ami Abdul Rahman El-Assir, il a été de toutes les phases de discussions, ici en train de négocier le montant des commissions, là en compagnie de ministres du gouvernement. Sur les deux contrats, le duo a perçu au total plus de 100 millions d’euros, selon les calculs de l’ancien directeur financier de DCN International, société exportatrice des sous-marins pakistanais et frégates saoudiennes.
Impitoyable en affaires
Dans le panorama de l’époque, Ziad Takieddine était considéré comme « l’homme des Français ». En clair, il est suspecté d’avoir reversé une partie des fonds qu’il a perçus au profit de la campagne d’Edouard Balladur et des caisses du Parti républicain (PR) de François Léotard, ministre de la Défense du gouvernement Balladur.
Né le 14 juin 1950 dans les montagnes libanaises, à Baakline, au Sud-Est de Beyrouth, Ziad Takieddine est homme réputé imprévisible et impitoyable en affaires. Ces vingt dernières années, on a vu apparaître son nom dans des activités qui ont ceci de particulier qu’elles n’ont aucun rapport les unes avec les autres. Ici, chez GemPlus, le leader mondial de la carte sécurisée, dont il finira par être évincé. Là, à la tête de la station de ski Isola 2000, dont la déconfiture financière fit beaucoup parler. Ou dans les ventes d’armes.
Selon le journaliste Charles Villeneuve, qui l’a côtoyé dans les années 1980 au moment de l’affaire des otages du Liban, Ziad Takieddine entretient un rapport particulier avec la France, comme tous les druzes. «Ce sont des montagnards, des musulmans qui ont fait une sorte de schisme. Leur philosophie est très particulière, elle leur interdit par exemple le prosélytisme. Ils sont environ 250.000 au Liban et entretiennent généralement un lien particulier avec la France. Ce sont des gens farouches, dont on dit qu’il sont nés avec un revolver sous l’oreiller. Ça résume bien Ziad! Oui, c’est un farouche, mais aussi un homme pointu, cultivé, qui a fait toutes ses études en Angleterre. C’est un type au caractère difficile. Mais aussi quelqu’un de solidaire et fidèle. Si on est ami avec lui, c’est pour la vie. Il ne retourne pas sa veste comme cela», rapporte Charles Villeneuve.
Rencontres dans la villa du Cap d'Antibes
De fait, proche historiquement des balladuriens devenus sarkozystes, Ziad Takieddine a prouvé ces dernières semaines qu’il n’oubliait pas ses protecteurs, multipliant les interviews “exclusives” dans lesquelles il jure ses grands dieux ne pas connaître Nicolas Sarkozy (après avoir expliqué le contraire aux auteurs du Contrat, le livre qui a établi de manière irréfutable sa proximité avec le chef de l’Etat et ses proches), qu’il n’a joué aucun rôle dans le contrat Agosta (malgré de nombreux témoignages et documents qui parlent pour lui), et que toute cette histoire de rétrocommissions a été montée de toutes pièces par… Dominique de Villepin. D’ailleurs, lors de l’audience en référé visant à repousser la publication par les éditions Stock du Contrat, l’avocat de Takieddine, Me Olivier Pardo (le même qui défendit dans le procès Clearstream Imad Lahoud, qui «chargea» Dominique de Villepin de manière aussi violente qu’invraisemblable) donna moins le sentiment de plaider pour son client que pour la présidence de la République.
Une défense qui, en creux, ne fait que renforcer l’idée selon laquelle l’intermédiaire d’origine libanaise est bien proche du Château.
Les exemples abondent: l’homme d’affaires a rencontré Nicolas Sarkozy dès 1993 chez François Léotard. Entre 1993 et 1995, MM. Sarkozy et Léotard, respectivement aux ministères du Budget et de la Défense, étaient les deux ministres les plus importants s’agissant des contrats de ventes d’armes. Et tous deux fidèles soutiens du premier ministre-candidat Edouard Balladur. Ziad Takieddine entretient aussi des relations privilégiées avec plusieurs membres de la garde rapprochée du chef de l’Etat: Nicolas Bazire, Brice Hortefeux ou Jean-François Copé, ces deux derniers ayant été vus à l’été 2005 dans la villa du Cap d’Antibes de l’intermédiaire libanais.
Un an plus tôt, en avril 2004, Jean-François Copé était même intervenu pour faire opérer puis rapatrier en urgence en France Ziad Takieddine, grièvement blessé sur l’île Moustique, dans l'archipel des Grenadines, sans doute dans une tentative d’assassinat.
La libération des infirmières bulgares
Décidément omniprésent dans la galaxie balladuro-sarkozyste, Ziad Takieddine a aussi accompagné en Arabie Saoudite Claude Guéant au milieu des années 2000 pour essayer de débloquer le contrat Miksa (la surveillance des frontières du royaume), qui opposa les réseaux du président Jacques Chirac à ceux du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy.
Ce n’est pas tout: comme l’a reconnu dans Le Contrat Claude Guéant, entre-temps devenu secrétaire général de l’Elysée, Ziad Takieddine a joué un rôle décisif au nom de l’Etat français dans la libération, au mois d’août 2007, des infirmières bulgares détenues par la Libye. Une action d’éclat dont Nicolas Sarkozy avait su tirer gloire. Aujourd’hui, entre les révélations des journalistes de Mediapart auteurs du Contrat et la pression de la justice, le chef de l’Etat ne semble plus vouloir assumer ses liens avec celui qui lui permit d’emporter ce succès diplomatique. Comme si d’incontournable, Ziad Takieddine était devenu infréquentable.
Dessins © Damien MacDonald