Élancé, casquette tête de mort vissée sur la tête, jeans, baskets, Anis Hlel quadrille Paris de long en large depuis qu'il est arrivé en France il y a trois mois après avoir traversé la Méditerranée. Ce Tunisien de 25 ans est volontaire pour retracer longuement son parcours. Ce n'est pas si courant. Son état, il le décrit en trois mots: «fatigué», «stressé», «dégoûté». Mais, signe qu'il n'a pas renoncé, il continue de penser que la parole peut infléchir le cours des choses. Et a même une idée de titre pour cet article: «Pourquoi une France comme ça?»
Rencontré en face d'un local d'aide aux migrants tunisiens rue de Charenton, près de la gare de Lyon, il raconte ses pérégrinations quotidiennes pour chercher un emploi. Il s'y prend méthodiquement. «Chaque jour, je choisis une nouvelle ligne de métro, la 1, la 2, la 3, dans l'ordre. Je m'arrête à chaque station, toutes, l'une après l'autre, et là je cherche dans le quartier. J'essaie tout, le bâtiment, les restaurants, les taxiphones, les boulangeries, les agences de tourisme. Mais, pour l'instant, pas de réponse. Même une journée, même une heure, rien. Les patrons me disent qu'ils ne peuvent pas me prendre parce que je n'ai pas de papiers.» À la différence de la plupart de ses compagnons d'infortune, il parle bien le français et dispose d'une double formation en informatique et tourisme. «J'ai fait un CV pour faciliter le contact avec les patrons», ajoute-t-il comme preuve de sa motivation.

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Débarqué à Lampedusa, il a parcouru l'Italie et la France du sud au nord, en train. Rome, Vintimille, Nice, Marseille, Paris, il liste les noms de villes-gares traversées. À peine arrivé à destination, il a appris par cœur le plan de métro de la capitale. Les quartiers, il les désigne par le nom des stations: Stalingrad, Jaurès, Belleville, Couronnes, Buttes-Chaumont, Crimée. Comme tous, il connaît les correspondances à éviter, Stalingrad par exemple, là où les contrôles de police sont fréquents.
Originaire de Sfax, Anis Hlel n'avait jamais mis les pieds en France. Il s'est aventuré à la tour Eiffel, sur les Champs-Élysées, au Stade de France, «pour voir, je suis à Paris quand même». «On n'est pas touriste, mais ça ne nous empêche pas de visiter.» Il est même allé à Cherbourg. «J'ai rencontré une femme de 45 ans par internet. Elle m'a dit de venir chez elle. J'y suis allé, mais elle ne voulait pas que je sorte dehors, elle avait peur que je me fasse arrêter. Mais moi je ne voulais pas rester enfermé. Elle voulait me donner de l'argent, et me garder pour elle. Je suis retourné à Paris.»
«Je ne dors jamais vraiment»
Les configurations changent en fonction des rencontres, mais, en ce moment, son refuge nocturne est le parc de Belleville. «Je ne dors jamais vraiment. Au parc, j'y vais de 2 heures à 4 heures du matin. Comme j'ai froid, à 5 heures, je vais dans le métro, je me mets sur un banc pour me réchauffer un peu et j'attends. Après je prends le métro et je marche, je marche toute la journée.»

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Poussé par la fatigue, il a plusieurs fois composé le 115. «Une fois, la personne m'a dit de retourner en Italie parce que j'ai la carte de séjour là-bas. Une autre fois, ils ont raccroché quand j'ai dit que j'étais tunisien.» Il a passé une nuit au Centre d'hébergement d'urgence et d'assistance aux personnes sans abri (Chapsa) à Nanterre, mais ne veut plus y retourner, «trop de bruit, de violence».

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Ses repas, il va les prendre à La Chorba, avenue de la Porte de la Villette. «On ne peut pas dire que je mange. Un bout de pain, de temps en temps, parfois rien.» Sur son chemin, il n'a pas rencontré d'associations pour le soutenir. «La solidarité avec les vieux Tunisiens d'ici, il n'y en a pas trop. Maintenant, ils veulent qu'on parte, ils nous ont assez vus.» Le Gisti, la Cimade? Non, cela ne lui dit rien.
À propos des autres migrants, il dit: «Parfois on circule à plusieurs, parfois je suis seul, ça dépend, on n'est pas toujours avec les mêmes. Je ne peux pas les aider, ils ne peuvent pas m'aider.» Mais c'est à la question du logement qu'il revient sans cesse. «On ne demande pas grand-chose, le seule chose qu'il nous faut, c'est un toit.» Il a entendu parler de France terre d'asile et d'Aurore, les deux associations sélectionnées par la mairie de Paris pour l'hébergement d'urgence. «On le sait bien sûr. On a essayé, mais il n'y a plus de place pour nous. Il ne reste que les parcs.»

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