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SNCF: comment cacher la hausse des prix des billets

Acheter un billet de train est devenu un parcours du combattant. Plus question d'arriver les mains dans les poches à la gare et de sauter dans le premier train venu : depuis la mise en place par la SNCF d'une nouvelle politique tarifaire, dite de «yield management», un déplacement en train se prépare de plus en plus comme un voyage en avion. Avec des avantages - des tout petits prix pour ceux qui, libres comme l'air, peuvent partir en choisissant à l'avance leur date - et des inconvénients payés au prix fort pour les trajets contraints et non prévisibles. Les associations de consommateurs dénoncent derrière ce maquis tarifaire des hausses de prix injustifiées.

Louise Fessard

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Lire aussi notre petit journal du "crash" du site de la SNCF sous l'onglet "Prolonger"

Début juillet, les billets en seconde classe des train Corail Intercités, Corail de jour, Téoz et trains express régionaux (TER) ont augmenté de 2,5 % (entre 10 centimes et 2,20 € en fonction du trajet) et les cartes senior (56 €) et enfant (70 €) de un euro. Soit moins que l'inflation (3,3% en mai sur un an) donc a priori pas de quoi déclencher une telle bronca des associations de consommateurs.

Et pourtant... Sur le site du magazine 60 millions de consommateurs, un internaute, Loïc, dit constater une «envolée des prix» de la SNCF, «20 à 30% en moyenne sur les trajets Paris-Lyon avec carte de réduction, et je m'y prends au plus tard 15 jours avant ! Jouissant d'un monopole, c'est scandaleux! ».L'entreprise publique est de plus en plus attaquée pour une hausse en trompe-l'œil des prix des billets, notamment par une augmentation du nombre de périodes de pointe, et une politique tarifaire opaque.

En juin, un député UMP, Hervé Mariton, a décidé de plonger son nez dans la politique tarifaire de l'entreprise publique et doit rendre son rapport en octobre ; le magazine 60 millions de consommateurs vient de lancer un appel à témoignages : « La SNCF multiplie les offres à bon prix. Profitez-vous vraiment de ces petits tarifs ? Le système de tarification vous semble-t-il transparent ?»

En théorie le prix d'un billet dépend du nombre de kilomètres parcourus -avec une dégressivité- mais de plus en plus, il est fixé comme un prix de marché, dépendant de l’offre et de la demande, et varie de manière peu transparente selon les destinations, les jours et les heures. C'est ce qu'on appelle le «yield management», une technique de marketing empruntée aux compagnies aériennes.

La SNCF se refuse à donner une évolution précise des prix sur les dix dernières années, son offre n'étant pas constante (ouverture de nouvelles lignes, évolution de la concurrence, temps de trajet diminué). Tour de piste de trois petites «entourloupes» à la sauce SNCF.

TGV : plus rapide mais aussi plus cher et moins transparent

L'ouverture de lignes TGV provoque une hausse des tarifs, d'environ 20% par exemple sur la ligne TGV Est mise en service en juin 2007. La Fédération nationale d'usagers des transports réclame depuis longtemps un maintien d'un train Corail -moins cher- quotidien sur les lignes TGV.«Une personne âgée avec une petite retraite se fiche bien de mettre deux heures de moins pour aller à Paris», remarque Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut).

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Cliquez sur la carte ou ici pour la voir en grand.

D'autant que le prix des billets TGV, qui a augmenté de 5% en janvier 2008, prendra bien plus en janvier 2009, en raison du renchérissement des péages ferroviaires que la SNCF verse à Réseau ferré de France (RFF) pour l'utilisation des voies ferrées.

La SNCF redonne environ 30% du coût moyen d'un billet de TGV (42 euros) à RFF pour l'entretien et les investissements sur les voies (voir répartition d'un billet de TGV dans l'onglet «prolonger»).

Faire payer au voyageur l'entretien des voies, pas de problème dit la Fnaut. Mais pour le développement du réseau ? Une ineptie selon Jean Sivardière, pour qui, en ces temps de Grenelle de l'environnement, il serait plus logique de taxer les voyageurs qui choisissent l'avion sur des trajets intérieurs, comme Paris-Marseille, plutôt que les utilisateurs «vertueux» d'un moyen de transport écologique.

De plus, contrairement aux trains régionaux, il n'existe pas de calendrier écrit des périodes de pointe - synonymes de tarif plus élevé - pour les TGV. Le voyageur ne découvre si son TGV est en période d'affluence ou non qu'au moment d'acheter son billet. « Nous réfléchissons à la réalisation d'un calendrier des périodes de pointe qui serait inclus dans le guide du voyageur, explique-t-on à la direction commerciale du TGV. Mais c'est difficile parce qu'il y a plus de 800 TGV et que les périodes d'affluence varient ligne par ligne»

Trains régionaux : multiplication des périodes de pointe

Le 6 juillet 2008, la SNCF a discrètement multiplié les périodes de pointe, dites «périodes blanches», où les tarifs sont plus élevés, pour inciter voyageurs «qui ont le choix» à partir à des horaires moins demandés, dits «périodes bleues».

Sur le site de 60 millions de consommateurs, Ylek, «furibarde» en découvrant les nouvelles périodes blanches, se demande si elle peut porter plainte contre la SNCF. Elle n'y comprend plus rien : «J'ai une carte 12-25 depuis qu'il ont modifié leurs politique tarifaire je ne sais plus à quoi j'ai le droit comme réduction (-60, -50 -25%) ? C'est pas clair tout ça.» Aux yeux de la Fnaut, le changement de calendrier constitue presque une rupture de contrat unilatérale envers les acheteurs de cartes commerciales - 10% des voyageurs selon la SNCF - qui bénéficient de réduction sur les périodes creuses.

A l'origine, les périodes blanches ne concernaient que les veilles et retour de week-end, depuis le 6 juillet, elles sont quotidiennes : le matin (6h30-8H) et le soir (17h-18h30) des jours de semaine aussi.

La carte 12-25 ans permet par exemple d'obtenir une réduction de 50% en période bleue -dans la limité du quota de places disponibles- et de 25% en période blanche. Ainsi un billet Strasbourg-Lyon partant un mardi matin à 6h20, donc en période creuse, coûtera 25 euros au jeune porteur de cette carte. Il économise 25 euros sur le tarif plein. Mais pour faire le même trajet à 17h16, donc lors d'une des nouvelles périodes de pointe instaurées, il devra désormais débourser 37,5 euros*.

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Le calendrier des périodes bleues (heures creuses) et blanches (heures de pointe), avant le 6 juillet (en haut) et après (en bas).

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«Du fait d'une meilleure offre et de l'augmentation du prix du pétrole les TER ont été victimes de leur succès notamment le matin et les heures dites «creuses» ne l'étaient plus», explique la SNCF. Entre 1997 et 2004 le TER a ainsi gagné plus de deux milliards de voyageurs-kilomètres, selon une étude de janvier 2006 du ministère des transports.

«Ce n'est pas stupide sur une ligne comme Paris-Rouen fréquentée par beaucoup de gens allant travailler, d'inciter les autres à décaler leur voyage, note Jean Sivardières. Mais comment font-ils sur des lignes transversales, comme Orléans-Lyon, où l'unique aller-retour quotidien se retrouve justement en heure de pointe ? »

*(Paradoxalement sur ce train de 17h16, censé être en période d'affluence, la SNCF propose des billets Prem's à 17 euros, une offre commerciale mise en place pour inciter les gens à voyager en période creuse. Alors période d'affluence pour les billets «loisir» et période creuse pour les billets Prem's ? )

Les offres promotionnelles : petit prix contre fortes contraintes

La SNCF multiplie les promotions pour ceux qui réservent longtemps à l'avance, mais les billets acquis sont non-échangeables et non-remboursables, ce qui peut dissuader les plus désargentés.

D'abord, en dehors des heures d'affluence, les billets prem's à 17-25 euros, mis en ligne trois mois avant le départ. Et depuis le 4 juillet 2008, les billets «prêt à partir» en expérimentation vers Marseille, Montpellier, Lyon, la Rochelle et Bordeaux : le dernier TGV du vendredi et du dimanche soir est désormais à 25€ ou 45€.

Depuis 2004, IDTGV, une filiale de la SNCF - d'abord de droit privé puis réintégrée dans l'entreprise publique suite aux protestations des cheminots, propose également des billets iDTGV, vendus exclusivement sur internet et à imprimer soi-même. Là, la nouvelle politique tarifaire joue à plein : des prix très attractifs sont proposés aux personnes réservant quatre mois à l'avance, puis les prix augmentent pour les tranches de places mises en vente plus tard, plus près de la date de départ.

Non-remboursable, le billet est échangeable - à des conditions draconiennes - uniquement contre un autre billet iDTGV de tarif au minimum égal. Des prix très attractifs sont proposés aux personnes réservant longtemps à l'avance (4 mois), mais cela ne concerne au mieux que 10 % des places offertes, puis les prix augmentent pour les tranches de places mises en vente plus tard, plus près de la date du départ et peuvent même dépasser le plein tarif des autres TGV

Arme de guerre sur 20 destinations desservies par les compagnies aériennes low-cost, iDTGV permet aussi à la SNCF de se faire peur en simulant l'arrivée d'un compétiteur, avant l'ouverture à la concurrence sur les trajets internationaux en 2010.

Petit prix mais fortes contraintes - billet non remboursable, difficilement voire non-échangeable, et à des horaires et dates fixés par la SNCF.

En multipliant ces offres (Prem's, Prêt à partir, iDTGV), la SNCF a favorisé la création d'un marché parallèle. Sur des sites gratuits -financés par la publicité- comme Trocdesprems, Zepass ou Kelbillet, les gens contraints d'annuler leur voyage revendent leur billet à d'autres particuliers. C'est légal tant que le billet n'est pas nominatif - comme par exemple les billets achetés en ligne et à imprimer soi-même - ou revendu plus cher.

Depuis la nouvelle offre tarifaire d'octobre 2007, même pour les billets normaux - dits «offre loisir» - il n'est plus possible d'échanger gratuitement le billet le jour du départ : ce service est facturé 10 euros, ou 3 euros pour les possesseurs d'une carte de réduction. Seule l'«offre pro», plus couteuse, permet de changer gratuitement son billet jusqu'au dernier moment.

Dans ce maquis d'offres, difficile d'évaluer la réduction réelle obtenue et ce qu'on a perdu en contrepartie en souplesse d'utilisation. Mais en résumé : soit vous avez de l'argent et vous pouvez sauter dans le premier train venu en payant le prix fort, soit vous êtes limité au niveau budget et vous devez alors réserver votre place longtemps à l'avance et vous plier aux contraintes de la SNCF .

Au cœur du problème : le «yield management»

Tant et si bien que le député UMP Hervé Mariton a décidé de se pencher sur la question et publiera en octobre un rapport sur la politique tarifaire de l'entreprise publique. «Je veux comprendre la politique tarifaire de la SNCF sur laquelle l'actionnaire (l'Etat, ndlr) n'a pas jusqu'ici exprimé une très grande curiosité», explique le rapporteur spécial du budget des transports.

Au cœur du problème la mise en place par l'entreprise publique du «yield management», une méthode marketing consistant à moduler les prix en fonction du niveau de demande, très utilisée dans le secteur aérien. Cette méthode est particulièrement adaptée à des secteurs comme celui des transports de voyageurs où les frais sont fixes et où il convient de limiter le nombre de places vides, le coût d'un trajet étant quasiment fixe par rapport au nombre de voyageurs.

Cet ajustement des prix amène l'entreprise à proposer les services à des prix différents en fonction des personnes à qui elle s'adresse : faire dépenser le maximum à ceux qui sont en mesure de le payer et attirer les clients prêts à accepter certaines contraintes pour payer moins cher.

Les critères principaux sont les suivants : socio-professionel (tarifs pro), âge (carte 12/25, carte senior), période ou fréquence de consommation du service (billet Prem's, Prêt à partir, carte Escapade, carte de fidélité), géographique (offres spéciales pour les résidents de la région). L'écart de prix peut ainsi aller de un à dix sur un trajet en TGV Paris Marseille.

Une politique qui permet de rentabiliser le parc de la SNCF en remplissant les trains et en s'approchant du prix maximum que chaque voyageur est prêt à débourser. Mais qui provoque pas mal de frustrations chez certains passagers. «Ça fonctionne bien pour le bobo parisien qui a de l'argent, sait se servir d'internet et peut improviser son week-end, note Jean Sivardières. En revanche les familles de condition modeste qui ont besoin de prendre le train tel jour, à telle heure, par exemple pour le décès de la grand-mère, n'en profitent pas.»

Dans son «offre Loisir», la SNCF table donc sur un idéal-type de voyageur extrêmement mobile, quasi indifférent quant à sa destination et libre de toute contrainte horaire.

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Cas extrême illustrant ce présupposé : sur le site Voyage SNCF, la page «bons plans du net» propose deux possibilités : «Vos dates sont fixes et vous cherchez une idée de destination» ou «Vous connaissez votre destination et cherchez le meilleur prix (à n'importe quelle date, NDRL)». Dommage si vous cherchiez juste un tarif honnête pour partir le lendemain - votre jour de congé par définition fixe - voir votre grand-tante - qui habite à Villedieu-les-Poêles et pas ailleurs.

Voir les annexes de cet article