Sale temps pour les lanceurs d'alerte

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Voici les motivations de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, suivies du dispositif de jugement. Elle sont exactement les mêmes pour Liliane Bettencourt et pour Patrice de Maistre, à la différence de la peine pour préjudice moral (20.000 euros pour Mme Bettencourt, 1000 euros pour M. de Maistre):

« Considérant, en premier lieu, qu’il n’est pas contesté par les défendeurs que les enregistrements ont été effectués dans un salon particulier du domicile privé de Liliane BETTENCOURT, à son insu et à celui de ses visiteurs, pendant une période qui s’est étendue de mai 2009 à mai 2010, au moyen de la pose d’un appareil enregistreur par le maître d’hôtel de l’intéressée ; qu’il n’est pas davantage contesté que les défendeurs à la saisine avaient conscience du caractère illicite de la provenance de ces enregistrements, le journal MEDIAPART se référant à des enregistrements “clandestins” ou “pirates”et qualifient le procédé de “moralement - sinon pénalement - condamnable” ;

« Que ces enregistrements, pratiqués de façon clandestine, ont, par leur localisation et leur durée, nécessairement conduit leur auteur à pénétrer dans l’intimité des personnes concernées et de leurs interlocuteurs ;

« Qu’il importe peu que les défendeurs aient procédé à un tri au sein des enregistrements diffusés pour ne rendre publics que les éléments ne portant pas atteinte, selon eux, à la vie privée des personnes concernées ; que la cour observe, surabondamment, que les enregistrements diffusés, en ce qu’ils fournissent des indications sur la capacité de Liliane BETTENCOURT à se remémorer certains événements ou certaines personnes, ainsi qu’à suivre des conversations menées sur un mode allusif, intéressent son état de santé et, par suite, son intimité ;

« Que la diffusion par les défendeurs d’enregistrements qu’ils savaient provenir de cette intrusion dans la sphère intime de Liliane BETTENCOURT caractérise le trouble manifestement illicite exigé par l’article 809 du code de procédure civile, au regard des articles 226-1 et 226-2 du code pénal, visés dans l’assignation ;

« Qu’il résulte par ailleurs de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’exercice de la liberté de recevoir ou de communiquer des informations comporte des responsabilités et peut être soumis à certaines restrictions, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ;

« Que l’exigence de l’information du public dans une société démocratique énoncée à l’article 10 de la convention susvisée, qui aurait pu être satisfaite par un travail d’investigation et d’analyse mené sous le bénéfice du droit au secret des sources, ne peut légitimer la diffusion, même par extraits, d’enregistrements obtenus en violation du droit au respect de la vie privée d’autrui, affirmé par l’article 8 de ladite convention ;

« Qu’il importe peu, enfin, que, depuis leur diffusion, les informations concernées aient été reprises, analysées et commentées par la presse, dès lors qu’il résulte de l’accès aux enregistrements litigieux par le biais du site de MEDIAPART un trouble persistant à l’intimité de la vie privée de Liliane BETTENCOURT ;

« Qu’il convient, en conséquence, d’infirmer l’ordonnance entreprise, et de prescrire les mesures sollicitées dans les termes énoncés au dispositif du présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la publication d’un communiqué ;

« Qu’en ce qui concerne le montant de la provision sollicitée, il convient de fixer à la somme de 20.000 euros le montant alloué à Liliane BETTENCOURT à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral ;

« Sur les dépens et les frais irrépétibles

« Considérant que les défendeurs à la saisine succombant dans leurs prétentions doivent supporter les dépens ;

« Considérant que l’équité ne commande pas de faire application en cause d’appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

« PAR CES MOTIFS

« La cour,

« Statuant publiquement, par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,

« INFIRME l’ordonnance rendue le 1er juillet 2010 par le juge des référés du tribunal de grande instance de PARIS, sauf en ce qui concerne le rejet des moyens de nullité et des exceptions de procédure ;

« REJETTE la demande de sursis à statuer,

  « REJETTE la demande de nullité présentée en cause d’appel,

« STATUANT à nouveau,

« -  ORDONNE le retrait du site www.mediapart.fr , dans les huit jours suivant la signification du présent arrêt sous astreinte, passé ce délai, de 10.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, de toute publication de tout ou partie de la retranscription des enregistrements illicites réalisés au domicile de Liliane BETTENCOURT ;

« -  FAIT injonction à la société MEDIAPART de ne plus publier tout ou partie des enregistrements illicites réalisés au domicile de Liliane BETTENCOURT, sur tous supports, électronique, papier ou autre, édités par elle et/ou avec son assistance directe ou indirecte, et ce sous astreinte de 10.000 euros par extrait publié, à compter de la signification du présent arrêt ;

« -  CONDAMNE in solidum la société MEDIAPART, Edwy PLENEL, Fabrice ARFI et Fabrice LHOMME à verser à Liliane BETTENCOURT la somme de 20.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral ;

« - REJETTE toute autre demande des parties, et notamment celles fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

« - CONDAMNE la société MEDIAPART, Edwy PLENEL, Fabrice ARFI et Fabrice LHOMME aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile. » 

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Tous les articles de Mediapart sur l’affaire Bettencourt, depuis le tout premier, mis en ligne le 16 juin 2010, sont accompagnés de cette longue précision à propos de notre traitement journalistique des enregistrements clandestins du majordome: «Après avoir pris connaissance de l'intégralité de ces enregistrements, Mediapart a jugé qu’une partie consistante de leur contenu révélait des informations qu’il était légitime de rendre publiques parce qu’elles concernaient le fonctionnement de la République, le respect de sa loi commune et l’éthique de ses fonctions gouvernementales. Nous avons bien entendu exclu tout ce qui se rapportait de près ou de loin à la vie et à l’intimité privées des protagonistes de cette histoire. Nous nous en sommes tenus aux informations d’intérêt général. Figurent donc dans ces verbatims les seuls passages présentant un enjeu public: le respect de la loi fiscale, l’indépendance de la justice, le rôle du pouvoir exécutif, la déontologie des fonctions publiques, l’actionnariat d'une entreprise française mondialement connue.»