Julian Assange a obtenu jeudi l'asile de l'Equateur. Pourtant, la police britannique refuse toujours de le laisser sortir libre de l'ambassade d'Equateur où il est réfugié. Les deux pays campent sur leurs positions. D'un côté, les Britanniques assurent qu'ils arrêteront le porte-parole de Wikileaks pour le livrer à la justice suédoise qui veut l'entendre dans une affaire d'agression sexuelle. De l'autre, l'Equateur crie aux violations des règles internationales de protection des réfugiés.
Au-delà du combat de coqs médiatique que se livrent les deux gouvernements, que dit réellement la loi de la situation dans laquelle se retrouve Julian Assange ? On a beau chercher, le porte-parole de Wikileaks est dans une impasse juridique.
- La police britannique peut-elle pénétrer dans l’ambassade ?
Pénétrer dans les locaux d’une ambassade, sans l’autorisation du chef de mission diplomatique, c'est-à-dire de l'ambassadeur, constituerait une violation de l’article 22 de la Convention de Vienne, que le Royaume-Uni a ratifiée en 1985. La Convention est très claire : « Les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission. »
Les Britanniques évoquent cependant une loi interne qui leur permettrait de violer ces règles internationales et de lever l’immunité d’une ambassade sur leur territoire : le Diplomatic and Consular Premises Act. Cette loi a été votée en 1987, trois ans après l’assassinat d’une policière lors d’une manifestation devant l’ambassade de Libye à Londres. La rafale de coups de feu provenait de l’intérieur de l’ambassade.
Mais cette loi est difficilement applicable au cas Assange. Elle ne peut être invoquée en effet qu’en cas de menaces pour la « sécurité du public », « la sécurité nationale » ou un « plan d’urbanisation ». La présence dans une ambassade d’une personne recherchée par la police ne peut donc pas justifier une violation territoriale.
Et les autorités britanniques ne peuvent raisonnablement pas s’aventurer sur ce terrain. Elles seraient, à coup sûr, déboutées en cas de plainte de l’Equateur auprès de la Cour internationale de justice, en charge de l’application de la Convention de Vienne. Le chef de la diplomatie britannique, William Hague, l’a d’ailleurs concédé hier, lors de sa conférence de presse, il n'y aura pas de prise d'assaut de l'ambassade.
Mais il leur reste un joker. Selon le Guardian, les Britanniques cherchent à saisir un tribunal pour montrer que l’Equateur est allé contre le droit international en accordant l’asile politique à un fugitif, ce qui leur donnerait le droit de lever le statut diplomatique de l'ambassade en évoquant une menace pour la sécurité nationale. Mais encore une fois, la CIJ ne l'entendrait sûrement pas de cette oreille.
En attendant, le statu-quo demeure et Julian Assange est toujours coincé dans l’ambassade.
- Julian Assange peut-il s’échapper de l’ambassade ?
Alors que la police de sa Majesté bloque tous les accès à l’ambassade d’Equateur, l’Australien pourrait se faufiler dans une valise diplomatique qui, normalement, ne peut être ni ouverte, ni retenue par qui que ce soit, ni même passée aux rayons X. Cette « valise » peut avoir n’importe quelles dimensions, tant qu’elle porte le sceau de l’ambassade, et peut donc prendre la forme d’un container.
Mais, comme le rappelle le site des affaires étrangères françaises, l’article 35 de la Convention de Vienne prévoit que « si les autorités compétentes de l’État de résidence ont de sérieux motifs de croire que la valise consulaire contient d’autres objets que la correspondance, les documents et les objets visés (par la convention de Vienne), elles peuvent demander que la valise soit ouverte en leur présence par un représentant autorisé de l’État d’envoi ».
La police britannique a donc toutes les raisons de réclamer le contrôle des valises diplomatiques un peu trop surdimensionnées émanant de l’ambassade d’Equateur. Sinon, sans aller jusqu'à demander d'ouvrir la valise, elle peut tout simplement refuser de lui laisser passer la frontière.
Encore une fois, le cofondateur de Wikileaks doit trouver autre chose.
- Et si l’Equateur donnait un passeport diplomatique à Julian Assange ?
L’Equateur pourrait en effet accorder un passeport diplomatique à Julian Assange le temps qu’il s’enfuie de l’ambassade en véhicule diplomatique, soumis aux mêmes règles que la valise diplomatique : pas de fouille, pas d’immobilisation.
Cette immunité du véhicule interdirait aux policiers anglais de faire sortir Julian Assange de la voiture. Mais s’il sort de son véhicule – pour se rendre à l’aéroport, par exemple –, il ne sera plus protégé. Car Julian Assange aura beau être titulaire d’un passeport diplomatique, « aucune législation n’existe en matière de protection accordée par le passeport diplomatique à des non-diplomates », comme l’explique la juriste Marie-Caroline Caillet, dans une note pour l’association Sherpa. Les conclusions de cette note sont confirmées par un juriste du Quai d'Orsay.
Le passeport diplomatique ne servirait donc à rien dans le cas de Julian Assange. L'Equateur ne peut pas non plus lui offrir l'immunité diplomatique en le nommant diplomate. Car, outre le fait qu'il faut avoir la nationalité du pays, donc être équatorien, il faut en plus être reconnu par le pays d'accueil, donc par le gouvernement britannique.
- Les Britanniques peuvent-ils être contraints à fournir un laissez-passer à Julian Assange ?
Non, répond un expert juridique du Quay d'Orsay en s'appuyant sur le droit international. Les Britanniques sont donc dans leur droit en refusant catégoriquement d'octroyer un sauf-conduit au cofondateur de Wikileaks. Le ministre des affaires étrangères équatorien, Ricardo Patino, a pourtant affirmé, jeudi, qu’il n’excluait pas de saisir la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye pour contraindre la Grande-Bretagne à accorder ce sauf-conduit à Julian Assange pour qu'il rejoigne l'Equateur. L’idée a été également évoquée par l'ex-juge espagnol, Baltasar Garzon, en charge de sa défense.
Les Britanniques insistent sur leur obligation légale d’extrader Julian Assange. L’article 1 de la Convention européenne sur les extraditions oblige les pays signataires, dont le Royaume-Uni et la Suède font partie, de « se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante ». Sauf que Julian Assange n’est nullement inculpé en Suède. La justice le demande comme simple témoin. A priori, il ne pourrait pas être extradé de force.
En plus d'une issue plus qu'incertaine, une procédure à la CIJ durerait des mois. Pour le moment, Julian Assange ne peut toujours pas s’échapper de l’ambassade d’Equateur.
- Et la Cour européenne des droits de l’homme ?
Julian Assange affirme être menacé d’une nouvelle extradition vers les Etats-Unis, une fois transféré en Suède. Selon un mail publié sur le site de Wikileaks, et adressé par le vice-président de la société de surveillance privée Stratfor à des subordonnés, fin février 2012, les États-Unis auraient en effet lancé un « acte d’accusation secrète » contre Julian Assange. S’il y est jugé, Julian Assange risque la peine capitale.
De quoi déplaire à la Cour européenne des droits de l’homme que Julian Assange peut saisir, puisqu’il a épuisé tous les recours permis par la justice britannique. Dans leurs jurisprudences en effet, les juges interdisent à un pays d'extrader une personne dans un pays s'il y risque la peine de mort. Cette jurisprudence remonte à l’affaire Soering contre Royaume-Uni en 1989. Le pays voulait extrader le ressortissant allemand Jens Soering, accusé d’assassinat dans l’Etat de Virginie. Les juges avaient décidé que « l’extradition du requérant vers les Etats-Unis d’Amérique non seulement l’exposerait à une peine ou un traitement inhumains ou dégradants, mais aussi et surtout violerait son droit à la vie » et avaient donc fait annuler l’extradition.
Mais, dans le cas de Julian Assange, rien ne prouve que la Suède compte bel et bien extrader Assange vers les Etats-Unis. D'ailleurs, le porte-parole du gouvernement suédois, Anders Jörle, a assuré qu'« il n'y aucune demande d'extradition de la part des Etats-Unis ». Quoi qu'il en soit, compte tenu de la jurisprudence de la CEDH, la Suède ne peut juridiquement pas extrader Julian Assange s'il s'avère qu'il y risque effectivement la peine de mort.
- Mais alors, quelle solution pour Julian Assange ?
Rester dans l’ambassade. Pour mémoire, l’évêque anti-communiste Jozsef Mindszenty était resté 15 ans réfugié dans l’ambassade des Etats-Unis en Hongrie entre 1956 et 1971. Condamné à la prison à vie pour trahison en 1949, l’opposant s'était évadé lors de l’insurrection de Budapest en 1956.
Sans toutefois faire référence à l'histoire, le ministre des affaires étrangères britannique, William Hague, a d’ailleurs affirmé qu’il n’y avait « pas de limite de temps » pour résoudre le problème...