Agriculture

De l’électricité dans l’herbe : enquête sur des élevages en souffrance

Par Manon Le Charpentier

Scrollez...

Dans la Somme, à la ferme Au gré des roses, Yann Joly s’est séparé de ses 120 vaches laitières il y a cinq ans. Avec elles se sont évanouis les rêves d’une vie. Yann a fait une croix sur son métier d’éleveur et ne transmettra jamais son troupeau à sa fille.

« À 19 ans, elle avait fait un BTS produits laitiers. Elle voulait s’installer ici, prendre la suite de son père et de son grand-père. À la place, elle a commencé à travailler à la ferme des 1 000 vaches. C’est aussi pour elle que je me bats aujourd’hui. »

L’éleveur s’est reconverti dans la production céréalière, moins rentable à l’hectare. Il ne se verse aucun salaire et doit travailler chez d’autres exploitants en tant que prestataire agricole pour tenir jusqu’au remboursement des derniers prêts.

À ses débuts, il avait pourtant réussi à transformer sa petite ferme familiale en élevage prospère. « On a toujours investi pour avoir une entreprise performante. On était très pointilleux sur l’alimentation, par exemple. Cela nous a permis de produire jusqu’à 1 million de litres de lait par an avec 120 vaches. »

Solide, son exploitation traverse sans encombre la crise du lait en 2009. Puis les rendements s’effondrent : de 9 000 litres par an et par vache en 2010, ils chutent à 7 000 litres en 2011, puis à 5 000 en 2013. Veaux et génisses grossissent beaucoup moins vite.

Catherine Nansot, ingénieure et experte près de la cour d’appel d’Amiens, le constate dans un rapport en 2015 : « Pour qu’une génisse actuellement dans cet élevage atteigne sa taille normale, il lui faudra 50 % de temps en plus qu’un animal ayant une croissance normale. »

2011 et 2013, ce sont deux années au cours desquelles Yann a vu se dresser de nouvelles voisines à l’horizon : 24 éoliennes installées à 1,8 kilomètre de là : « Je n’avais aucun a priori. J’avais même accepté un bail pour l’installation de l’une d’entre elles dans un de mes champs. Elle me rapporte 1 600 euros par an. »

Une broutille, au regard des pertes estimées par l’experte : plus de 350 000 euros entre 2011 et 2015. Dans son rapport, Catherine Nansot conforte la thèse de Yann Joly : « Depuis l’installation des éoliennes, la production laitière par vache est en baisse sensible et concomitamment la qualité bactérienne du lait se dégrade. Monsieur Joly et ses conseils, le technicien du contrôle laitier, le vétérinaire, le marchand d’aliments, n’ont pas trouvé de raison rationnelle. »

Il y a bien une concomitance entre l’apparition des symptômes et l’implantation des éoliennes, mais impossible de l’expliquer scientifiquement. Alors, la discussion avec le directeur de la société de gestion Caen Renewables Energy, qui exploite les éoliennes, reste au point mort.

En 2015, Yann Joly trait ses dernières vaches, licencie son salarié et assigne l’opérateur éolien en justice. Après un recours de la partie adverse, son dossier sera finalement plaidé devant le tribunal judiciaire de Paris, le 1er mars prochain.

Il y a une organisation de l’opacité depuis de nombreuses années

Cet agriculteur picard n’est pas un cas isolé. En 2020, dix éleveurs ont assigné en justice RTE, Enedis, des opérateurs de téléphonie ou des exploitants de parcs éoliens pour trouble anormal de voisinage. La plupart sont membres de l’association Animaux sous tension et sont représentés par Me Lafforgue et ses associés, un cabinet qui a déjà défendu les victimes de l’amiante, des pesticides ou de la pollution de l’air. Des affaires avec lesquelles l’avocat dresse un parallèle : « Il y a une organisation de l’opacité depuis de nombreuses années, on a rendu invisible ce qui aurait dû être porté à la connaissance de tous. Face aux éleveurs s’est constitué ce qui s’apparente à un lobby électrique qui va se battre pour ne pas avoir à verser d’indemnisations, craignant que ce type de contentieux ne se développe. »

Les plaintes pourraient, en effet, se multiplier. Dans toutes les régions françaises, des éleveurs témoignent de similaires et incompréhensibles descentes aux enfers.

La lecture des articles est réservée aux abonnés.

Pourquoi s’abonner à Mediapart ?

  • Journal totalement indépendant
  • Informations exclusives et inédites
  • Diversité des contenus (enquêtes, vidéos, portfolios...)
  • Abonnement sans engagement
S'ABONNER à partir de 1 €

Déjà abonné(e) ? Identifiez-vous :

Mot de passe oublié ?