France

Bettencourt : trois perquisitions chez Sarkozy

C'est une première pour un ancien président de la République. Le domicile, le cabinet d'avocats et les bureaux de Nicolas Sarkozy ont été perquisitionnés mardi, dans le cadre de l'affaire Bettencourt. Philippe Courroye est convoqué devant le CSM, et la juge Prévost-Desprez se voit reprocher une « violation du secret professionnel ».

Michel Deléan

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C'est le grand coup d'accélérateur dans l'enquête sur le volet politique de l'affaire Bettencourt. Les juges d'instruction bordelais chargés du dossier ont fait effectuer, mardi 3 juillet au matin, une série de perquisitions visant Nicolas Sarkozy – comme l'ont annoncé France Inter et  lemonde.fr : l'une à son cabinet d'avocats du boulevard Malesherbes (le cabinet Arnaud Claude et associés), l'autre dans ses bureaux d'ancien président, rue de Miromesnil, et une dernière au domicile parisien de Carla Bruni-Sarkozy, villa de Montmorency, où vit le couple.

Ces perquisitions ont été effectuées par le juge Jean-Michel Gentil et des policiers de la brigade financière, cela en l'absence de Nicolas Sarkozy, parti en famille au Canada, selon son avocat.

Il s'agit en tout cas d'une première pour un ancien président. Jacques Chirac n'avait, pour sa part, eu à subir des perquisitions qu'à l'Hôtel de Ville, au RPR, chez son avocat, et chez ses principaux lieutenants.

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Nicolas Sarkozy

Depuis la mise en examen d'Eric Woerth et celle de Patrice de Maistre, et l'accumulation de témoignages et d'indices sur un financement de la campagne présidentielle de 2007 par la famille Bettencourt, il était devenu évident pour les spécialistes du dossier que les juges se rapprocheraient un jour ou l'autre de Nicolas Sarkozy. Avant de le convoquer, ils ont donc choisi de rassembler le maximum d'éléments matériels ou, à tout le moins, de « fermer des portes ».

Ces dernières semaines, des investigations assez discrètes avaient déjà visé les différents fournisseurs et prestataires de services de la campagne Sarkozy 2007. Sans que l'on sache encore ce que les enquêteurs ont ainsi récolté.

Selon un avocat du dossier Bettencourt, « le juge Gentil n'a pas apprécié que le défenseur de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, annonce dans la presse que les agendas de son client avaient été déposés chez un huissier, et qu'il n'avait rien à se reprocher. C'était très maladroit ». En croyant ainsi éviter une convocation à Nicolas Sarkozy, selon ce confrère, Me Herzog aurait en fait motivé le juge Gentil à accomplir d'autres actes d'instruction.

Dans son courrier au juge, publié par le JDD du 17 juin, soit précisément au lendemain de la fin de la période d'immunité présidentielle, Thierry Herzog entendait démontrer que les « prétendus rendez-vous secrets » de Nicolas Sarkozy au domicile des époux Bettencourt n’avaient « matériellement pas pu avoir lieu ».

« Pour mettre un terme à ces allégations infondées et lever toute incertitude, M. Nicolas Sarkozy m’a chargé de vous adresser des extraits certifiés conformes par un huissier de justice de son agenda pour l’année 2007, afin de permettre la comparaison de son emploi du temps avec les dates des prétendues visites qui lui seraient imputées », écrivait son avocat, se disant certain que « cette comparaison permettra de démentir formellement la mise en cause dont il n’a cessé de faire l’objet. »

4 millions d'euros en espèces

Mis en examen et placé en détention provisoire du 23 mars au 18 juin, Patrice de Maistre, l’ex-gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt,  a été interrogé plusieurs fois par le juge d’instruction Jean-Michel Gentil, mais n'a rien lâché sur le volet politique de l'affaire.

Patrice de Maistre a notamment été questionné sur les quatre millions d’euros retirés des comptes suisses des Bettencourt entre 2007 et 2009. C’est-à-dire pendant qu’il était censé défendre les intérêts de la famille, et à une époque particulièrement critique. Malade, André Bettencourt est décédé en novembre 2007, et son épouse Liliane, pas encore mise sous tutelle, était déjà intellectuellement diminuée.

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P. de Maistre

En outre, selon les résultats d’une commission rogatoire internationale, il apparaît que deux retraits d’espèces de 400 000 euros chacun ont eu lieu en pleine campagne présidentielle, à des dates plus que troublantes au regard des indices déjà récoltés par la justice.

Ainsi, un premier retrait a eu lieu le 5 février 2007, deux jours avant un rendez-vous entre Patrice de Maistre et un autre mis en examen du dossier, Eric Woerth, ancien trésorier de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Les investigations bancaires en Suisse ont permis d’établir qu’un deuxième retrait avait eu lieu en Suisse le 26 avril 2007, entre les deux tours de l’élection présidentielle.

Dans son « ordonnance » du 22 mars, le juge Gentil souligne que, le même jour, dans son journal intime révélé par Mediapart en juin 2010, le photographe François-Marie Banier, alors proche des Bettencourt, rapportait des propos tenus devant lui par Liliane Bettencourt : « De Maistre m’a dit que Sarkozy avait encore demandé de l’argent. J’ai dit oui. »

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Eric et Florence Woerth

Interrogée à de nombreuses reprises, Claire Thibout, l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt, maintient pour sa part avoir été sollicitée par Patrice de Maistre, début 2007, pour une mission particulière.

Il lui aurait réclamé 150 000 euros en espèces pour les remettre à Eric Woerth, afin d’abonder secrètement la cagnotte présidentielle du candidat de l’UMP. Sur ces 150 000 euros, 50 000 provenaient, d’après Claire Thibout, d’un compte parisien (à la BNP) de l’héritière L’Oréal, et 100 000 avaient été acheminés de Suisse.

Par ailleurs, selon des informations publiées le 10 mai dernier par Mediapart, le juge aurait découvert un indice semblant indiquer une visite express de Nicolas Sarkozy chez les Bettencourt entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007. Sur l’agenda de la maison Bettencourt, avait déjà été retrouvée la mention d'un « monsieur Nicolas S. », à la date du samedi 24 février, soit à deux mois du premier tour.

« Le juge Gentil a beaucoup travaillé sur la piste du financement politique. Des éléments solides indiquent que des fonds ont dû être remis à Eric Woerth, mais pour l’instant il n’y a aucune preuve concernant Nicolas Sarkozy », confiait alors une source proche du dossier. « Sauf à penser, comme certaines mauvaises langues, que le candidat est passé remercier les Bettencourt. »

Courroye au CSM, Prévost-Desprez en examen

Plus tôt dans la journée, ce mardi 3 juillet, les collègues et amis de la juge Isabelle Prévost-Desprez hésitaient entre colère et amusement. La présidente de chambre correctionnelle au tribunal de Nanterre a été mise en examen pour « violation du secret professionnel », lundi 2 juillet à Bordeaux, par le juge d’instruction Philippe Darphin, en marge de l'affaire Bettencourt.

Cette mise en examen fait suite à une plainte déposée par les avocats de Liliane Bettencourt après un article du Monde relatant l’après-midi même une perquisition effectuée par Isabelle Prévost-Desprez chez la milliardaire le 1er septembre 2010 au matin.

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La juge Prévost-Desprez

Au tribunal de Nanterre, Isabelle Prévost-Desprez s'était heurtée aux manœuvres du procureur Philippe Courroye, qui a tout fait pour étouffer l'affaire Bettencourt et ses implications politiques.

Or, il se trouve, selon des informations obtenues par Mediapart, que la mise en examen d'Isabelle Prévost-Desprez a été annoncée par le parquet de Bordeaux juste au moment où le procureur Courroye était discrètement convoqué, ce mardi à 16 heures, devant la commission d'admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), prélude à une éventuelle procédure disciplinaire contre l'actuel procureur de la République de Nanterre dans cette même affaire Bettencourt.

Cette convocation du procureur Courroye fait suite à une plainte du Monde, qui a saisi le CSM en janvier de l'affaire de l'espionnage de plusieurs de ses journalistes. Une affaire de « fadettes » dans laquelle Philippe Courroye a d'abord été poursuivi par une juge d'instruction du tribunal de Paris, avant que sa mise en examen ne soit annulée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel, le 22 mars dernier.

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Philippe Courroye

Selon un proche d'Isabelle Prévost-Desprez, « il n'y avait rien de nouveau dans le dossier depuis qu'elle avait été entendue comme témoin assisté. Sa mise en examen est incompréhensible, sauf à croire qu'il s'agit d'un contre-feu ». Une prémonition qui s'est révélée d'autant plus exacte après l'annonce, officieuse celle-là, des perquisitions visant Nicolas Sarkozy…

Extrêmement prudent et discret dans cette affaire, voire mutique, le procureur de Bordeaux n'avait pas encore communiqué sur ces perquisitions mardi 3 juillet en fin de journée. Un oubli, sans doute…

* Voici le communiqué du procureur de la République de Bordeaux, Claude Laplaud, rendu public mardi 3 juillet en début d’après-midi, au lendemain de la mise en examen d'Isabelle Prévost-Despez.

« Au terme d'une déposition de témoin assisté reçue le 2 juillet 2012 par Philippe DARPHIN, vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de BORDEAUX, Madame Isabelle PREVOST-DESPREZ, vice-présidente au tribunal de grande instance de NANTERRE, a reçu notification de sa mise en examen pour violation du secret professionnel à raison d'indices de transmission à des tiers d'informations issues d'une procédure pénale alors pendante devant le tribunal correctionnel de NANTERRE dans le cadre de l'affaire BETTENCOURT.

Il est rappelé que Madame Isabelle PREVOST-DESPREZ bénéficie de la présomption d'innocence. »