Europe

Le nouveau maire de Rome n’a rien oublié de sa formation néofasciste

En faisant campagne sur les thèmes de l'insécurité et de l'immigration, Gianni Alemanno a gagné haut la main la mairie de Rome, devant l'ancien maire de gauche, Francesco Rutelli. Formé dans les rangs néofascistes, jeune dirigeant de l'ancien MSI, arrêté plusieurs fois pour violences, ce cinquantenaire n'a jamais rompu clairement avec son passé.

Maguy Day

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En emportant la mairie de Rome le 28 avril, Gianni Alemanno, ancien néofasciste et jeune militant extrémiste, aujourd’hui vice-président du parti conservateur Alliance nationale (AN), offre à Silvio Berlusconi, chef du gouvernement italien, une victoire inattendue. Place forte de la gauche italienne qui la dirigeait depuis quinze ans, la capitale impériale n’avait jamais été conduite par un héritier des thèses de Benito Mussolini, depuis la chute du Duce en 1943.


Le principal verrou des « municipalités rouges » si décriées par la droite italienne a donc sauté. Du nord, aux mains de la xénophobe Ligue du Nord, au sud autonomiste qui a vu la victoire de Raffaele Lombardo à la présidence de la région Sicile, la coalition du peuple de la liberté (PDL) de Silvio Berlusconi a établi un lien central avec la prise de Rome.

« Pour Alliance nationale, c’est une victoire historique », a déclaré Gianfranco Fini, son président. La victoire nationale de Silvio Berlusconi, deux semaines auparavant, a certainement profité au nouveau maire ainsi que l’absence des électeurs de gauche, le taux de participation ayant chuté de 73,5% à 63% entre les deux scrutins. Environ 100.000 votes supplémentaires par rapport au premier tour ont donc permis à Gianni Alemanno, candidat malheureux de la droite en 2006 contre Walter Veltroni, de battre Francesco Rutelli, deux ans plus tard.


Le virage que les Romains s’apprêtent à négocier est radical en raison du passé violent de leur nouveau maire.

Anticommunisme et antiaméricanisme

Né à Bari dans le sud de l'Italie en 1958, Gianni Alemanno a milité dès son plus jeune âge dans le parti néo-fasciste Mouvement social italien (MSI), et on le retrouve assez vite au cœur d’actions violentes. Au début des années 1980, le militant d’extrême droite, âgé de 23 ans, est inculpé avec quatre autres membres du parti pour l’agression d’un étudiant. Arrêté en 1982 pour avoir lancé un cocktail Molotov contre l'ambassade de l'Union soviétique à Rome, il fera huit mois de prison avant d’être libéré.

A 30 ans, il prend la direction du Front de la jeunesse du parti néo-fasciste, succédant à Gianfranco Fini, où il imprime une ligne dure en multipliant les actions coup de poing contre la gauche et en mettant en avant les thématiques sociales et antiaméricaines. Au point de se retrouver à nouveau derrière les barreaux en mai 1989, pour avoir tenté de bloquer le cortège officiel du président américain George H. Bush, à Nettuno, lieu du débarquement allié en janvier 1944, encore qualifié « d’invasion » par les anti-atlantistes italiens.


« Alors que d’autres pays européens ont gardé la mémoire du fascisme, du nazisme ou du vichysme, une grande partie des Italiens ne veut pas se souvenir de cette période ou veut en avoir un souvenir indifférent », analyse Michele Sarfatti, historien spécialiste de la persécution des juifs sous Mussolini. Pourtant, les nostalgiques d’une Italie fasciste sévissent encore. A Ostie, en périphérie de Rome, la plaque commémorative des 335 victimes des fosses Ardéatines a ainsi été détruite au marteau, le 28 avril 2008, et profanée avec l’inscription « le peuple d’Ostia célèbre le Duce ».

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Fosses ardéatines

Fosses Ardéatines en périphérie de Rome

Alemanno et la droite néo-fasciste ultra

Co-fondateur de l’association et revue « Area » en 1996 avec le député devenu sénateur Francesco Storace, Gianni Alemanno cherche aujourd’hui à prendre ses distances avec le créateur du parti de la Droite (D-D), un courant au sein d’AN jusqu’à l’été 2007. Entre les deux tours, Gianni Alemanno s’est vu proposer un accord électoral par Francesco Storace, qu’il a finalement refusé à la suite des vives protestations de la communauté juive de Rome.

Si, depuis 1995, AN a opéré un virage au centre-droit, reniant notamment le racisme et l’anti-sémitisme, les troupes de Storace, des nostalgiques affichés du Duce, subsistent en son sein. « Nous attendons de voir si et jusqu’à quel point le nouveau maire Gianni Alemanno renie ses origines. Nous attendons de voir comment il parlera de la résistance et de l’antifascisme qui restent des valeurs fondamentales pour l’Italie de ces soixante-dix dernières années, y compris pour ceux ou celles qui ont voté pour lui, et s’il maintiendra l’engagement de Walter Veltroni de construire un musée de la Shoah », souligne Michele Sarfatti.

La croix celtique d'Alemanno

L’ultra Francesco Storace a relancé la polémique sur le passé tumultueux de Gianni Alemanno, quelques jours avant son élection, en rappelant que celui qui fut ministre de l’Agriculture de Silvio Berlusconi porte une croix celtique autour du cou. Un emblème choisi par la division «Charlemagne» des SS, l'OAS durant la guerre d’Algérie, ou Ordre nouveau.

Pour le détenteur des clés du Campidoglio, il s’agit tout simplement d’un choix personnel: « C’est un symbole religieux qui représente une façon d’être du christianisme celtique. Je le porte aussi en souvenir des amis perdus. » La croix aurait appartenu au jeune Paolo Di Nella, jeune icône de l’extrême droite italienne mort au milieu des années 1980, a-t-il expliqué à La Repubblica.
Nul doute que ses liens familiaux lui auront fourni des occasions d’évoquer cette période trouble de l’histoire de la Péninsule. En épousant Isabela Rauti, il entre dans le cercle des ultras italiens. Fondateur du groupe terroriste Ordre nouveau (Ordine nuovo), son beau-père Pino (Giuseppe) Rauti a été soupçonné d’avoir été impliqué dans l’attentat de Piazza Fontana en 1969 qui a fait seize morts et une centaine de blessés. Cette tragédie servira de détonateur à la guerre civile – « les années de plomb » – qui secouera l’Italie pendant plus d’une décennie et verra la naissance des Brigades rouges.

Dirigeant du MSI au début des années 1990, Pino Rauti a quitté le parti à la suite du recentrage effectué par Gianfranco Fini en 1995. Autre admirateur inconditionnel de Mussolini, il crée le parti Flamme tricolore, allié du Front national de Jean-Marie le Pen, puis celui du Mouvement idées sociales après avoir été délogé du précédent pour avoir pris des positions encore plus radicales.

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