Pour faire preuve de transparence, nous reproduisons la totalité des questions concernées que nous avions adressées à l’organisation le 1er septembre.
« Bonjour,
Je suis journaliste spécialiste de la Syrie et travaille, avec Ariane Lavrilleux et Frank Andrews, en copie de ce mail, pour Mediapart. Dans le cadre d’un article sur vos activités en Syrie, nous avons une série de questions à vous poser, détaillées ci-dessous :
1. Concernant la genèse de SOS Chrétiens d’Orient
- Les statuts de votre association ont été déposés en octobre 2013 à la préfecture de Paris, sous le nom « SOS chrétiens d’Orient », pourtant, lors de votre première mission en décembre 2013 à Damas, les membres, dont les fondateurs, apparaissent avec des tee-shirts « Noël en Syrie ». Pourquoi avoir changé de nom ?
- Votre choix de vous focaliser sur les chrétiens uniquement est-il né avant ou après ce voyage de 2013 ?
- Cette action caritative imaginée en 2013 ne devait à l’origine pas se focaliser uniquement sur les chrétiens, selon d’anciens membres qui estiment que le projet est devenu par la suite « sectaire et communautariste ». Que répondez vous à ces critiques ?
- Vous expliquez au magazine L’Homme nouveau avoir à l’époque voulu « passer Noël » avec les déplacés de Maaloula à Damas. Pourquoi avez-vous fait appel à Frédéric Chatillon, ex-prestataire du ministère du tourisme syrien et proche du régime Assad, ainsi qu’à Hala Chawi – conseillère du président Bachar el-Assad – pour préparer cette opération qui consistait à visiter des lieux de Damas et transporter des jouets sur place ?
- Vous reconnaissez vous-même que le régime syrien a payé l’hôtel et vos déplacements lors de cette opération de « Noël en Syrie ». Le régime syrien a donc financé vos premières opérations, contrairement à ce que vous indiquez à L’Express. En affichant votre soutien et en recevant celui de la présidence syrienne, n’est-ce pas une manière d’interférer dans la vie politique syrienne et le conflit syrien ?
- Selon nos informations, plusieurs membres et fondateurs – dont Benjamin Blanchard – qui ont participé à la première opération de SOS Chrétiens d’Orient avaient l’envie et l’intention d’aller combattre ou d’aider concrètement des unités combattantes contre les rebelles opposés à Assad. Pourquoi souhaitiez-vous aider militairement des milices ? Pourquoi avez-vous finalement abandonné ce projet ?
- Selon nos informations, sur les 150 000 euros récoltés en 2013 pour cette opération « Noël en Syrie », seuls quelques milliers d’euros ont été distribués sur place aux hôpitaux et orphelinats visités, contrairement aux promesses faites à ces organisations. Où est passée la majorité des sommes récoltées ?
2. Au sujet des activités dans la province de Hama :
- SOS Chrétiens d’Orient intervient à Mhardeh et Sqelbiye, et a collecté au moins 50 000 euros, comment a été dépensé cet argent ? Alexandre Goodarzy assure dans une interview au média Sputnik que seulement 10 000 euros ont été utilisés sur place. Des habitants témoignent qu’ils n’ont pas vu la couleur des dons promis à l’hôpital de Mhardeh. Comment les fonds ont-ils réellement été utilisés ?
- Quel est votre budget en 2019 et 2020 pour ces deux villes ?
- Selon nos informations, les transferts d’argent liquide passaient directement de Goodarzy aux chefs de milices et représentants d’églises locaux. Confirmez-vous?
- Les deux chefs de milices, Nabel al-Abdullah et Simon al-Wakil, que vous présentez comme des « résistants », sont accusés de crime de guerre par des ONG de défense des droits de l’homme (plusieurs massacres dans la région de Hama). Dans leurs camps d’entraînement militaire, ils forment également des enfants de moins de 18 ans. Lorsque vous organisez des actions caritatives avec eux et les faites apparaître dans vos vidéos de communication, êtes-vous au courant de leurs agissements ?
Que répondez-vous aux accusations de complicité de crime de guerre à votre encontre ?
- Pourquoi avez-vous remis des trophées en 2019 à des chefs militaires de milices accusées de crime de guerre ?
- Vous présentez l’aide comme destinée à Mhardeh mais, de votre propre aveu, elle est en fait en partie destinée aux miliciens et à leurs familles. Pourquoi ?
- Benjamin Blanchard et Alexandre Goodarzy se sont pris en photo en train de manier des armes de combat (kalachnikov, mitrailleuse, lance-roquette, machette) et sur des pièces d’artillerie des Forces de défense nationale (NDF). D’où proviennent exactement ces armes ? Que faisiez-vous avec ces armes ?
- Considérez-vous ces comportements compatibles avec une ONG humanitaire ?
Alexandre Goodarzy est également présent lors d’un tir d’artillerie des NDF. Assister à des actions militaires fait-il partie des mission du chef de projet Syrie de SOS Chrétiens d’Orient?
- Par ailleurs, les NDF de Mhardeh sont accusées par des habitants d’utiliser des écoles et églises comme positions militaires, mettant ainsi en danger la population, en particulier chrétienne. En tant qu’ONG de défense des chrétiens d’Orient, approuvez-vous ces agissements contraires au droit de la guerre ?
- Le ministère des armées a décidé de vous retirer le label « partenaire de défense nationale » qu’il vous avait attribué. Comment l’expliquez-vous ?
3. Au sujet du village de Maaloula :
- Vous indiquez, dans votre dernière vidéo publiée en août 2020, qu’« une horde de djihadistes du front Al-Nosra envahissent et occupent le village ». Un de vos bénévoles, Chandler Ferbeal, ajoute que cette armée « tue hommes, femmes et enfants. Des hommes sont égorgés, fusillés ou enlevés ». Le village a été attaqué début septembre 2013, suite à l’explosion d’un kamikaze à son entrée, mais les agences de presse et le patriarche orthodoxe ne rapportent ni occupation du village (seulement quelques bâtiments en hauteur) ni massacre de masse, encore moins d’enfants. Le village, vidé de ses habitants suite à l’attaque, se transforme en champ de bataille et change quatre fois de mains, selon Reuters, avant d’être repris par le régime syrien en avril 2014. Pourquoi avez-vous repris la version des faits délivrée par le régime syrien et non pas celle exposée par un représentant orthodoxe, ni même le compte-rendu des médias respectant les principes journalistiques de précision et vérification des informations ?
- Dans vos vidéos, vous détaillez les destructions d’icônes religieuses par les djihadistes. En revanche vous ne mentionnez pas les pillages des sites archéologiques par des membres du Hezbollah présents dans le village jusqu’en 2019. Pourquoi ?
- Dans vos vidéos, vous omettez d’indiquer que l’artillerie du régime syrien a également causé des dégâts, notamment contre trois églises. Pourquoi indiquez vous que les destructions n’ont qu’une seule origine (les djihadistes), alors que ce n’est pas le cas ?
- Selon nos informations, le régime syrien a interdit aux sœurs du monastère Saint-Thècle de s’exprimer dans les médias après leur libération et leur conférence de presse où elles indiquaient avoir été bien traitées par leurs ravisseurs (Al-Nosra). Vous ne faites jamais mention de ces sœurs dans vos supports de communication (à l’exception de quelques secondes dans la vidéo publiée en 2020 qui laisse entendre qu’elles ont été kidnappées en septembre, alors qu’elles ont été kidnappées en décembre 2013). Avez-vous reçu des consignes des autorités syriennes de ne pas communiquer avec elles et à propos d’elles ?
- Avec l’association SOS Maaloula soutenue par Robert Ménard, vous avez financé la plantation de vignes à Maaloula. Selon SOS Maaloula, l’opération a en partie échoué, la moitié des 57 000 pieds étant morts. Dans votre dernière vidéo sur Maaloula, vous indiquez avoir planté des vignes sur 5 000 m2, soit environ 1 000 pieds selon la méthode maaloulite. À l’heure actuelle, confirmez-vous que seulement 2 % des pieds prévus ont été plantés ? Comment expliquez-vous un tel échec pour un projet qui a coûté au moins 40 000 euros ? Allez-vous allouer un nouveau budget, si oui de quel montant ?
- Votre ONG a coorganisé au moins neuf voyages touristiques passant par le village de Maaloula avec l’agence Odeia. Sachant que chaque voyage coûte 1 500 euros, quel est le pourcentage reversé à votre association ? Benjamin Blanchard est-il payé par Odeia ou l’association lorsqu’il intervient lors de ces voyages commerciaux ?
- Selon nos informations, certains de vos bénévoles ont tiré avec des kalachnikovs (sans faire de blessés) lors de la fête de la Croix et n’ont pas été sanctionnés. Un ancien bénévole de Maaloula devenu salarié, Jérôme Cochet, a également posé à côté d’armes et tanks, en tenue militaire.
Le port et l’utilisation d’armes est-il autorisé par votre organisation ?
Considérez-vous que ces comportements sont en accord avec le principe de neutralité de votre organisation humanitaire ?
4. Au sujet de vos organisations partenaires :
- SOS Chrétiens d’Orient a un partenariat avec l’organisation Syria Trust Development, dirigée par Asma el-Assad, qui se matérialise par des activités communes et subventions à Damas, Alep et Sqelbiye. Selon la loi César qui place Mme el-Assad sur la liste des sanctions et prévoit de poursuivre toutes les organisations et personnes soutenant les organismes du régime syrien, l’association SOS Chrétiens d’Orient peut être poursuivie par l’administration américaine. Allez-vous poursuivre votre coopération avec STD ? Comment vous préparez-vous à d’éventuelles sanctions, gel de vos comptes bancaires ?
- Quel est le montant des subventions versées à STD-Damas et STD-Sqelbiye ?
- À Alep, vous avez donné 300 000 euros au centre de STD qui n’a jamais été construit par ses soins mais simplement récupéré, contrairement à ce que vous indiquez dans des articles. À quoi ont donc véritablement servi ces 300 000 euros ? Selon des chercheurs spécialistes des organisations para-gouvernementales en Syrie, STD est connue pour détourner une partie des fonds internationaux qu’elle récolte au profit du régime, qui manque cruellement de liquidités. Savez-vous quelle part de votre subvention a été détournée au profit de Mme el-Assad au lieu de servir aux quelques bénéficiaires de ce centre d’Alep ? Malgré ces risques de détournement, envisagez-vous de continuer cette coopération ?
- SOS Chrétiens d’Orient a un partenariat depuis sa création avec Hala Chawi qui a fondé l’association Al Karma. Le logo de l’association Al Karma, fondée après SOS Chrétiens d’Orient, reprend le même graphisme que le vôtre. Le lui avez-vous offert gratuitement ?
- Votre siège à Damas est au nom d’Hala Chawi. Dans la mesure où Hala Chawi est une des conseillères de Bachar el-Assad, comment pouvez-vous garantir que le régime n’interfère pas dans vos activités ? Considérez-vous que ce partenariat respecte le principe de neutralité des organisations humanitaires auquel vous dites souscrire ?
- Confirmez-vous qu’Hala Chawi perçoit une commission de 20 % sur le budget Syrie de SOS Chrétiens d’Orient en échange des services administratifs rendus à votre association. Pourquoi ne pas en informer vos donateurs ni le cabinet d’expert comptable qui vérifie vos comptes chaque année ?
- Quel était l’intérêt pour les chrétiens d’Orient et les Aleppins du monument « Believe in Aleppo » que vous avez cofinancé avec Al Karma ? Combien vous a coûté ce projet ?
- En 2016, vous avez donné 150 000 euros à la fondation de Jean-Clément Jeanbart qui devait entre autres construire une école professionnelle, selon vos propres rapports. En 2020, cette école n’existe toujours pas. Le terrain de sport à Alep promis par Jean-Clément Jeanbart non plus. Selon nos informations, Jean-Clément Jeanbart s’est contenté d’offrir quelques cours de musique dans les locaux de sa paroisse.
Avez-vous contrôlé comment les fonds étaient utilisés et si oui, où ont-ils été affectés ?
Pourquoi avez-vous continué de travailler avec Monseigneur Jeanbart et lancé encore récemment des appels aux dons en sa faveur ?
Pourquoi les 30 000 euros alloués au terrain de sport censé être bâti par M. Jeanbart n’ont-ils jamais été ré-alloués ?
- En 2018, vous avez apporté 70 000 euros à une nouvelle école d’application pour les professionnels de la construction à Damas. En 2020, il n’existe aucune trace de cette école. Vos fonds ont vraisemblablement seulement servi à rénover une vieille bâtisse pour l’association Al Sakhra. Quel(les) est/sont la/les raison(s) de cet échec ?
Avez-vous des preuves que les diplômes d’architecture que vous évoquez ici ont été décernés ?
- Vous avez récolté les fonds nécessaires à la reconstruction d’une centaine de maison à Alep dans le quartier d’al-Midan. En juin 2018, vous indiquiez que seulement 10 familles y sont retournées vivre. Comment expliquez-vous ce faible nombre ?
Selon des habitants du quartier, les critères d’attribution des maisons reconstruites ne sont pas transparents et dépendent du prêtre. Suivez-vous le processus d’attribution des maisons ou bien déléguez-vous entièrement ce processus ?
- À Sadad, vous êtes la seule ONG européenne qui a choisi de coopérer et de travailler directement avec le mouvement néofasciste du PSNS. Pourquoi ?
5. Concernant votre comptabilité :
- Selon vos bilans comptables déposés au journal officiel, vous avez dépensé plus de 800 000 euros sans les justifier. Comment ces montants ont-ils été utilisés et pourquoi aucun justificatif n’a-t-il été fourni ?
- 35 % de votre budget est dédié à la communication et marketing quand la plupart des ONG n’y consacrent pas plus de 20 %. Comment justifiez vous de telles dépenses ?
- Concernant votre branche italienne :
- Quel est le but de la création d’une branche de votre association en Italie, Fondazione SOS Cristiani d’Oriente ? S’agit-il d’une fondation destinée à récolter des fonds ou simplement d’une antenne italienne répondant aux mêmes missions que la maison-mère française ?
- Combien de volontaires italiens ont-ils été recrutés pour participer aux missions de SOS Chrétiens d’Orient ? Dans quel pays opèrent-ils le plus ?
- En 2018, vous avez nommé Sebastiano Caputo à la tête de votre branche italienne. Étiez-vous alors au courant de la participation de Sebastiano Caputo à des conférences du groupe néofasciste italien Casapound, ainsi que de son passage dans différentes revues publiant, entre autres, des textes du négationniste Robert Faurisson ?
- Benjamin Blanchard ainsi qu’Anne-Lise Blanchard ont été aperçus lors d’événements organisés par ou comportant des membres de Casapound. Comment l’expliquez-vous ? Quelle est la nature des relations entre SOS Chrétiens d’Orient et Casapound ?
Je suis disponible par téléphone si vous souhaitez me répondre directement.
Cordialement »