L'affaire Clearstream réservera donc des rebondissements jusqu'à son terme. Très attendues, les réquisitions du procureur de Paris, Jean-Claude Marin, remises aux juges d'instruction Jean-Marie d'Huy et Henri Pons, mardi 3 juin, ont surpris tout le monde.
Si le procureur a, comme chacun pouvait s'y attendre, préconisé le renvoi devant le tribunal de Jean-Louis Gergorin, Imad Lahoud, Denis Robert et Florian Bourges, soupçonnés à des degrés divers d'avoir trempé dans cette affaire de dénonciation calomnieuse, il a considéré ne pas être en mesure en l'état de se prononcer sur le sort du plus fameux des personnages mis en examen dans le dossier, Dominique de Villepin.
Comme le révélait dès lundi soir le site internet du Point, le procureur a demandé aux magistrats de poursuivre leur enquête pour mieux cerner le rôle joué dans cette manipulation par l'ancien premier ministre.
Long de 136 pages, le réquisitoire en consacre 24 au « cas » Villepin, sous l'intitulé « la mise en cause de Dominique de Villepin ». La première partie du chapitre consacré au rival de Nicolas Sarkozy constitue pour l'essentiel un rappel des charges pesant sur DDV. Elle est loin d'être défavorable au mis en examen. Cette première partie s'intitule d'ailleurs : « Les déclarations discordantes des acteurs et témoins principaux de la dénonciation calomnieuse quant au rôle joué par Dominique de Villepin, mis en cause en tant que complice, dans le traitement de l'affaire des listings Clearstream. »
Après avoir détaillé les chefs de mise en examen retenus contre DDV, le parquet s'attarde sur « les explications sur les modalités de l'intervention de Dominique de Villepin dans le traitement de l'affaire Clearstream ».
Un suivi de l'affaire «personnel et secret»
Le procureur rappelle premièrement que DDV « a défendu l'idée qu'il était intervenu de manière légitime, prudente et impartiale dans le traitement de l'affaire Clearstream ». Puis, deuxième point souligné par le ministère public, que « le général Rondot, tout en contredisant sur plusieurs points la déposition de Dominique de Villepin, a formulé des appréciations d'une tonalité plutôt bienveillante sur les motivations de ce dernier dans le traitement de l'affaire Clearstream ».
Troisièmement enfin, « Jean-Louis Gergorin, quant à lui, a modifié diamétralement, au fil de ses interrogatoires, ses déclarations sur plusieurs points essentiels relativement au rôle de Dominique de Villepin dans le traitement de l'affaire Clearstream ». Et le procureur de multiplier les exemples des contradictions apparues au fil des dépositions du « Corbeau » de l'affaire.
La seconde partie du réquisitoire, intitulée « Discussion », était la plus attendue, car c'est là que devaient être réunis les éléments justifiant le renvoi de Villepin devant le tribunal ou, au contraire, le non-lieu susceptible de lui être accordé. Mediapart en publie, sous forme de verbatim, les principaux extraits.
Jean-Claude Marin souligne à l'envi « le traitement singulier » par l'ancien ministre des affaires étrangères de l'affaire, affirmant qu'il jette « une lumière trouble sur ses motivations ». Et le procureur d'égrener les éléments qui nourrissent les soupçons : la proximité de DDV avec le "corbeau", Jean-Louis Gergorin, son éventuelle intervention en faveur d'Imad Lahoud (l'informaticien suspecté d'avoir truqué les listings), son suivi de l'affaire qualifié de « personnel et secret »...
«L'information n'apporte pas les éléments de réponse»
Reste que tout cela ne caractérise pas un délit. Car, comme le rappelle avec raison le procureur, « le renvoi de Dominique de Villepin du chef de dénonciation calomnieuse requiert que soient établies, d'une part, l'existence de l'ordre donné par ce dernier à Jean-Louis Gergorin de transmettre les informations calomnieuses à l'autorité judiciaire, et d'autre part, la connaissance qu'il avait, en tout ou partie, du caractère fallacieux de ces informations lors des différentes remises à Renaud Van Ruymbeke ».
De ce point de vue, le procureur estime que les juges n'ont pas rapporté la preuve de ce délit. «Sur ce plan, écrit Jean-Claude Marin, l'information n'apporte pas les éléments de réponse qui permettraient de lever le doute sur la connaissance exacte qu'avait Dominique de Villepin lors de chacune des remises du montage destiné à faire croire en l'existence de comptes occultes dans les livres ou sous couvert des livres de la banque de compensation Clearstream. »
La conclusion que le parquet tire de ce postulat est totalement inattendue. En effet, plutôt que de requérir en faveur de l'ancien premier ministre un non-lieu que son propre raisonnement suggère clairement, le procureur demande aux magistrats instructeurs, par le biais de réquisitions supplétives, de procéder à de nouveaux actes. Ces derniers seraient susceptibles d'éclairer le rôle exact joué par DDV dans cette histoire.
Qu'il s'agisse de rechercher d'éventuelles notes des renseignements généraux, d'exhumer des articles de presse relatifs au livre de Denis Robert, Révélation$, socle sur lequel s'est bâtie la manipulation, ou de réinterroger Villepin sur sa connaissance du casier judiciaire d'Imad Lahoud, le procureur estime à juste titre que l'enquête a laissé trop de questions sans réponse.
Si les juges ont échoué...
Mais il est peu probable que les actes complémentaires – et tardifs – réclamés par le ministère public puissent y changer quelque chose. Après tout, comme l'a expliqué Mediapart récemment, les juges ont consacré l'essentiel de leur longue et coûteuse instruction à tenter d'établir la culpabilité de Dominique de Villepin, au point de sembler conduire leur enquête uniquement à charge. S'ils ont échoué dans leur entreprise, la justice doit, à un moment ou à un autre, en tirer toutes les conséquences.
Dans l'entourage du procureur, on ne cache pas que les réquisitions supplétives soulignent d'abord les graves insuffisances de l'enquête, qui aurait notamment négligé de s'intéresser au contexte initial dans lequel l'affaire est apparue.
Vu l'extrême sensibilité du dossier – le chef de l'Etat est tout de même partie civile! –, le procureur n'a pas souhaité se positionner avant que toutes les vérifications n'aient été faites.
De toute façon, compte tenu des rapports exécrables qu'entretiennent les juges d'Huy et Pons avec le parquet, et sachant que ces derniers ont systématiquement refusé toutes les demandes d'actes formulées par les parties civiles, il y a peu de chances qu'ils accèdent aux requêtes du ministère public. Prendront-ils alors le risque de renvoyer devant le tribunal Dominique de Villepin sans réquisitions du parquet ?
Après tout, ce dernier, persuadé depuis des mois d'obtenir une relaxe à l'audience – et donc une spectaculaire revanche publique – y trouverait sans doute son compte. Un nouveau paradoxe dans une affaire qui les collectionne.