- Texte de réponse de Christian Vion, directeur général délégué gestion, production et moyens de France Télévisions :
Vous nous avez interpellés sur le partenariat qui nous lie à Air Productions pour une période de 3 saisons. En préambule, je souhaite corriger l’impression de jugement a priori qui se dégage de vos questions sur 3 points fondamentaux :
– Sur l’instruction des projets : c’est dans le strict respect des procédures internes que les contrats ont été établis et les commandes validées.
– Sur ce partenariat : c’est un incontestable succès pour France Télévisions, construit autour du programme d’access « N’oubliez pas les paroles ». Ce divertissement de qualité correspond entièrement à nos missions de service public. Il permet de fédérer chaque jour un large public, particulièrement jeune et diversifié, qui correspond aux objectifs de la télévision publique. Il est particulièrement remarquable que les recettes publicitaires que génèrent ces émissions quotidiennes sont supérieures à leur coût de production.
– Sur la conformité : la totalité des dispositifs contractuels et de production appliqués sont entièrement conformes aux usages professionnels en vigueur dans l’entreprise. Il n’y a eu aucune dérogation, ni traitement d’exception, contrairement à ce que vous laissez entendre.
Cet accord est totalement conforme à l’ensemble de nos procédures
Cet accord a suivi un processus strictement identique à celui de l’ensemble des plus de 700 producteurs qui travaillent avec France Télévisions. Tout d’abord, un processus d’instruction des projets par 4 directions métiers : les programmes, la production, les antennes et les finances. Ensuite un processus de validation des commandes. Selon le montant de ces commandes, elles sont soumises au Comité d’Investissement des Programmes (comité interne qui regroupe l’ensemble les directions générales compétentes de France Télévisions) et le cas échéant au Sous-Comité des Engagements, émanation du Conseil d’Administration qui valide les engagements supérieurs à 10M€ et qui comprend un représentant de l’État et deux personnalités qualifiées nommées par le CSA.
En l’occurrence, la lettre que vous mentionnez est une étape de la négociation entre France Télévisions et Air Productions qui liste l’ensemble des collaborations envisagées. Lorsqu’elles se transforment en projets, ceux-ci ont tous été validés en CIP ou en SCE. Concernant l’engagement du programme « N’oubliez pas les paroles » sur 3 saisons qui représente la partie la plus importante de la lettre mentionnée, ce contrat avait été approuvé en Sous-Comité des Engagements le 4 Mai 2017, soit trois semaines avant la signature de cette lettre. La confidentialité de nos négociations et de nos discussions sur un marché très fortement concurrentiel est une pratique que nous respectons dans tous les cas de figure.
Cette lettre rédigée par les directions compétentes ne constitue pas un engagement irrévocable. D’une part elle rappelle que les projets devront avoir été validés par le CIP et aussi le SCE pour les émissions quotidiennes. En l’absence de validation, le projet ne pourrait pas être produit. D’autre part, elle suppose la négociation et la conclusion d’un contrat déterminant précisément l’ensemble des conditions de la production.
D’ailleurs la lettre mentionne des projets dont les commandes ont été revues à la baisse ou interrompues. Ainsi le format envisagé « All Against One » a été abandonné car son évolution éditoriale ne nous convenait plus. Par ailleurs, aucun projet de fiction française n’a été produit et un seul documentaire l’a été sur la période de l’accord.
À toutes les étapes, les procédures ont été respectées et sont conformes aux règles en vigueur à France Télévisions. Toute affirmation différente, comme vous le formulez dans votre question, constituerait donc une attaque infondée à l’encontre de France Télévisions.
La signature de cet accord constitue une réussite stratégique pour France Télévisions tant sur le plan éditorial que financier
La référence à une lettre en 2016 constituait l’accord précédent entre Air Production et France Télévisions qui ne portait que sur une saison. Le choix de signer un accord sur trois ans et ainsi de sécuriser notre collaboration s’est avéré particulièrement pertinent et constitue une réussite au vu des résultats obtenus depuis, notamment autour du programme d’access « N’oubliez pas les paroles ».
Ce choix éditorial nous a permis de disposer d’un programme populaire tourné vers la culture et la chanson française, qui fédère un public particulièrement large et nous a permis de battre des records d’audience sur l’ensemble des trois saisons. De surcroît, alors qu’il est demandé au service public de toucher un public plus jeune, ce programme remplit parfaitement cet objectif en générant une écoute conjointe qui rassemble toute la famille, et ce, sur une tranche horaire particulièrement concurrentielle. Notre vocation de télévision publique est de toucher tous les publics.
Quant au jugement que vous semblez avoir sur la mauvaise gestion de cette relation contractuelle avec Air Production, il est assurément à rebours de la réalité. Sur le plan financier et du recours à l’argent public, ce choix est particulièrement optimal. Concernant les seuls programmes nous permettant des recettes publicitaires, soit « Tout le Monde Veut Prendre sa Place » et « N’oubliez pas les Paroles », nos recettes se sont situées entre 36M€ et 38M€ par an sur 2017, 2018 et 2019. Cela fait de ces programmes les très rares émissions à être intégralement financées par des recettes publicitaires. Le fait de disposer de programmes populaires et de qualité qui ne pèsent pas sur la redevance constitue pour France Télévisions l’un des axes de pilotage de la programmation et ce d’autant plus dans un contexte de financement difficile de France Télévisions et de priorité donnée à la création.
Concernant la clause d’audience à laquelle vous vous référez concernant l’émission d’access, votre analyse est doublement erronée. D’une part, au moment de la signature de ce contrat, la moyenne de la chaîne se situait à 12,1 % de PDA, il n’y a donc pas d’écart entre la moyenne de la chaîne et le niveau de la clause d’audience. D’autre part, une clause d’audience ne constitue jamais un objectif d’audience. L’objectif d’audience est toujours supérieur à la clause, qui fait l’objet d’une négociation et qui représente un plancher qui permet à France Télévisions de rompre unilatéralement un contrat. Cette rupture est ensuite exercée ou non en fonction de considérations éditoriales. Concernant « Tout le Monde Joue », nous en avons réduit le nombre avec seulement deux numéros cette année, même si certains ont été particulièrement appréciés en fonction de leur utilité publique, notamment celui sur le Code de la Route. L’audience constitue un élément d’appréciation de la présence sur la télévision publique, mais il n’est jamais le seul objectif.
La situation actuelle valide le choix stratégique de France Télévisions. Ce partenariat a permis d’offrir au public des émissions de qualité, rencontrant un large public et dont la diffusion permet d’optimiser les recettes publicitaires.
Les détails d’exécution du contrat sont conformes aux usages de la profession
Vous nous interrogez sur la présence à la radio France Inter de Nagui. Là aussi, je tiens à vous confirmer que c’est un de nos objectifs stratégiques que de sécuriser les talents sur les antennes du service public. Il ne vous aura pas échappé que nous travaillons à un partenariat étroit avec Radio France et que nous avons même vocation l’an prochain à nous rejoindre au sein d’un même groupe public. Dès lors, il était naturel de faciliter la présence d’un animateur sur une antenne du service public. En revanche, l’exclusivité en télévision pour Nagui le concerne en tant qu’animateur et non pas tant que producteur. Nous n’avons donc aucune objection à ce que sa société travaille avec TF1, nous considérons même qu’il est bénéfique que les sociétés de production contractant avec France Télévisions travaillent avec d’autres diffuseurs, afin de ne pas dépendre d’une unique source de financement.
Concernant les dépenses de décor et d’habillage, il est d’usage courant pour l’ensemble des émissions de flux qu’elles soient prises en charge séparément du coût de production de l’émission, sur justificatifs et dans la limite d’un plafond fixé à l’avance. France Télévisions prend également en charge les gains des candidats dans les émissions de jeux, sur justificatifs et dans la limite d’un plafond.
Par ailleurs, comme l’ensemble des émissions de France Télévisions, les émissions d’Air productions font régulièrement l’objet d’audit des comptes de production qui permettent de connaître précisément les coûts de production. L’émission « N’oubliez pas les paroles » a fait l’objet d’audits en 2014 et 2017. Les résultats ont été portés à la connaissance du SCE et il en a été tenu compte dans la négociation du contrat pluriannuel. De ce fait, le coût de production du programme et son coût rapporté à la minute d’antenne, qui a diminué de manière significative, apparaissent très efficaces économiquement, et ce sans faire de nouveau référence aux recettes publicitaires.
Enfin, il me semble que votre référence aux années 1990 ne soit pas pertinente. Les entreprises qui constituaient la télévision publique n’avaient pas mis en place ce niveau de procédure, dans un contexte où le poids de la ressource publicitaire était beaucoup plus important qu’actuellement.
- Réponses d’Air Productions à nos questions :
1 – [Questions : Pouvez-vous nous dire si c’était la première fois que vous signiez un accord-cadre de ce type ? Auparavant, aviez-vous déjà signé des contrats sur plusieurs années ? Et des contrats qui mêlent plusieurs de vos émissions ?]
Ce type de contrat n’est pas propre ni à Air Productions ni à France Télévision. Depuis toujours, de nombreux producteurs ont eu des contrats pluriannuels avec des diffuseurs couvrant plusieurs programmes. En ce qui concerne Air Productions, depuis ma présence, cela a toujours été le cas et avec toutes les chaînes avec lesquelles nous avons travaillées.
2 – [Question : Cette lettre confidentielle fait référence à une autre lettre confidentielle vieille de moins d’un an, puisqu’elle datait de juillet 2016. Que disait cette dernière ?]
En parallèle à notre précédent contrat, lequel prévoyait des dispositions particulières pour commander des émissions au-delà de la première saison, une lettre accord a précisé les propositions que nous pouvions faire pour d’autres programmes que ceux du contrat-cadre, sous réserve de l’accord du comité d’engagement. Elle a été donc rappelée dans le nouveau contrat de 2017.
3 – [Question : Nous imaginons qu’il y a eu des réunions ou des rendez-vous préparatoires à la signature de ce type d’accord. Pouvez-vous nous préciser comment, quand et avec qui vous avez préparé l’accord-cadre de mai 2017 ?]
Comme toujours les réunions préparatoires se tiennent dans l’ordre : avec les équipes artistiques puis avec les directions de production pour les devis, puis après accord du comité des engagements avec le service juridique.
4 – [Question : Vous ne déposez pas au tribunal de commerce les comptes de vos sociétés, comme la loi vous y oblige pourtant en théorie. Pour quelle raison ?]
Nous sommes une filiale de Banijay Group. Dans nos accords, c’est à Banijay que revient la charge de déposer les comptes auprès du tribunal de Commerce. Vous pouvez donc leur poser la question.
5 – [Question : Dès lors que vous travaillez pour une chaîne de service public, financée par la redevance, ne trouveriez-vous pas normal de respecter la loi et d’être transparents sur vos comptes ?]
La transparence est totale puisque, bien au-delà du dépôt des comptes, toutes nos émissions produites sont régulièrement auditées par FTV. Par ailleurs, à ce jour, aucun audit (réalisé par des cabinets externes à FTV) n’a relevé le moindre problème dans nos comptes.
6 – [Question : Au vu du montant de ce contrat-cadre (100 millions d’euros sur trois ans), pourriez vous nous renseignez sur le taux de marge brut de vos différentes émissions ?]
Vous comprendrez aisément que ce genre d’information est extrêmement confidentiel. Toutefois, FTV connaît parfaitement (à l’euro près) notre marge brute par le biais des audits réalisés sur le coût de nos émissions (voir question précédente).
7 – [Question : Comment avez-vous réussi à obtenir en mai 2017 de France Télévisions la garantie d’une émission en prime time dont le concept n’avait même pas encore été défini ?]
Une nouvelle fois, ce genre de pratique est assez courante dans notre métier. En ce qui concerne le contrat de 2017, au moment de la signature, plusieurs projets intéressaient la chaîne. Pour se laisser le temps de choisir le meilleur projet, tout en signant le contrat qui nous liait, nous avons convenu que le choix de l’émission se ferait un peu plus tard, d’un commun accord mais dans les contraintes budgétaires usuelles de la case occupée.
8 – [Question : Par le passé, avez-vous déjà été bénéficiaire de contrats avec une telle garantie ?]
Comme vous avez pu le constater, le contrat prévoit un renouvellement pour la saison suivante à l’unique condition qu’un niveau d’audience minimum soit réalisé. La chaîne ne prend donc aucun risque puisqu’en cas de sous performance, elle peut de façon unilatérale mettre un terme un contrat. Par ailleurs, vous remarquerez qu’il n’y a jamais de prime pour le producteur à la surperformance. Or, dans notre cas, nos émissions ont largement surperformé par rapport au minimum contractuel (et même par rapport à la case avant notre arrivée).
9 – [Question : Pourquoi France Télévision prend en charge les décors, habillage, informatique pour une émission comme « All against One ». Est-ce le cas pour d’autres émissions ? Est-il exact que France Télévisions paye les gains des vainqueurs de l’émission « N’oubliez pas les paroles » ?]
C’est le cas d’une façon générale pour toutes les chaînes françaises, pour toutes les émissions les frais fixes (décors, habillage) sont pris en charge par les chaînes et réglés directement par la chaîne sans passer par le producteur. Il en est de même pour les gains de jeux (avec une protection pour la chaîne puisqu’en cas de dépassement des gains au-delà du montant autorisé, c’est au producteur de supporter le dépassement).
10 – [Question : Au milieu des années 1990, vos contrats ainsi que ceux de différents producteurs-animateurs avaient non seulement choqué le grand public, mais suscité le courroux de parlementaires et de la Cour des comptes. Au fond, diriez-vous aujourd’hui que rien n’a changé ?]
Je vous invite à approfondir vos recherches : ni le rapport Bloch-Lainé ni la commission de la Cour des Comptes n’ont trouvé à redire quant aux contrats d’Air Productions avec France TV. La volonté de nuire de certaines personnes a alimenté une communication à charge volontairement sans refléter la réalité et la conformité de nos contrats.
11 – [Question : Pourquoi avoir demandé à pouvoir animer une émission sur France Inter diffusée en même temps que celle que vous présentez sur France 2 ?]
Un animateur ne choisit pas les horaires de diffusion de ses émissions, c’est le diffuseur qui décide. M. Gallet souhaitait confier la tranche 11 h-12 h 30 à Nagui. C’est Nagui, à l’époque, qui par principe a demandé de s’arrêter à 12 h pour ne pas être en même temps à la radio et à la télé. Au bout d’un an, des études d’audience ont montré que les publics de France Inter et de FTV, à cette heure-là, n’étaient pas les mêmes. Les deux directions (de Radio France et FTV) ont alors décidé d’un commun accord de laisser les émissions programmées telles qu’elles le sont aujourd’hui (avec pour chacune d’elles les bonnes audiences que vous connaissez).
12 – [Question : En plus de vos revenus de producteur, confirmez-vous gagner en tant qu’animateur et comme l’a affirmé Capital entre « 750 000 euros et 1 million d’euros par an » ?]
Nous n’avons pas à commenter cette « affirmation » de Capital. De mémoire, toutefois, bien qu’erronées, les sommes mentionnées, englobaient la totalité des revenus de Nagui et non uniquement ceux d’animateur comme vous le sous-entendez.
13 – [Question : Seriez-vous prêts à dire combien vous avez touché en dividendes comme actionnaire de Banijay ?]
Nagui n’a touché aucun dividende.
14 – [Question : Vous arrive-t-il de vous interroger sur le montant de votre rémunération quand parallèlement France Télévisions supprime des milliers d’emplois pour faire des économies ?]
Parallèlement aux efforts demandés aux salariés de FTV, Air Productions n’a cessé depuis une dizaine d’années, contrat après contrat, d’accepter des réductions de prix pour les mêmes programmes. Par ailleurs, la société Air Productions crée de nombreux emplois et édite chaque mois plus de 500 fiches de paye pour les émissions animées par Nagui. Sans Nagui, aucun de ces emplois ne serait créé. Enfin, les études récentes faites par vos confrères ont démontré que les émissions animées par Nagui génèrent 30 % des recettes publicitaires de FTV. Ce qui revient à dire que nos émissions rapportent de l’argent au service public et non l’inverse (contribuant ainsi à sauver des emplois à FTV).
15 – [Question : Comprenez-vous que ces montants puissent interpeller comme avaient choqué vos déclarations sur votre « bénévolat » à France Inter, alors que, selon Capital, vous touchez entre 120 000 et 150 000 euros de salaire annuel pour l’émission « La Bande originale » que vous animez chaque jour ?]
Nagui a repris une blague récurrente faite par les humoristes sur Inter, il a reconnu avoir eu tort de la faire sur une autre antenne hors contexte. Dont acte.
16 – [Question : Vous avez plusieurs fois expliqué ces dernières années, et encore très récemment, que, pour vous, tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain, ou encore qu’« il suffisait d’une lettre recommandée » pour être écarté. Comme si la fragilité de votre emploi justifiait un surcroît de rémunération. Or, le contrat-cadre que nous nous sommes procuré montre précisément l’inverse : quelles que soient vos audiences, quelles que soient vos erreurs, un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros sur trois ans vous est garanti. Au pire, durant ces trois années, on vous proposera de remplacer une émission par une autre, sans modification du nombre d’émissions commandées ni du coût unitaire des émissions. Comment expliquez-vous ce fossé entre vos déclarations sur la précarité de votre situation et la réalité de celle-ci ?]
Tous nos contrats sont assortis de clauses d’audience, certaines ont déjà été supprimées, d’autres sont heureusement toujours à l’antenne (et régulièrement en tête des audiences de leur case).
17 – [Question : Avez-vous déjà signé ou négocié pour l’après-juin 2020 ? Comptez-vous demander de meilleures conditions ?]
Nous avons commencé des discussions pour l’année prochaine en détaillant les programmes que nous pourrions mettre à l’antenne, leur fréquence et leur périodicité. Il a, une fois de plus, été demandé par FTV de réduire le coût de nos émissions. Nous travaillons à des solutions tout en ayant comme objectif de maintenir le niveau de qualité de nos productions.