C’est un lundi après-midi. Zohra* est assise à son bureau, dans l’open space de la grande institution privée où elle occupe un poste de cadre. Son téléphone sonne et sa vie bascule. Au bout du fil, elle entend « choc cérébral », « opération », puis le prénom de sa petite sœur, Seloua. Son interlocutrice lui demande de venir au plus vite à l’hôpital Beaujon de Clichy (Hauts-de-Seine). « Vous me dites qu’elle est en train de mourir, c’est ça ? » La réponse fait l’effet d’un coup de massue : « Oui. »
Onze jours après cet appel, nous retrouvons Zohra à l’entrée de l’Institut médico-légal de Paris, un bâtiment tout de briques, érigé en bordure de la Seine. Seloua repose dans un drap blanc. Le soleil tape sur la fenêtre en vitrail, conférant à l’espace des allures d’église. On ne distingue d’abord qu’un visage blafard.
« Seloua avait été actrice », nous avait glissé Zohra. Les castings se raréfiant, elle avait enchaîné les petits boulots, jusqu’à ce poste de gardienne d’école, près du métro Voltaire à Paris, qu’elle occupait jusqu’à son décès. « Elle était devenue très pieuse, précise l’aînée. Elle a toujours été très pudique sur sa vie privée. » Elle a découvert que sa sœur avait un compagnon en apprenant sa mort.
D’après sa sœur, Seloua aurait entamé une relation sentimentale avec un homme quelques mois plus tôt. Samedi 27 octobre au soir, pour une raison qui reste inconnue à ce jour, il l’a passée à tabac. Une voisine aurait appelé les secours, mais il était déjà trop tard.
À l’Institut médico-légal de Paris, Zohra s’approche de la dépouille, triture la hanse du cercueil puis pose son regard sur le visage. Sa mâchoire s’affaisse un peu face au choc. Il reste des traces des coups. Selon le rite funéraire musulman, on ne maquille pas les morts. Seloua a un œil au beurre au noir et un mince filet de sang séché au coin de la bouche.
Ce visage, c’est celui d’une victime de féminicide.
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