« J’ai décidé de partir, vite. » Au téléphone, Irina Yov accuse le coup. « Un choix sous la contrainte », précise l’institutrice de 50 ans qui vit dans la capitale biélorusse Minsk. Quitter le pays est une décision radicale qui, depuis 20 ans, a déjà été prise par de nombreux Biélorusses.
Mais cette fuite sera-t-elle possible ? Dans un énième tour de vis, la Biélorussie vient en effet de limiter encore davantage les sorties du pays : seuls les détenteurs d’un permis de résidence à l’étranger pourront traverser les frontières terrestres.
Sur Twitter, la chercheuse biélorusse Maryia Rohava s’est indignée : « Le régime n’a aucun souci avec le fait de prendre sa population en otage et de couper les liens transnationaux avec la diaspora », dont une grande partie est acquise aux idées de l’opposition, voire a basculé dans le militantisme actif.
Irina compte bien essayer malgré tout, car elle dispose d’un visa et d’un permis de travail dans son pays de destination, qu’elle préfère ne pas mentionner, discrétion oblige.
Le détournement d’un avion Ryanair effectuant la liaison Athènes-Vilnius le 23 mai afin d’arrêter Roman Protassevitch, un jeune journaliste d’opposition qui se trouvait à bord, a marqué un tournant et accéléré la décision d’Irina. Car avec l’arrêt des liaisons aériennes entre Minsk et l’Union européenne, décidé par Bruxelles après l’incident, le couvercle se referme un peu plus sur la société biélorusse.
En quelques mois, on est passé de l’espoir de changement à la désillusion. En provoquant un tollé international, l’acte de « piraterie aérienne » du pouvoir a remis la Biélorussie sous le feu des projecteurs, confirmant le glissement du pays, alors que le monde ne le regardait plus, vers un régime quasi totalitaire, prêt à tout pour faire taire les voix d’opposition.

L’ampleur de cette implacable répression est vertigineuse : plus de 34 000 arrestations – 370 détentions administratives au cours du mois de mars –, 470 prisonniers politiques, selon la fiable organisation de défense de droits de l’homme Viasna, ou encore plus de 3 000 affaires criminelles ouvertes pour violation des lois concernant les « manifestations non autorisées », selon le ministère de l’intérieur lui-même.
Comme des centaines de milliers de concitoyens, Irina avait participé aux grandes manifestations de l’été 2020 contre la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 27 ans. Un souffle nouveau semblait pourtant, à l’époque, s’imposer en Biélorussie. L’espoir de changements se dessinait.