France

Le siècle de Glissant, poète du Tout-Monde

Edouard Glissant s'en est allé, à Paris, au petit matin du jeudi 3 février, à l'âge de 82 ans. Né le 21 septembre 1928, à la Martinique, cet immense poète laisse une œuvre incomparable, dont la poétique fut résolument une politique. Porté par les aspirations de la décolonisation, dont il fut un militant actif, il imagina des émancipations véritables qui ne répéteraient pas les anciennes dominations. Hommage au récitant du Tout-Monde et chantre de la Relation qui, pour Mediapart, fut un compagnon de cœur.

Edwy Plenel

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Edouard Glissant s'en est allé, à Paris, au petit matin du jeudi 3 février 2011, à l'âge de 82 ans. Né le 21 septembre 1928, à la Martinique, cet immense poète laisse une œuvre incomparable, dont la poétique fut résolument une politique. Porté par les aspirations de la décolonisation, dont il fut un militant actif, il imagina des émancipations véritables qui ne répéteraient pas les anciennes dominations. Hommage au récitant du Tout-Monde et chantre de la Relation qui fut un compagnon de cœur.

« An neg sé en sièc. » Autrement dit, du créole au français : un nègre, c'est un siècle. Placé par Edouard Glissant en exergue de son Discours antillais (1981), ce proverbe martiniquais dit l'infinie longue durée charriée par la grande humanité issue du chaudron caraïbe, ce laboratoire de la créolisation du monde. Juste au-dessus, il avait posé une autre citation, attribuée à Charles de Gaulle, à l'occasion d'un voyage en Martinique : « Entre l'Europe et l'Amérique, je ne vois que des poussières. » On imagine les yeux rieurs du poète devant cette trouvaille, ce rapprochement aussi ironique qu'implacable. Les puissants ne sont forts qu'en apparence, tant ils sont faibles parce qu'aveugles : ils n'imaginent pas ces fragilités devenues des forces, ces îles s'imaginant en univers, ces poussières réinventant l'entièreté du monde.

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C'est pourtant bien là, dans cette courbe d'archipels où s'inaugura la projection exploratrice et dominatrice de notre Occident européen autour de la Terre, qu'ont été tracées les voies d'une renaissance libératrice, délivrée des pensées de système qui forgent les oppressions et des systèmes de pensée qui fabriquent les soumissions. Oui, là, entre esclavage et marronnage, souffrance et résistance, violence de la traite et invention de la liberté. De ces échappées belles et prometteuses, Edouard Glissant fut le guide inlassable, avec l'acuité du visionnaire et la générosité du conteur.

Son siècle a commencé quand nos empires s'effondraient, au mitan du XXe. Né le 21 septembre 1928 à Bezaudin, en Martinique, dans la commune de Sainte-Marie, sur le flanc volcanique de la Montagne Pelée en son versant océanique, Edouard Glissant est jeune étudiant dans le Paris de l'après-guerre quand il publie ses premiers écrits, œuvres d'emblée matures dont Les Indes (1956), ce chant devenu classique, et La Lézarde (1958), ce roman de l'émancipation salué par le prix Renaudot. Les avaient précédés ou accompagnés, au début des années 1950, Un champ d'îles (1952), La Terre inquiète (1954), Soleil de la conscience (1956): toutes les intuitions primordiales sont déjà présentes dans les premiers coups d'éclat de ce poète d'une vingtaine d'années.

« Je devine peut-être qu'il n'y aura plus de culture sans toutes les cultures, plus de civilisation qui puisse être métropole des autres, plus de poète pour ignorer le mouvement de l'Histoire », écrit-il dans Soleil de la conscience, premier de ses essais où s'invente un style, qu'il affectionnera sur la fin, en écho et résonance de son œuvre proprement poétique et romanesque. Venu de la Martinique et vivant à Paris, il se dit alors « engagé à une solution française » qu'il résume d'une formule où s'affirme d'emblée son refus entêté des identités closes, fermées aux autres et aveugles aux imprévus, refusant les rencontres improbables et n'acceptant que des itinéraires balisés : savoir cultiver, dit-il, « le regard du fils et la vision de l'Etranger ».

Etre à la fois dedans et dehors. Ici et ailleurs. Ici en étant ailleurs. Ailleurs en étant d'ici. Posé sur la frontière et, résolument, passeur de frontières. Telles furent, dès le départ, l'originalité et la puissance de la vision glissantienne. Sa séduction et sa force, sa force de séduction.

Loin de s'achever avec sa mort, le siècle de Glissant ne fait donc que commencer. Car cette ancienne prescience du poète, cette intuition visionnaire du jeune Glissant est l'imaginaire même que réclame notre monde globalisé si, du moins, nous voulons lui éviter la catastrophe annoncée des fuites en avant identitaires, prévaricatrices et guerrières, destructrices de l'homme et de la nature. A la menace d'un monde uniforme, dominé par la marchandise et possédé par la puissance, Glissant opposait son Tout-Monde où les humanités sont multiples, où la diversité est le premier bien commun, où le sentiment de fragilité est la première lucidité et le principe d'incertitude la précieuse boussole.

« L'île suppose d'autres îles », affirmait-il dans L'Intention poétique (1969). Démontant avec patience les fantasmes d'identités à racine unique, mortifères et épuisées, qui traversent sous toutes latitudes nos temps de transition, il délivrait le seul message qui puisse efficacement les combattre. Non pas le refus de l'identité, ni des nations, ni des pays, ni même des frontières, mais l'affirmation de cette évidence que nos identités sont toutes de relation. Tissées d'autres apports, nourries de divers mondes, nées d'imprévisibles rencontres. La diversité est notre similitude et l'ailleurs notre richesse. Notre humanité est d'abord une pluralité : nous sommes faits par le monde que nous faisons et que nous frayons, modelés par les lointains qui nous portent et qui nous croisent.

Poétique et politique de la libération

C'est pourquoi Glissant préférait évoquer des humanités au pluriel plutôt qu'une humanité unique, dont le singulier risque toujours de glisser vers l'univoque, la norme dominatrice et la règle uniforme. De la même façon, il revendiquait le mot de créolisation plutôt que celui de métissage, le second concept pouvant offrir le piège d'une identité nouvelle qui ne serait qu'addition de deux autres, alors que le premier suggère un croisement de rencontres et d'échanges auquel non seulement personne n'échappe mais dont tout un chacun est fabriqué.

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Edouard Glissant à la fin des années 1950

Inlassablement, de tome en tome, son œuvre des dernières années n'a cessé de proposer cet horizon d'espoir à nos consciences inquiètes. Poétique de la Relation (1990, troisième volume de sa Poétique), Traité du Tout-Monde (1997, qui prolongeait Tout-monde, 1993), Une nouvelle région du monde (2006, début d'une Esthétique inachevée), Philosophie de la Relation (2009, sous-titré Poésie en étendue) sont, parmi d'autres, les jalons de cette déclinaison d'une pensée et d'un imaginaire où pourrait se ressourcer un humanisme de fraternité et de solidarité. Exemple, au hasard de son Traité du Tout-Monde : « La pensée de l'Un, qui a tant magnifié, a tant dénaturé aussi. Comment consentir à cette pensée, qui transfigure, sans offusquer par là ni détourner le Divers ? Car c'est la diversité qui nous protège et, s'il se trouve, nous perpétue. »

Dans cette insistance, Glissant ne faisait que conjuguer de nouveau ses lucidités précoces, preuve s'il en était besoin qu'elles ne furent jamais prétextes commodes au repli, dans une tour d'ivoire littéraire le mettant à l'abri des urgences du présent. « La politique était le nouveau domaine de la dignité », écrit-il au contraire dans La Lézarde à propos de son héros Mathieu – prénom qu'il donnera à son dernier fils. Totalement engagé dans le moment décolonisateur des années 1950, il avait anticipé son approfondissement et son dépassement, à rebours de cette répétition des anciennes dominations que furent des indépendances confisquées, dénis de démocratie et exacerbations des identités.

Signataire en 1960 du Manifeste des 121 pour le droit à l'insoumission face à la guerre d'Algérie, Edouard Glissant est alors l'un des fondateurs du Front antillo-guyanais pour l'autonomie qui sera interdit par le pouvoir gaulliste le 20 juillet 1961. Quand il intervient au congrès parisien qui, en avril, précède cette dissolution, c'est pour imaginer des petits pays dont la liberté témoignerait « pour le contact des cultures dans un monde conquis aux cultures complexes ». Jamais reniés, ses engagements d'alors portent la promesse inaccomplie des indépendances, celle qu'aujourd'hui font renaître les manifestants de Tunis ou du Caire en quête d'une nouvelle libération, démocratique et sociale.

Les poètes suscitent le hasard plutôt que d'y croire. Car c'est en Tunisie, à Carthage, que s'est tenu, en 2005, le dernier grand colloque international autour de Glissant, de sa poétique de la Relation et de son rôle de « passeur de mondes », en sa présence. Et c'est aussi en Tunisie que fut enterré, il y aura bientôt cinquante ans, fin 1961, son ami Frantz Fanon qui, d'une colonie l'autre, avait épousé la cause indépendantiste algérienne. Fanon, son aîné, martiniquais lui aussi, qui, dans ces mêmes années 1950, de guerres coloniales et d'émancipations arrachées, lançait à une Europe oublieuse d'elle-même : « Il ne faut pas essayer de fixer l'homme, puisque son destin est d'être lâché. »

C'était dans Peaux noires, masques blancs (1952), paru quatre ans avant le premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, organisé par la revue Présence Africaine à la Sorbonne, en septembre 1956. Fanon et Glissant, le benjamin de l'assemblée, en furent, aux côtés notamment de Léopold Senghor et d'Aimé Césaire. Et Glissant fut aussi du second, tenu à Rome, en 1959. De ces quatre noms qui, sous diverses formes, ont tracé, de l'Afrique à l'Amérique, ce chemin des fiertés reconquises et des humanités reconnues, Edouard Glissant est celui qui fait le lien avec notre époque, ses périls et ses défis.

Pleinement témoin et acteur de cette époque-là, qui fut celle de la « négritude » chantée et revendiquée par et pour toute une humanité, il voyait déjà au-delà. Revendiquant et épousant ce moment nécessaire, il le transformait en même temps, dans une métamorphose qui en sauve l'essentiel. Confiant à Mediapart son hommage posthume à Aimé Césaire, il avait répondu par avance à ceux qui voudraient artificiellement l'opposer à l'auteur du Cahier d'un retour au pays natal. Sous l'hommage au grand aîné perce sa propre définition du poète, ou plutôt d'une poésie qui s'avance au risque du monde.

La négritude de Césaire, écrivait-il, « est à la fois de réveil de la mémoire et d'appel prémonitoire à une renaissance, elle précède en quelque sorte la floraison des négritudes modernes de la diaspora africaine, en ce sens elle diffère de celle de Senghor qui procède d'une communauté millénaire, dont elle résume la sagesse. La poétique d'Aimé Césaire est de volcans et d'éruptions, elle est déchirée des emmêlements de la conscience, parcourue des flots déhalés de la souffrance nègre, avec parfois une surprenante tendresse d'eau de source, et des boucans de joie et de liesse. Le lecteur français lui reproche parfois un manque de mesure, alors même que c'est une poésie toute de mesure, mais cette mesure-là est la mesure d'une démesure, celle du monde. Le poète est celui qui raccorde les beautés de son héritage aux beautés de son devenir dans le monde ».

Cependant, à la différence de Césaire, Glissant, et c'est une autre de ses fortes singularités, ne s'institutionnalisa pas en politique, fût-elle martiniquaise. « L'écriture n'a pas pour objet de précipiter le politique », rappelait-il dans ses Entretiens de Baton Rouge (2008), claire introduction à sa pensée, où il défendait « la nécessité poétique d'échapper à la reproduction simplifiée du politique ». Mais, de ce refus, naquit une invention paradoxale où la politique se veut autre et se fait autrement, trouvant son chemin par le détour d'une poésie toujours curieuse du monde et soucieuse du présent, attentive au malheur et généreuse au bonheur.

Vivant comme la terre, l'eau et les vents

Nous reste aujourd'hui une œuvre immense dont la collation sera un long chantier, tant Edouard Glissant n'était jamais avare de sa création, ajoutant à ses propres écrits cent préfaces amicales et mille conversations passionnées. Poésie sans cesse, mais aussi sept romans depuis La Lézarde, deux pièces de théâtre dont l'inégalable Monsieur Toussaint : l'œuvre littéraire proprement dite (aux éditions Gallimard pour l'essentiel) est un archipel sans fin, où les textes se répondent et se prolongent, illustrant cette unité de la diversité qu'il professait. Mais jamais la construction entêtée de ce monument de littérature ne fut, chez lui, un obstacle à la disponibilité et, ce qui est encore plus rare, à l'admiration.

Seuls les poètes, aimait-il dire, n'ont pas peur d'admirer. Il l'écrit dans La Cohée du Lamentin (2005) à propos de son ami italien Antonio Tabucchi : « Le pur besoin d'admirer n'est pas seulement une amorce mais un véritable engagement au change de soi. Le poète qui se doit à son œuvre est toujours épris de la poésie des poètes. Je change, donc j'échange. » Glissant ne se contentait pas de l'écrire : il lui est souvent arrivé de provoquer des événements où divers artistes et créateurs venaient dire leur admiration en lisant des poèmes. Sa dernière œuvre publiée de son vivant fut un hommage aux autres, une vaste anthologie de la poésie du Tout-Monde (aux éditions Galaade, 2010) au titre bachelardien, La Terre, le Feu, l'Eau et les Vents. Certes, on y croise surtout des poètes, sans hiérarchie de notoriété, mais aussi des improbables en tous genres, philosophes, politiques, cinéastes, peintres, romanciers...

De cette générosité exigeante, comme le sont toutes les franchises, un écrivain peut témoigner plus que d'autres, Patrick Chamoiseau avec lequel Edouard Glissant entretint une relation féconde. Sans doute ne dirons-nous jamais assez ce que nous devons, en tant que citoyens de ce pays-ci, la France, à leur association en forme d'alerte depuis 2007. De leur réquisitoire contre le ministère de l'identité nationale (Quand les murs tombent, 2007) à leur manifeste lors du mouvement social antillais (Pour les produits de haute nécessité, 2009) en passant par leur adresse à Barack Obama (L'Intraitable Beauté du monde, 2008), ils furent des premiers à s'élever en dignité face à l'abaissement national de l'actuelle présidence (voir sous l'onglet Prolonger l'entretien vidéo que nous avaient accordé Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau à cette occasion).

Aucun œuvre n'est donnée, surtout quand elle innove, à rebours des certitudes établies. Aussi doit-on à la vérité de dire que celle-ci ne fut pas sans prix. Toujours au-dessus des plaintes, Edouard Glissant n'en laissait rien paraître mais nous savons combien il dut faire seul son chemin. Empêché de toute carrière dans l'enseignement public après la répression du mouvement national antillais, il créa dans les années 1960 son propre établissement privé, l'Institut martiniquais d'études (IME) où s'épanouissait une pédagogie novatrice, tandis qu'il animait une revue, Acoma, qui s'interrompit en 1973. On le retrouve, à la fin des années 1970 au Courrier de l'Unesco où, autre hasard bavard, il eut pour successeur le tandem égyptien qui a nom Mahmoud Hussein et que sollicitent les actuels événements du Caire.

C'était, sur le papier, l'âge de la retraite, mais, faute de sage carrière, il lui fallait encore gagner sa vie. C'est ainsi qu'il devint enseignant aux Etats-Unis, d'abord à l'université d'Etat de Louisiane, puis à l'université de la ville de New York. On doit à ces années d'enseignement américaines un Faulkner, Mississippi (Stock, 1996), superbe étude de ce frère sudiste en écriture dont il aimait citer ce drôle d'aveu : « I am a failed Poet » – un poète échoué, en somme. On leur doit aussi des recueils d'entretiens qui sont autant d'introductions lumineuses à son œuvre, dont le tout dernier L'Imaginaire des langues (Gallimard, 2010), dialogues avec l'universitaire canadienne et québécoise Lise Gauvin, échelonnés de 1991 à 2009.

Ce long détour américain nous l'a peut-être ravi trop tôt. Tombé malade en allant rejoindre New York, au seuil de l'été dernier, Edouard Glissant n'a pas pu vaincre une accumulation de complications médicales, malgré les efforts attentionnés de son épouse, Sylvie, et de ses proches. Mais au moins cette Amérique fut-elle au rendez-vous de son génie quand la France officielle en fut quelque peu oublieuse, à l'exception notable de Dominique de Villepin qui, premier ministre, lui avait confié une mission sur les Mémoires des esclavages (La Documentation française, 2007).

La proposition qui concluait ce rapport, enterré par le pouvoir sorti des urnes de 2007, est plus que jamais d'actualité : « La grandeur d'un pays ne relève pas d'abord de sa puissance économique ou de ses capacités à se défendre [...] mais de son aptitude et de son audace à proposer le dépassement et l'ouverture d'une nouvelle route planétaire, la Route des solidarités du monde. Elle est plus difficile à baliser que les anciennes Routes de la soie, ou du sel, ou des épices, ou même de l'esclave. Entrons-y pourtant, sans naïveté ni scepticisme.»

Des silences ou indifférences qu'il eut à affronter, Edouard Glissant avait d'autant moins cure qu'un solide entrelacs d'amitiés l'a toujours accompagné. Soutenu par la Région Ile-de-France et par la Fondation agnès b., l'Institut du Tout-Monde en est l'un des lieux de rendez-vous, aussi nomade que son inventeur. C'est sous cette bannière qu'il lui sera dit adieu en France, dimanche 6 février, lors d'une veillée parisienne à la Maison de l'Amérique latine, dirigée par son ami François Vitrani. Puis il s'en ira rejoindre son île-monde, la Martinique.

« S'en aller ! S'en aller ! Parole de vivant ! » : comment ne pas penser à ce cri de Saint-John Perse, son double en poésie, né en Guadeloupe, mais du côté de la plantation et de son ordre, alors qu'Edouard Glissant traçait du côté des mornes, refuges des nègres marrons. Ultime hasard convié à cet hommage, le jeune Alexis Leger et futur Perse était surnommé en créole Ban-moin-lè – donnez-moi de l'air, de l'espace, du vent. Reposant d'ici quelques jours au cimetière marin du Diamant, face au gros rocher solitaire qui ponctue le sud de la Martinique, Edouard Glissant aura de l'air et de l'espace. Et, surtout, il sera vivant.

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Avant de partir, au petit matin du 3 février 2011, Edouard Glissant a en effet eu le temps de dire qu'il avait rêvé qu'on l'élisait ou qu'on le nommait, il ne savait plus trop, comme « âme vivante du monde ». Les poètes n'ont pas peur de l'enfance qui est toujours en eux, comme en chacun de nous. De ses spontanéités et de ses désirs. Et de ses visions et de ses lucidités. Car le poète est toujours un voyant, et Glissant l'aura été jusqu'au bout : il a bien sûr raison puisqu'il nous laisse une œuvre vivante qu'il nous revient de laisser grandir.

Durant notre dernière conversation, alors qu'il était alité depuis plusieurs mois déjà, nous avions évoqué ces Rain Tree, arbres de pluie ou de vie, comme l'on voudra, qui s'épanouissent en laissant proliférer d'autres plantes, lianes et fougères sur leurs troncs et leurs branches. Oui, vivant comme un arbre, et comme la terre, l'eau, le vent qui lui donnent vie.

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