Économie et social

La Caisse des dépôts va changer de stratégie... et de patron

L'Elysée souhaite changer la stratégie de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pour qu'elle se transforme en un fonds souverain, sur le modèle des grands fonds asiatiques ou arabes. Au détour, Nicolas Sarkozy évincerait l'actuel directeur général, Augustin de Romanet, un proche de Jacques Chirac, et mettrait dans la place un homme d'affaires très proche de lui. Il garderait ainsi la main sur l'institution financière la plus importante en France.

Laurent Mauduit

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Plongée dans des turbulences sans fin depuis plusieurs mois, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pourrait connaître dans les prochains mois une nouvelle crise avec l'éviction probable de son directeur général, Augustin de Romanet. Selon de très bonnes sources, recueillies par Mediapart, l'Elysée envisage en effet de prendre prétexte de la réforme de la gouvernance de l'institution et de sa transformation en un fonds souverain, pour mettre à sa tête un nouveau patron.

En théorie, l'Elysée n'a pas les moyens de pousser sur la touche l'actuel patron de la CDC. Même si l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée a été nommé par Jacques Chirac au poste de directeur général de la très puissante institution financière juste avant l'élection présidentielle -ce qui a été, à l'époque, vivement critiqué-, il est maintenant quasi inamovible pendant cinq ans. Et la CDC occupe une place singulière : statutairement, elle est placée sous la tutelle non pas du pouvoir exécutif mais du Parlement.

Pourtant, l'Elysée a bien l'intention de passer outre et de mettre dans la place un proche du chef de l'Etat. La loi dite de modernisation de l'économie, qui sera bientôt entérinée par le Parlement, prévoit une modification des règles de gouvernance de la CDC et un élargissement de sa Commission de surveillance. L'Elysée pourrait donc prendre prétexte de ces modifications pour changer, à la fin de l'été, le patron de la maison.

Parmi les noms envisagés par la présidence pour diriger la CDC - dont tous n'ont pas encore fait l'objet de démarches d'approche -, l'un d'eux revient avec insistance, celui de Pierre Mariani. Ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy à l'époque où il était ministre du budget (1993-1993), l'intéressé est aujourd'hui l'un des «barons» de BNP Paribas, dont il dirige la division «services financiers et banque de détail à l'international». Ami et confident du chef de l'Etat de très longue date, il a, dans les coulisses, joué un rôle important dans la confection du programme économique du président de l'UMP pendant la campagne présidentielle. Il n'est pas sûr pourtant que l'intéressé accepte de délaisser son métier de banquier pour revenir dans l'orbite publique, même si Nicolas Sarkozy le lui demande. Auquel cas, le choix devra se porter sur un autre postulant.

Transformation de la CDC en fonds souverain

Ce mouvement, s'il se confirme, constituera une nouvelle secousse pour la caisse, qui en a connu beaucoup ces derniers temps. Augustin de Romanet, lui-même, en a suscité de nombreuses. Multipliant depuis un an les embauches de cadres proches de Jacques Chirac, il a même demandé à l'Elysée – et obtenu – la tête de son numéro deux, Dominique Marcel, l'ancien directeur adjoint du cabinet de Lionel Jospin à Matignon. Le piquant de l'histoire, c'est qu'Augustin de Romanet risque d'être envoyé à la tête de l'une des principales filiales de la caisse, la CNP ; poste qu'il a refusé, sur ordre, de confier à Dominique Marcel, sans savoir qu'il lui était à son insu... réservé.

Si Nicolas Sarkozy envisage ce jeu de chaises musicales, c'est pour transformer les missions de la CDC. Lors de son voyage au Creusot, le 3 juillet, le chef de l'Etat l'a dit clairement : « J'ai bien l'intention de faire de la Caisse des dépôts et consignations un fonds souverain.» Le projet présidentiel, dont le détail n'est pas connu, soulève de nombreuses interrogations. Car si le but est de permettre à un organisme public ou para public français de disposer d'une force de frappe financière équivalente aux grands fonds souverains arabes ou asiatiques, la CDC n'y suffirait pas. Il faudrait envisager de constituer un fonds beaucoup plus large, regroupant par exemple – c'est l'idée du socialiste Laurent Fabius – la CDC et le Fonds de réserve des retraites ; et y adosser d'autres alliés, telle la CNP.

Or, à l'évidence, on n'en prend pas le chemin. Le Fonds de réserve des retraites (FRR) gère avec précaution les actifs qui lui sont confiés. Et de surcroît, l'Etat a cessé depuis longtemps de lui apporter des recettes importantes, comme celles générées par les privatisations. L'idée d'abord lancée par Edouard Balladur puis reprise par la gauche de faire du FRR une immense puissance financière est depuis longtemps en déshérence. Par ailleurs, le petit milieu des banquiers d'affaires murmure depuis plusieurs mois qu'un projet de privatisation de la CNP verra tôt ou tard le jour ; et que la puissance publique y est favorable.

Soupçons de connivence

Alors, que pourrait être ce fonds souverains français, si sa puissance financière est limitée ? Les interrogations que suscite le projet élyséen sont d'autant plus fortes qu'au cours des dernières années, la Caisse des dépôts, sous la houlette de l'ancien directeur général, Francis Mayer, décédé en décembre 2006, et de son numéro deux, Dominique Marcel, était sortie de sa politique traditionnelle de neutralité, et avait choisi de devenir un investisseur beaucoup plus actif dans le capital des firmes françaises, allant jusqu'à participer aux organes de surveillance des entreprises. Ce changement de stratégie était intervenu bien avant que les politiques, de gauche comme de droite, ne se saisissent de nouveau de ce débat sur le rôle et l'utilité de la CDC.

On en connaît le résultat : la CDC est ainsi devenue un acteur clef du CAC 40, au travers notamment de Dexia (où elle contrôle près de 14% du capital avec CNP et compte deux administrateurs), dans Veolia (11% du capital et un administrateur), dans Schneider (7% et un administrateur), dans Michelin (environ 5%), dans Suez (environ 4% et un administrateur), dans Saint-Gobain (près de 5% et un administrateur), dans Vivendi (près de 4,8%) ou encore dans Accor (près de 9,5% et deux administrateurs, sans parler de nombreuses entreprises non cotées comme Quick (restauration rapide) racheté à Albert Frère. Le dernier épisode est encore plus éclairant: la Caisse a volé au secours d'Eiffage et des relations franco-espagnoles en acceptant de racheter 10% du capital à l'espagnol Sacyr au-dessus du prix du marché.

Faut-il vraiment aller au-delà ? C'est ce que suggèrent les conseillers de Nicolas Sarkozy: la CDC doit délaisser au moins partiellement ses autres missions (financement du logement social ou des grandes infrastructures publiques...) pour se recentrer sur cette mission d'investisseur actif, tout à la fois pour défendre les entreprises françaises qui pourraient être des proies, mais aussi dans le cadre d'une stratégie offensive. Pour investir dans le nucléaire ou d'autres secteurs stratégiques...

Mais si tel est le cas, pourquoi n'avoir pas inscrit le projet dans la loi de modernisation de l'économie, au lieu de se limiter à une simple réforme de la gouvernance de la CDC ? Pourquoi n'avoir pas saisi l'occasion pour lancer un débat public sur les missions de la CDC ? On devine le procès que la gauche ne manquera pas d'instruire contre cette manière de faire : alors que l'affaire EADS fait toujours des vagues, Nicolas Sarkozy veut mettre un de ses hommes à la tête de la plus puissante institution financière française, pour une politique dont les objectifs semblent mal définis, ou entachée de soupçons de connivence et de renvois d'ascenseur.