France

A Paris, les «bobos de droite» s'organisent contre les caciques de l'UMP

Insatisfaite du visage de la droite parisienne, la jeune garde de l'UMP a décidé de faire entendre sa voix au Conseil de Paris pour constituer "une nouvelle opposition à Bertrand Delanoë" et se débarrasser des caciques du parti présidentiel. Pour ce noyau d'élus qui entend "représenter les bobos de droite", la capitale et sa population ont évolué, la droite doit donc se renouveler. Sous peine de se voir infliger une nouvelle défaite en 2014.

Marine Turchi

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Au lendemain de la défaite de la droite à Paris, Véronique Vasseur, la tête de liste UMP du XIIIe arrondissement, jetait un pavé dans la mare en dénonçant dans Le Parisien « les coups de poignards dans le dos » et en prédisant une « nuit des longs couteaux ». Candidat vaincu dans le VIIIe, Pierre Lellouche n’a pas non plus mâché ses mots, en dénonçant « un assassinat politique en rase campagne ». Une défaite infligée, selon lui, «par [son] propre camp». Et plus précisément par Claude Goasguen et Bernard Debré, élus du XVIe, qui avaient soutenu la candidature de son adversaire François Lebel. Vendredi 21 mars, lors du déjeuner organisé par Bertrand Delanoë après son intronisation, Pierre Lellouche brillait d’ailleurs par son absence dans les rangs UMP.


La droite n’avait pas attendu le verdict des urnes pour se déchirer. Durant la campagne, Françoise de Panafieu a eu bien du mal à tenir ses troupes : listes dissidentes qui ont poussé comme des champignons, parachutés contestés par les sortants, accrochage entre de grandes figures de l’UMP lors d’un meeting dans le XVe, menaces de certains poids lourds de ne pas siéger avec le groupe au Conseil de Paris.

L’heure est désormais aux règlements de compte, mais aussi à la désignation d’un nouveau chef de file. Samedi 29 mars, les 55 conseillers UMP devront choisir qui, de Jean-François Legaret (maire du Ier) ou de Jean-François Lamour (élu du XVe), conduira l'opposition.


C’est dans ce contexte qu’un noyau de jeunes élus UMP a décidé de faire entendre sa voix, emmenés par le fondateur de la «Diagonale» – le mouvement des sarkozystes de gauche –, Thierry Coudert. Il sont pour l'instant sept, mais comptent bien attirer de nouvelles têtes.

Outre Thierry Coudert (50 ans, conseiller du XVIIe et directeur de cabinet de Brice Hortefeux), on trouve Pierre-Yves Bournazel (30 ans, porte-parole de Françoise de Panafieu durant la campagne et élu du XVIIIe), Lynda Asmani (35 ans, tête de liste du Xe, en charge des droits de l’enfant à l’UMP), Roxanne Decorte (tête de liste du XVIIIe et vice-présidente du groupe UMP sortant au Conseil de Paris), David Alphand (38 ans, conseiller du XVIe, meneur de la liste dissidente à celle de Claude Goasguen), Géraldine Poirault-Gauvin, (conseillère du XVe) et Marie-Laure Harel (23 ans, chargée de mission à l’Elysée et colistière de Claude Goasguen dans le XVIe).


« On refuse pour l'instant de créer un groupe à part, on souhaite être un courant au sein du groupe UMP au conseil de Paris, explique Thierry Coudert. On ne se positionne pas contre les autres, on ne veut pas ressasser les querelles entre (Philippe) Goujon, (Claude) Goasguen, et (Pierre) Lellouche, on veut constituer une opposition constructive à Delanoë. » De sensibilités politiques parfois différentes, ils se sont retrouvés sur un même diagnostic de défaite et des idées proches dans la stratégie de reconquête.


Pour Lynda Asmani, ce « club informel » est « représentatif en termes d’âge, de sexe, de géographie. Certains sont des militants de terrain (David Alphand, Géraldine Poirault-Gauvin), d’autres sont des collaborateurs, qui ont du talent, des idées, des réseaux (Pierre-Yves Bournazel, Thierry Coudert) ».

« Défaite historique »

Président de la fédération de Paris et conseiller de Paris (XVe), Philippe Goujon affirme qu' « il faudra bien sûr tirer les conséquences de la défaite et renouveler la droite parisienne », mais que « la défaite a été moins lourde que prévu, la droite a résisté à Paris. [...] Avant de critiquer, chacun doit balayer devant sa porte et assumer sa part de responsabilité », précise-t-il.
Jean-François Lamour insiste quant à lui sur « la nécessité de rassembler » et de « construire une nouvelle forme d’opposition », tout en soulignant que « la campagne a été utile : on conserve nos huit arrondissements, et, en dehors de Véronique Vasseur et Françoise de Panafieu, toutes les têtes de listes restent et s’implantent, et ce malgré les difficultés ».

Un discours que récuse en partie le "club des sept ". « J’ai été étonnée, lors des premières réunions [au lendemain de la défaite] de voir que l’UMP était assez satisfaite, souligne Roxanne Decorte. Il faut tirer les leçons, se demander pourquoi on a subi un échec, comment on peut améliorer la situation et repartir dès aujourd’hui à la reconquête. »
David Alphan va plus loin. Pour lui, il s’agit non seulement d’une « défaite historique de la droite à Paris », mais « s’il n’y a pas de sursaut, en 2014 la droite peut perdre y compris dans le 15e ou le 17e ». Il dénonce « un renouvellement en trompe-l’œil »:
Porte-parole de Françoise de Panafieu durant la campagne et l'un de ses fidèles collaborateurs depuis trois ans, Pierre-Yves Bournazel se montre moins sévère à l’égard du chemin effectué par sa marraine politique. Pour lui, « l’évolution sociologique nous oblige aujourd’hui à faire une révolution idéologique ». Une révolution qu’a enclenchée Françoise de Panafieu, d'après lui :

Pour Roxanne Decorte, Françoise de Panafieu « a donné le meilleur d’elle-même » mais « tout le monde n’a pas forcément joué le jeu à 100% ». Elle évoque un « phénomène Ségolène Royal » :


Pierre-Yves Bournazel affirme ne pas vouloir « tomber dans la distribution des bons et des mauvais points ». « C’est collectivement qu’on doit se poser la question. Tournons cette page et n’ayons qu’une obsession, reconquérir Paris en 2014 », explique-t-il. Avant de reconnaître : « Les divisions de la droite n’ont pas aidé. Les gens ont eu l’image d’une droite désunie et ils se sont dit "ce sont les mêmes et les mêmes méthodes". Ça a pu dégoûter une partie de notre électorat. »

Parachutés et nouvelle génération

« On prend les mêmes et on recommence. » C’est précisément ce que dénonce Lynda Asmani: « On ne peut plus reconstruire Paris avec ceux-là mêmes qui sont élus à Paris depuis plus de vingt ans, qui ont contribué à sa perte, aux divisions parisiennes, qui ont fait des putschs, soutenu à la fois les dissidents et les officiels. »
Roxanne Decorte l’assure, si elle a « limité la casse dans l’arrondissement de Bertrand Delanoë », c’est parce que sa liste était « très ancrée dans le XVIIIe »:

David Alphan déplore quant à lui que la fédération n’ait pas réussi à « détecter les nouveaux profils, les compétences » parmi son vivier de 30.000 adhérents. Dans son arrondissement, il s’est élevé « contre les parachutages et l’âge du capitaine » pour dénoncer « la liste du bicentenaire » :

Pour Thierry Coudert, le renouvellement générationnel est d’autant plus nécessaire que la sociologie de Paris a considérablement changé. Le chef de file des « sarkozystes de gauche » prétend, « pour résumer et un peu par provocation », représenter « les bobos de droite ». « Notre campagne n’a pas su conquérir ce public "bobo" que captent notamment le MoDem et le PS. Il faut prendre en compte les aspirations d’un public qui a évolué, d’une nouvelle population avec des revendications en termes de cadre de vie, d’environnement, et un revenu mensuel cinq fois plus important. Si la droite ne change pas, elle continuera à perdre des électeurs. »

Objectif reconquête

Pour Roxanne Decorte, la reconquête de Paris doit se préparer « dès maintenant » grâce à « un vrai maillage sur le terrain avec les militants, […] un journal d’opposition local » mais surtout avec « davantage de moyens, notamment dans les arrondissements détenus par la gauche ».
L’élue du XVIIIe réclame également « un séminaire à bâtons rompus où chacun s’exprimerait sans tabous sur ses regrets, ses souhaits. Pour l’instant on n’a pas eu de grande réunion de confrontation d’idées. […] L’autre jour, en réunion de groupe, on nous a annoncé que Pierre Charron serait vice-président du conseil général. Ça aurait été bien qu’il y ait un vote, ou au moins un débat. Et non, on fait comme avant! »

« Si on veut regagner Paris, il faut changer de méthode et d’état d’esprit », affirme David Alphand, qui préconise de s’appuyer « sur l’exemple de Nicolas Sarkozy à la présidentielle ». « Il faudra être à la fois offensif et constructif parce qu’on ne peut pas se contenter de cogner sans discernement sur Delanoë comme l’ont fait des élus lors de la précédente mandature. »

Pierre-Yves Bournazel mise quant à lui sur trois éléments : « Le visage que nous allons montrer de nous en terme d’équipe ; notre projet et notre capacité à être des élus modernes ; les divisions et désillusions qui pourraient émerger dans l’autre camp. Bertrand Delanoë n’ira sans doute pas jusqu’au bout de son mandat. Anne Hidalgo voudra prendre sa suite, mais les [Patrick] Bloche et les [Jean-Marie] Le Guen ne la laisseront pas faire ! »
Sur le fond, la jeune garde compte bien titiller Bertrand Delanoë sur les grandes thématiques (le logement, le grand Paris, la politique d’urbanisation et la construction de tours, le péage urbain, la saturation des sous-terrains est-ouest, la poltique culturelle), tout en décomplexant la droite sur les questions sociétales.


« Sur les tours, il faut aller plus loin que Bertrand Delanoë. Il faut avoir une vision d’ensemble, mêler activité économique et logement. C’est la manière de penser la ville qui est en jeu », explique Thierry Coudert. « Mais nous serons une opposition constructive. Il ne s’agira pas de dire, par exemple, "le tramway, c’est idiot", mais plutôt "il n’est peut-être pas placé au bon endroit, il ne doit pas être une barrière supplémentaire". » « Il ne doit pas y avoir de sujet tabou, souligne David Alphand. La question du péage urbain doit être mise sur la table, elle a été évacuée en quelques jours pendant la campagne, et n’a pas été assez relayée par nos leaders.»

Quel chef de file?

Jean-François Lamour ou Jean-François Legaret ? « On votera pour celui qui sera prêt à nous laisser le plus d’espace et qui sera dans la démarche la plus ouverte », affirme Thierry Coudert. « Jean-François Lamour pourrait apaiser les choses, explique Lynda Asmani. Il incarne la nouvelle droite à Paris, il a toujours veillé à ce que la diversité soit respectée. Il n’est pas jeune en politique mais nouveau au conseil de Paris, il n’est dans aucun clan politique. C’est peut-être ça qu’il faut aussi pour réconcilier la droite, avant de réconcilier l’est et l’ouest parisiens. Personnellement, je fais le pari qu’il se placera sur ses valeurs d’ancien sportif de haut niveau, au-delà des magouilles. »

Mediapart s'est procuré les professions de foi des deux candidats, que vous pouvez lire

ici © Marine Turchi/ Mediapart (pdf, 0 B)

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Jeudi 27 mars, les sept conseillers ont rencontré tour à tour les deux candidats. A l'issu de ces réunions, rien n'était encore tranché. « Chacun de nous est partagé, il faut qu'on en reparle, explique Thierry Coudert. Mais Jean-François Legaret a montré un grand enthousiasme par rapport à la nécessité de renouveller la classe politique et de faire de la place aux jeunes ».


A terme, le "club des sept" ne cache pas son ambition de constituer « l’aile progressiste de l’UMP ». Reste à savoir si ce rapprochement de circonstance résistera aux clivages idéologiques étant donné les sensibilités différentes de ses membres. « Ce noyau est aussi un regroupement de gens politiquement isolés, explique un conseiller de Paris. Pierre-Yves Bournazel se retrouve orphelin de Panafieu, David Alphand était dissident dans le XVIe, Marie-Laure Harel était une jeune sur une liste de vieux, Lynda Asmani a fait face à des problèmes dans le Xe. » En attendant, les sept ont commencé par signer une tribune commune dans Le Monde de vendredi 28 mars.

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