Dans la salle de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, il y a les journalistes – venus en nombre. Il y a les parents des uns, et des unes. Ceux qui font les cent pas, ceux qui parlent à la presse, ceux qui ne veulent plus. Dans les mains du père d’Yldune Lévy, l’amie de Julien Coupat, un carnet. Sur la couverture, il est écrit : «journal de bord». On imagine les pages, les rages, les doutes. Dans la salle, il y a aussi Eric Hazan, éditeur du désormais et malgré lui best-seller L’Insurrection qui vient. Et puis des copains de copains des «Tarnac», puisque le groupe a désormais gagné une particule.
But de la réunion : présenter le dossier d’instruction de l’affaire de Tarnac – sans le montrer concrètement (loi oblige, mais frustration garantie). Exiger la liberté du dernier en détention, Julien Coupat ; et la déqualification des faits reprochés à tous (grosso modo : dégradations plutôt que terrorisme dans l’affaire des caténaires sabotées en novembre 2008). Pendant une heure trente, les quatre avocats des neuf mis en examen ont donc tenu, hier matin, conférence de presse. Le propre des conférences de presse, c’est rarement de révéler. Mais de produire de l’image. De marteler un message – il sera ici pénal («le dossier est vide») et politique («tous les éléments du dossier ont été scénarisés dans le seul objectif de les présenter comme des ennemis de l'intérieur menaçant notre démocratie»). Parfois, de rappeler des évidences. Ainsi Irène Terrel, avocate de Julien Coupat, de Gabrielle H. et de Benjamin Rosoux : «C’est à l’accusation de prouver la culpabilité. Pas aux mis en examen de prouver leur innocence.»
Le discours est rodé – et connu. Il a été teasé la semaine dernière dans une page fracassante du Monde, titrée «Ce que contient le dossier d’instruction de l’affaire Tarnac». C’est-à-dire rien. Ou trois fois rien. Pour les avocats, donc, «le dossier est vide». Pas la moindre preuve matérielle mais «la criminalisation de lectures, d’écrits, de pensées et de participation à des manifestations». Il n’y a ni «empreintes digitales, ni ADN». Ce qui n’est pas tout à fait exact. Selon nos informations, de l’ADN a bien été retrouvé : celui des agents SNCF venus réparer les caténaires et décrocher les crochets. C’est-à-dire trois fois rien d’ADN.
Pour Dominique Vallès, avocate de Bertrand D. et d’Elsa H., «toute la dimension du dossier est là : dans les excès de l’antiterrorisme». William Bourdon, nouveau conseil d’Yldune Lévy, renchérit : «Cette procédure est toxique pour les libertés publiques.» Et de fustiger «l’extraordinaire et extravagante démesure des moyens de surveillance» du groupe, neuf mois durant. Ecoutes, filatures, caméras dans les arbres corréziens et cache-cache dans le métro parisien. Quelques confidences plus loin, sans importance capitale, et c’est le jeu des questions-réponses avocats/journalistes.
La conférence change alors de ton. Elle se fait parfois hors-sujet. Parfois, accusatoire. Souvent aigre-douce. «Coupat revendique-t-il L’Insurrection qui vient ? Que répondez-vous à ceux qui disent qu’il n’y a plus d’attentats ? Que faisait-il avec Yldune le long des voies ferrées le 7 novembre ?» Questions légitimes, mais insuffisantes. On se croirait cinq mois en arrière, quand l’affaire démarrait. Comme si celle-ci valait plus par sa dimension judiciaire que par sa dimension symbolique. Ou politique. Cette fois, un élément inédit apparaît. Enfin. Il est révélé par Me Terrel : le fameux soir des sabotages, le couple Coupat/Lévy s’est d’abord «adressé à un petit restaurant routier» pour dormir. En vain : l’établissement n’avait pas de chambre libre. Les deux jeunes gens auraient alors décidé de se rendre dans un sous-bois. Traduction : pas pour aller poser un fer à béton sur une caténaire, comme le soupçonne la police. Mais parce qu’«Yldune voulait faire un câlin à Julien», avance Me Bourdon. On s’interroge. Non sur l’alibi donné, mais sur la nature des débats : l’instruction repose-t-elle vraiment sur ce point là ? A en croire les avocats, oui.
Deux précisions d’importance, tout de même. L’une émanant du conseil d’Yldune Lévy: «Nos deux clients ont donné la même explication au juge sans s’être concertés. Il y a certes une coïncidence temporelle et géographique entre les faits reprochés et leur présence [à proximité du lieu des sabotages] mais cela ne constitue en rien une preuve.» L’autre vient de l’avocate de Julien Coupat : le gérant de l’hôtel a-t-il été interrogé pour confimer ou infirmer les dires des deux accusés ? «Nous l’avons demandé. Or, cette vérification n’a pour l’instant pas été faite !» Pas plus que la piste des antinucléaires allemands, qui avaient revendiqué l’opération, n’a été sérieusement étudiée. D'après une source proche de l’enquête, recueillie par Mediapart, aucun fonctionnaire de la SDAT (Sous-direction anti-terroriste) ne se serait rendu pour l’heure outre-Rhin.
Tarnac: la défense passe à l'offensive
Les avocats des «9 de Tarnac» font défense commune. Fait rare: jeudi, ils ont détaillé publiquement une partie du dossier. Et demandent la «déqualification» des faits reprochés à leurs clients. Ambiance d'une drôle de conférence de presse et précisions de Mediapart sur les derniers indices de l'enquête. Sur fond de guerre de com' entre la police, la justice et la défense.
3 avril 2009 à 08h44