La haine : six mois d’islamophobie en France

Le 25 avril 2025, Olivier Hadzovic, 21 ans, entre dans une mosquée de La Grand-Combe (Gard) et assassine Aboubakar Cissé, 22 ans, de cinquante-sept coups de couteau. Il filme le corps massacré et lance : « Je l’ai fait […], ton Allah de merde. » Un mois plus tard, Christophe Belgembe, 53 ans, se rend devant le domicile de Hichem Miraoui, son voisin de Puget-sur-Argens (Var), pour le tuer. Avant de tirer, il annonce dans une vidéo : « Ce soir, on dit stop aux islamiques de mes deux. »

Ces deux drames ne sont pas isolés. Les personnes musulmanes ou perçues comme telles sont les cibles régulières d’une partie de la classe politique et des médias.

Dans tous les aspects de la vie en société, la participation des musulman·es est surveillée, voire entravée. Une mise au ban inscrite directement dans les politiques publiques par un pouvoir qui fait la cour à l’extrême droite, sous le regard amorphe d’une partie de la gauche, qui laisse faire – quand elle ne se met pas dans la roue des artisans du ressentiment.

L’islamophobie, ici, ne s’articule pas autour d’une critique de la religion, mais d’un rejet organisé des croyant·es. Galvanisé·es par cette atmosphère irrespirable, des Français·es passent à l’acte partout dans le pays. Avant l’assassinat, il y a l’agression physique, l’insulte, le crachat, la discrimination.

Et pourtant, d’après le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, chargé des cultes, « l’islamophobie » n’est rien d’autre qu’« un mot forgé par les Frères musulmans ». Empruntée à l’extrême droite, cette rhétorique n’a qu’un but : décrédibiliser le mot pour balayer une réalité sociale. Sur les cinq premiers mois de l’année 2025, les actes antimusulmans ont connu une hausse spectaculaire de 75 % : 145 ont été recensés par le ministère de l’intérieur, contre 83 sur la même période de 2024. Ces chiffres, en plus d’être largement en deçà de la réalité, ne disent rien des vies détruites ou empêchées.

En épluchant la presse, en prenant en compte les alertes des associations et en recoupant nos propres informations, nous dénombrons au moins un fait islamophobe tous les deux à trois jours depuis janvier. Pour donner à voir ce pays déformé par la haine, Mediapart raconte, dans le menu détail, six mois d’islamophobie en France. 

Par Caroline Coq-Chodorge, David Perrotin, Marie Turcan et Khedidja Zerouali

Publié le 4 juillet 2025

Janvier

« Le voile n’est pas qu’un bout de tissu, c’est un étendard pour l’islamisme »

Bruno Retailleau

D’après le ministère de l’intérieur, l’islam est la source de bien des maux. Pour lutter contre le terrorisme, Bruno Retailleau promet de s’attaquer au seul « totalitarisme islamique », ou encore à « l’islamisme des Frères musulmans », source de « séparatisme ». Le voile des femmes musulmanes est un autre « étendard pour l’islamisme » qu’il veut interdire aux mères pendant les sorties scolaires, et aux étudiantes à l’université.

La « décivilisation » selon le préfet des Alpes-Maritimes

Nice

« 2024 a été une année particulièrement difficile, où vous avez approché vos limites. 2025 sera pire encore » : le préfet des Alpes-Maritimes Hugues Moutouh a ainsi mobilisé les forces de l’ordre lors de ses vœux, le 11 janvier à Nice. Il a particulièrement insisté sur le narcotrafic, « une activité criminelle de bandes originaires des cités », qui profitent d’une « immigration subie et non choisie » en s’en servant comme d’une « main-d’œuvre abondante et vulnérable ».

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À ses yeux, il y a encore d’autres causes au « délitement de la société », qui serait « soumise à l’islamisme radical, à la violence des bandes ». Il a même désigné un ennemi intérieur : « des groupes d’individus qui vivent à [leurs] côtés et sont engagés dans un processus de décivilisation ». Le préfet a exhorté les membres des forces à « attaquer le problème à la source », au nom de la « puissance souveraine de l’État ». Depuis, il a été promu : Bruno Retailleau l’a nommé, le 9 avril, secrétaire général du ministère de l’intérieur.

« Free France » : une nuit de tags racistes et islamophobes

Haute-Savoie

En Haute-Savoie, les murs de nombreux bâtiments emblématiques de la communauté musulmane – une mosquée, des commerces halals et même une habitation – ont été recouverts de tags racistes et islamophobes : « Arabes dehors », « Sale race », « Islam dehors », « Free France », etc. C’était dans la nuit du 13 au 14 janvier, à Bonneville, Gaillard, La-Roche-sur-Foron, Fillinges ou encore Vétraz-Monthoux, rapporte Ici, soit dans un rayon de 20 kilomètres. « Nos voitures ont aussi été taguées et caillassées », raconte à Mediapart Abdelhamid Korbaa, directeur du supermarché Riadh à Gaillard.

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Les gendarmes ont retrouvé un homme, apparu sur les images de la caméra de vidéosurveillance de la boucherie de La-Roche-sur-Foron. C’est un Haut-Savoyard de 28 ans, gendarme réserviste et agent de sécurité en Suisse. Il a été interpellé et condamné le 27 mai par le tribunal de Thonon-les-Bains à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour les délits de dégradation et destruction en raison de l’origine, ethnie, nation ou religion. Il a reconnu être l’auteur de tous les autres tags. Abdelhamid Korbaa garde un sentiment d’injustice : « Il avait déjà fait des tags en juillet 2024. Il rigolait pendant son procès, et il est sorti libre alors qu’il a une arme chez lui. Moi, je n’espère même pas une indemnisation. »

Une influenceuse d’extrême droite répand sa haine sur TikTok

L’influenceuse d’extrême droite Samia Mezhoud alias « samissou », 27 100 followers sur TikTok, 22 000 sur YouTube, enchaîne les vidéos racistes et islamophobes. Parmi les propos incriminés : « Si tu es vraiment musulman à cent pour cent, tu es islamiste », « Quand ils sont dans un pays, il y a des actes terroristes », « Dès qu’on critique votre idéologie, vous coupez des têtes […], c’est de la barbarie ».

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SOS Racisme a indiqué à Mediapart avoir signalé le 17 janvier ces propos au procureur de la République de Paris pour diffamation à caractère racial et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale. En attendant, l’influenceuse continue de diffuser des vidéos dans lesquelles elle se met régulièrement en scène entourée de saucissons.

Des actes « abjects » contre la mosquée

Saint-Omer

Le 21 janvier, une grenade a été retrouvée près de la mosquée de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Des démineurs sont intervenus pour neutraliser l’arme, qui s’est révélée être une grenade au plâtre d’entraînement. Une femme a été interpellée le lendemain des faits et jugée le 28 janvier. Elle a écopé de sept mois de prison avec sursis, rapporte La Voix du Nord. Le maire de la ville, François Decoster (MoDem), a dénoncé un « acte odieux » et organisé une manifestation en soutien de la communauté musulmane. Trois cents personnes se sont rassemblées le 1er février. Tous les représentants des cultes étaient présents.

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Dans son discours, obtenu par Mediapart, François Decoster a égrainé les nombreux actes « abjects » qui ont visé cette mosquée : la grenade a été déposée « précisément là où ont été déposés, l’an dernier, une tête de cochon, il y a deux ans, une déjection humaine. Devant ce mur où était dessiné, il y a trois ans, un graffiti haineux ». « Cela fait cinq ou six ans que nous sommes victimes régulièrement d’actes islamophobes, précise à Mediapart Ismail Gulmez, président de la mosquée. Un voisin a écopé d’une amende pour avoir jeté des bouts de viande de porc. On a aussi eu droit à des déjections sur des feuilles de Coran. » Il se félicite d’avoir le soutien « de la mairie, des forces de l’ordre et du procureur ». « Nous sommes entourés. »

Tags, menaces de mort, tir : la communauté turque prise pour cible

Cherbourg-en-Cotentin

Cette fois, c’est une petite mosquée de Cherbourg-en-Cotentin qui a été visée, celle de la communauté turque, installée dans un pavillon discret : le 26 janvier, y a été découvert un tag islamophobe, une grossière tête de cochon.

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Cela ravive des « moments très compliqués, qui ont installé un climat de peur », explique à Mediapart Omar Charaf, le président de la principale mosquée de Cherbourg. En novembre 2023, des menaces de mort ont été inscrites sur les murs de la mosquée, notamment : « Ici on est en France, mort aux Arabes ». Le tag était accompagné de croix celtiques, un symbole néonazi.

En avril 2024, une balle a été retrouvée fichée dans le portail de la mosquée le jour de l’Aïd el-Fitr, et quelques jours plus tard le tag « Islam hors de France » en lettres rouges. Des caméras de vidéosurveillance ont été installées et des rondes des forces de l’ordre organisées. En vain : quelques jours plus tard, douze voitures ont brûlé « sur le parking devant la mosquée, hors de portée des caméras », précise Omar Charaf. Les auteurs de ces faits courent toujours.

Le maire de Cherbourg, le socialiste Benoît Arrivé, affirme à Mediapart que « les choses sont revenues au calme ». « À Cherbourg, il y a du vivre-ensemble », minimise-t-il. Omar Charaf reconnaît avoir reçu le soutien de l’élu et de l’État localement. Mais il constate aussi que « les politiques, au niveau national, jettent de l’huile sur le feu. Les musulmans deviennent une cible ».

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