La crise des «subprime», en mettant en évidence des «trous de régulation» béants, notamment aux Etats-Unis, a provoqué un peu partout une réévaluation des systèmes de surveillance des banques, avec des changements significatifs à l'ordre du jour. Mais pas en Europe, où la présidence française de l'UE, qui commence le 1er juillet, affiche des objectifs bien modestes.
Les Etats-Unis s'orientent vers une extension des pouvoirs de régulation de la Réserve fédérale sur le système bancaire et le Royaume-Uni a opéré un virage à 180° après la débâcle de Northern Rock en replaçant la Banque d'Angleterre au cœur de la surveillance des établissements financiers. Mais le projet français élude la contradiction évidente qui caractérise la situation au sein de la zone euro: la Banque centrale européenne (BCE) est appelée à la rescousse quand éclate une crise de liquidité dans le système bancaire, mission qu'elle a assumée avec maestria depuis le 9 août 2007, mais elle n'a aucune capacité de surveillance des principales banques opérant en Europe, capacité qui lui permettrait d'identifier le développement de nouvelles activités à risque et d'imposer des mesures de précaution.
Dans la crise des «subprime», le hasard a fait qu'aucune des institutions bancaires les plus touchées, comme Northern Rock au Royaume-Uni, n'avait d'activités transfrontalières significatives. Et aucune grande banque, même UBS ou la Société générale, n'a affronté de crise de solvabilité. «Dans cette crise, il n'y a pas eu de difficultés dans des établissements internationaux et par conséquent pas de test des mécanismes de coopération» entre autorités de tutelles des différents pays, relève un fonctionnaire européen travaillant sur le dossier.
«Il est par conséquent difficile de conclure, mais nous aurions probablement rencontré beaucoup de difficultés», ajoute-t-il, en qualifiant même de «trou de supervision» l'absence d'un dispositif adapté aux grands groupes bancaires internationaux.
En dépit de ce constat partagé à Paris, les ambitions françaises paraissent bien modestes.
Selon des sources bancaires et diplomatiques concordantes, Paris poursuivrait deux objectifs principaux. D'abord, faire émerger au sein du Comité européen des superviseurs bancaires, le CEBS (Committee of European Banking Supervisors), une convergence de doctrine sur l'interprétation des règles de la surveillance bancaire, interprétation qui diffère aujourd'hui fortement d'un pays à l'autre. En cas de crise dans sa zone de juridiction, le régulateur national compétent devrait appliquer la doctrine, ou interroger le CEBS s'il a un doute. En cas de conflit d'interprétation, le CEBS se prononcerait à la majorité qualifiée, une idée contestée notamment par le Royaume-Uni.
Le "processus Lamfalussy"
L'autre dossier concerne la surveillance des quelque quarante principales banques opérant à l'échelle de l'Europe. L'idée, qui ferait l'objet d'un «début d'accord», serait d'en confier la supervision à un conseil ad hoc, mais l'accord est loin d'être acquis sur le processus de décision en cas de crise impliquant plusieurs pays. «Nous avons proposé que le régulateur chef de file, celui du pays de la maison mère, ait le dernier mot», indique une source bancaire française. Mais cela ne plaît guère aux petits pays de l'Union, notamment ceux, comme le Luxembourg, dont les places financières accueillent pour l'essentiel des filiales de banques étrangères.
Loin de marquer un saut qualitatif, la démarche française s'inscrit dans la stricte continuité du «processus Lamfalussy» qui a organisé depuis 2001 l'édification laborieuse d'une régulation financière européenne. Portant le nom de l'ancien directeur de la Banque des règlements internationaux et premier président de l'Institut monétaire européen, le précurseur de la BCE, cette démarche très graduelle repose sur la convergence et la coordination. Convergence des législations nationales par l'adoption d'un ensemble de directives européennes de «principe» (niveau 1) ou d'application (niveau 2). Coordination par la création de trois comités, dits de niveau 3, associant les 27 régulateurs nationaux et mieux connus sous leurs acronymes anglais, en charge respectivement des banques (CEBS), des autorités de marchés (CESR) et des assurances et fonds de pension (le CEIOPS). Le tout sous le contrôle de la Commission européenne qui s'assure de la transposition des lois européennes par les Etats membres (niveau 4).
La Commission a tiré en novembre 2007 un bilan mitigé du processus Lamfalussy et le 23 mai 2008, le commissaire européen au Marché intérieur, Charlie McCreevy, a lancé jusqu'au 18 juillet un processus de consultation sur le renforcement du rôle des comités de niveau 3. La Fédération bancaire française doit présenter ses propres réflexions lundi 23 juin à Bruxelles.
Mais ces initiatives, comme les propositions de la présidence française, semblent très en retrait des enseignements de la crise financière, tant pour l'action correctrice que pour la prévention.
Première leçon : la BCE a démenti tous les prophètes de malheur, anglo-saxons notamment, en se montrant tout à fait à la hauteur quand le marché interbancaire a été brutalement asséché, sans crier gare, le 9 août 2007. Cela ne doit rien au hasard : la BCE et les banques nationales du système européen de banques centrales (SEBC) ont conduit à deux reprises ces dernières années des exercices de tension au sein du système financier.
«Le résultat a démontré un excellent fonctionnement des lignes de communication à l'intérieur du SEBC», explique un des experts européens les plus reconnus. «Pour la gestion des interventions, qui se sont répétées depuis l'été dernier, avec une ampleur, une complexité et une variabilité inédites, ce fut un véritable test, même si le cas extrême d'une crise de solvabilité d'une grande banque ne s'est pas présenté», ajoute cet expert.
Deuxième leçon : les risques liés à l’innovation financière appellent la mise en place d’une autorité capable de les identifier et d’imposer des mesures préventives, et les banques centrales paraissent les mieux armées pour cette mission. «La BCE doit savoir s’il y a un risque systémique pour pouvoir intervenir avec rapidité», explique la même source, en proposant que l’on «lui confie la co-gestion de la surveillance bancaire des quelque 40 banques très intégrées tant au niveau européen qu’un niveau mondial».
Une responsabilité opérationnelle pour la BCE
Or, des propositions similaires avaient été mises sur la table bien avant la crise des «subprime» par nul autre qu'Alexandre Lamfalussy lui-même.
Lors d'une conférence prononcée en 2004 à l'invitation de la Banque nationale du Luxembourg, le père de la régulation financière en Europe s'interrogeait déjà sur «la nécessité et la possibilité de confier à la BCE la responsabilité opérationnelle de la surpervision de cette catégorie limitée de banques», «acteurs clefs sur le marché interbancaire européen» et dont les difficultés éventuelles «pourraient avoir des effets systémiques directs».
Pour M. Lamfalussy, «il y a des arguments de poids en faveur d'une telle orientation». D'abord, «apporter à la BCE les informations de première main dont elle a besoin pour faire face à son devoir prudentiel en cas de menace d'une crise systémique». En second lieu, faisait-il observer, cela ne n'imposerait pas «le bouleversement de l'organisation de la surveillance bancaire au niveau national», qui sont très diverses même au sein de la zone euro, «la BCE devant partager la responsabilité avec les autorités nationales, banques centrales ou autres agences». Troisièmement, «cela simplifierait les procédures de communication et de coopération entre les principaux acteurs, sous deux aspects : au niveau global (en relation avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni) et au sein de la zone euro (avec l'eurogroupe des ministres des Finances)».
En outre, soulignait l'ancien patron de la BRI, la banque des banques centrales, ce changement peut être introduit sans avoir à renégocier les traités européens, puisque l'article 105/6 du traité de Maastricht prévoit explicitement la coopération de la BCE «à la surveillance prudentielle des institutions de crédit et à la stabilité du système financier».
Dans une remarque finale, Alexandre Lamfalussy observait que «l'efficacité d'un tel mandat confié à la BCE serait renforcée si l'eurogroupe évoluait vers une structure institutionnelle solide et efficace», ce qui est, comme chacun sait, une revendication française ancienne, portée notamment par l'actuel chef de l'Etat lors de son passage à Bercy.
Mais il est vrai que, dans l'esprit de Nicolas Sarkozy, il s'agissait, et il s'agit toujours, de réduire le poids de la BCE par rapport aux «politiques» dans la conduite des affaires de la zone euro, voire, comme dans le mémorable discours d'Agen du candidat à l'élection présidentielle, de contester l'indépendance de la BCE. Confier à l'institution de Francfort un rôle éminent dans la surveillance bancaire transfrontalière en Europe n'irait pas exactement dans cette direction. Voilà pourquoi sans doute votre fille est muette.