France

Les manifs ont rassemblé au-delà de la gauche

Samedi 4 septembre, les militants associatifs, syndicaux et politiques qui dénonçaient partout en France la politique menée par Nicolas Sarkozy à l'encontre des Roms et des immigrés ont été rejoints par une multitude de «simples citoyens», de gauche, mais aussi de droite. Mediapart leur a donné la parole.

Carine Fouteau

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Un air de 2002 a flotté dans les manifestations qui ont eu lieu, samedi 4 septembre, à Paris et dans 140 villes de France, pour dénoncer la politique «xénophobe» de Nicolas Sarkozy et du gouvernement – en 2002, le 1er mai, après l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé à l'appel d'une centaine d'associations, de la plupart des syndicats de salariés et des partis politiques de gauche, après les déclarations et les mesures ultra-sécuritaires de l'été, concernant aussi bien les Roms et les immigrés que la déchéance de la nationalité.

Symboliquement, le cortège parisien, parti de la place de la République en direction de l'Hôtel de ville, s'est ouvert avec des Roms et des gens du voyage, notamment des Roms roumains, dont le campement a été détruit à la mi-août à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne).

Dans le «carré de tête», Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, à l'origine de la manifestation, se félicite de la «très large mobilisation». «Cela fait bien longtemps que l'ensemble des associations anti-racistes n'ont pas été réunies, constate-t-il. Cela me rappelle un mauvais souvenir: le 1er mai 2002. Les partis de gauche sont là, c'est bien, la majorité des syndicats aussi.»

À la différence de la CFDT, de la CGT, de Solidaires et de la FSU, FO n'a pas appelé à défiler, mais Jean-Claude Mailly, son secrétaire général, a fait le déplacement. «En stigmatisant les Roms et en s'en prenant à la nationalité, affirme-t-il, le gouvernement met en cause le ciment de notre pacte républicain. Il est urgent de réagir, comme il sera urgent d'être présent, le 7 septembre, pour dire non au projet sur les retraites.» Cela devient acrobatique quand il explique pourquoi son organisation n'est pas présente en tant que telle: «Par principe, nous n'appelons à manifester que sur des sujets sociaux. Mais moi, je suis présent, parce que sur les retraites, aussi bien qu'avec la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy, ce sont les valeurs républicaines qui sont menacées.»

Jean-Luc Bennahmias, du Modem, n'est pas non plus à l'aise en tête de cortège. Il se fait prendre à parti de-ci, de-là. «Qu'est-ce que vous faites là? Vous dormez et après vous venez vous montrer, c'est de la récupération!», lui lance un militant excédé. Interrogé sur l'absence du parti centriste, le député européen s'exclame, à la manière de Jean-Claude Mailly, «le Modem est là, puisque je suis là!»

Marie-George Buffet (PCF), Jean-Luc Mélenchon (parti de gauche), Cécile Duflot (les Verts), Olivier Besancenot (NPA) et Jean-Paul Huchon (PS) étaient aussi bien en vue, de même que Bernard Thibault (CGT) et Danièle Mitterrand.

«On en a marre d'être fliqués»

À leurs côtés, moins habitués aux rassemblements médiatiques, des représentants des Roms et des gens du voyage expliquent très concrètement les raisons de leur colère. «On demande le droit de vivre comme tout citoyen, ni plus ni moins. On en a marre d'être fliqués en permanence. Dès que l'on fait un pas, on nous montre du doigt. On n'en peut plus d'être les boucs émissaires de ce gouvernement. Ça ne peut plus durer», indique Michel Debart, de l'Association nationale des gens du voyage catholiques.

«Ce qui se passe ici en France, les destructions de camps, les expulsions, cela me rappelle la Seconde Guerre mondiale. Partout en Europe, quand je me promène, j'ai peur. Les gens nous regardent bizarrement, alors que nous sommes des citoyens européens comme les autres. On dirait que les racines du fascisme sont en train de renaître», s'inquiète Orhan Galjus, directeur de radio Patrin, «la voix des Roms» aux Pays-Bas. Lors de cette journée, des rassemblements ont d'ailleurs eu lieu devant des ambassades françaises de plusieurs pays de l'Union européenne et des rassemblements ont été organisés à Londres, à Bruxelles, à Madrid et à Barcelone.

Le «sursaut citoyen» espéré par les organisateurs a eu lieu. Au-delà des affiliations à telle ou telle organisation, des milliers d'anonymes se sont exprimés. Sur les trottoirs, hors du cortège, chacun marche à son rythme.

«Je ne suis militante de rien, mais je n'en peux plus de la politique du gouvernement», dit Nejma André, 26 ans, consultante. «Cette politique de la peur, de la stigmatisation, ajoute-t-elle, ce n'est plus acceptable. La manière dont les Roms ont été traités cet été, les expulsions, c'est insupportable. Je ne suis pas là pour soutenir un parti. Mais ne pas venir, c'est cautionner.» Sa dernière «grosse manifestation», elle s'en souvient, c'était en 2002 «pour dire non au FN».

Pour Lucie Larmagnac, aussi, sa «dernière fois», c'était en 2002. Cette psychologue d'une quarantaine d'années, «sympathisante de RESF, par l'école» estime «délirants» et «dangereux» les propos tenus et la politique menée par Nicolas Sarkozy contre les Roms et sur la déchéance de la nationalité. Jacqueline Kremski a, elle, 73 ans. Elle regarde passer le cortège, assise sur un banc près de la rue Charlot. «Je suis là parce que je ne peux pas marcher. Mais je soutiens à fond les revendications. Il était hors de question pour moi de ne pas venir. Je suis une enfant d'immigrée, naturalisée française. Qu'on puisse mettre en doute ma nationalité me met hors de moi. Mes parents ont été sans papiers, je suis solidaire. Qu'on assimile l'immigration à la délinquance, qu'on fasse des Roms des boucs émissaires, c'est tout simplement honteux. Ce discours raciste me donne envie de vomir. Ça me remonte le moral de voir tous ces gens défiler, avec des poussettes ou des cannes», même si, pour elle, on est loin de la manifestation de 2002, quand près de 2 millions de personnes se sont retrouvées dans la rue. «J'espère que cette mobilisation dépasse le peuple de gauche. Ce que je remarque, dit-elle depuis son observatoire, c'est que je vois des associations qui ne défilent pas habituellement.» Et elle désigne les drapeaux de la Licra.

«Il y a des Français de souche qui désapprouvent ce gouvernement»

Alain Jakubowicz, le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, reconnaît que son association s'associe rarement à ce type d'événements. «Ce n'est pas dans notre culture d'être là. On ne descend pas dans la rue à tort et à travers. Mais, au nom de notre histoire, nous nous devions d'être présents aujourd'hui. Cette politique du bouc émissaire, on sait où elle commence, on ne sait pas où ça finit. Attention, nous ne faisons pas l'analogie que se permettent certains avec d'autres périodes de l'Histoire. Mais, là, ce sont nos principes fondamentaux qui sont mis à mal: le droit du sol, l'égalité des citoyens devant la loi et l'indivisibilité devant la République.»

Pour être sûr de bien se faire comprendre, il précise: «Notre présence est tout sauf politique, au sens partisan du terme. Ce n'est pas une affaire de droite ou de gauche. L'ensemble des citoyens sont concernés», indique-t-il, avant d'admettre que la participation de la Licra «n'a pas fait l'unanimité auprès des militants», car, ajoute-t-il, «chez nous, il y a des gens de gauche, du centre et de droite».

C'est à quelques pas de lui que défile Agnès Bauche, 61 ans, conseillère municipale UMP de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). «Et oui, je suis là! On peut être de droite et être là! Cette méfiance du gouvernement à l'égard des étrangers, ça me met mal à l'aise, dit-elle. Notre République devrait avoir le souci de tous ceux qui résident ici. Il y a une dérive, au moins dans les mots, avec laquelle je ne suis pas d'accord. La question des Roms est une question difficile. C'est vrai que dans une ville comme la mienne, à 15.000 euros le m2 libre, on ne trouve pas de lieux pour les gens du voyage. Mais au lieu de les expulser, Nicolas Sarkozy aurait pu, au moins, poser le problème. Il a choisé l'axe des Roms car il a pensé que ce serait porteur pour 2012. J'ai une autre conception de la politique.»

Comme Agnès Bauche, Anne-Sophie, 27 ans, ne votera pas Sarkozy lors des prochaines élections. «Je me suis trompée en 2007, j'ai voté pour lui, je le regrette», affirme cette enseignante-chercheuse à l'ENS-Lyon, qui déclare «avoir du mal à se situer politiquement» et n'être «pas du genre à descendre dans la rue pour tout et n'importe quoi». Comme elle est là, elle a des choses à dire: «Je suis venue pour montrer que, dans ce pays, il y a des Français de souche qui désapprouvent ce gouvernement. Cet été, Nicolas Sarkozy a dépassé les bornes. J'ai été très choquée par ses déclarations. Je ne suis pas concernée, parce que je suis française depuis trois générations, mais j'ai pensé à ceux qui pouvaient l'être. Et puis, que les Églises, l'ONU et la Commission européenne réagissent comme ils l'ont fait, cela m'a confortée.»

Ibrahima Dramé, 32 ans, n'a pas eu besoin des déclarations du pape pour se convaincre de descendre dans la rue: «Je suis immigré, je suis sans papiers. Je me suis mis en grève plusieurs mois pour être régularisé. Quand je vois les violences que subissent les Roms, ça me rappelle la manière dont les policiers ont forcé nos piquets de grève.» Il aimerait que cette manifestation soit l'occasion d'un «réveil des consciences de gauche». «Et au-delà», si possible.