L'information judiciaire menée par le juge Charles Duchaine sur des marchés publics présumés frauduleux dans les Bouches-du-Rhône se rapproche du conseil général et de son président, le socialiste Jean-Noël Guérini. A quelques semaines des cantonales, des écoutes inédites datant de juillet 2009, publiées mardi par Le Parisien, semblent montrer que Jean-Noël Guérini serait intervenu en faveur de son frère Alexandre, entrepreneur spécialisé dans la collecte et le traitement des déchets (Jean-Noël Guérini a publié un démenti sur son blog).
Alexandre Guérini a été mis en examen pour «abus de biens sociaux, détournement de biens publics, recel et blanchiment, corruption active et détention de munitions» le 2 décembre 2010, et placé en détention. Dans une audition de décembre 2009, également versée au dossier depuis peu, un ancien directeur général des services du département, Vincent Potier, décrit aux gendarmes «certaines pratiques ou tentations de pratiques liées à ce que j'appellerai du management clientéliste» au sein du vaisseau bleu, le siège du conseil général à Marseille.
Connaissant un certain nombre d'éléments, Vincent Potier, aujourd'hui directeur général du centre national de la fonction publique territoriale, a estimé «de son devoir» de se tenir à la disposition du juge Charles Duchaine, lorsque l'affaire a éclaté en novembre 2009.
Après avoir été directeur général des services des Bouches-du-Rhône pendant six ans, Vincent Potier avait quitté l'institution selon lui sur un désaccord, en juin 2008 après l'échec de Jean-Noël Guérini aux municipales de Marseille. «J'ai choisi de lui exposer les conditions dans lesquelles j'accepterai à continuer de travailler avec lui (Jean-Noël Guérini), raconte-t-il aux gendarmes le 10 décembre 2009. Ces conditions étaient que mes collaborateurs ne soient plus imposés contre mon gré dans toutes les catégories et plus particulièrement B et A, mettre fin au court-circuitage en provenance du cabinet et me redonner la main sur le suivi des outils extérieurs au Conseil général. Le président n'ayant pas validé mes demandes, j'ai pris soin de quitter mon poste.»
Face aux gendarmes, Vincent Potier décrit un système piloté par un petit nombre de personnes, depuis le cabinet de Jean-Noël Guérini, qui s'apparente selon lui à un «management clientéliste». «De 2002 à 2008, tous les recrutements de catégorie C par le Conseil général provenaient de noms prescrits par le cabinet, explique-t-il. Au fil des années, cette pratique s'est progressivement étendue aux catégories A et B.»
De même concernant les associations, il dit avoir «constaté une certaine pratique d'indication de montants de subventions à certaines associations transmis par le cabinet directement au service concerné, le dépôt du dossier de demande s'effectuant postérieurement».
Gérard Piéri, le fonctionnaire à l'époque chargé de contrôler les associations, «se targuait constamment d'être très proche d'Alexandre Guérini, le frère de Jean-Noël», dit Vincent Potier lors de son audition. Il n'était pas le seul au sein de l'institution puisque «Alexandre Guérini avait des liens directs et fréquents avec Jean-François Noyes (à l'époque directeur de cabinet puis conseiller spécial de Jean-Noël Guérini), Pascal Marchand (directeur de cabinet de 2005 à 2008), Jean-Marc Nabitz (alors directeur de la société d'économie mixte Treize Développement)», précise le fonctionnaire.
Ce dernier nom n'est pas anodin puisque Treize Développement était responsable des plus grosses opérations d'investissement du conseil général, comme la construction-rénovation des collèges, et jouait un rôle primordial dans l'élaboration du plan départemental d'élimination des déchets ménagers.
Dossiers sensibles
Au sein du cabinet de Jean-Noël Guérini, Vincent Potier décrit le «rôle éminent dans le suivi d'un certain nombre de dossiers dits sensibles» joué par sa conseillère spéciale, Beatrix Billès. Et de lister ces dossiers : «les autorisations pour les maisons de retraite, le Mentaure (décharge gérée à La Ciotat par une des sociétés d'Alexandre Guérini où l'enquête a révélé plusieurs malversations), le plan départemental des déchets et toutes les questions liées aux deux incinérateurs, les questions foncières, le rachat de l'immeuble CMA CGM (vendu 50 millions d'euros par l'armateur au département, ndlr) et le contrôle de la chambre régionale des comptes».
Les enquêteurs se sont penchés sur plusieurs de ces dossiers, notamment celui du Mentaure et des maisons de retraite. Mais rien n'a filtré de ce dernier volet pour l'instant (à part cette écoute). En 2008, la chambre régionale des comptes de Paca avait dénoncé des décisions du Conseil général en matière de création de maisons de retraite «parfois motivées de façon étonnante (...) sans analyse des besoins du secteur» et «un processus décisionnel peu compréhensible». «Certains motifs sont erronés et masquent la volonté de ne pas travailler avec un promoteur particulier», avaient écrit les magistrats.
Autre dossier sensible : fin 2009, le Conseil général rachète avec un an d'avance l'ancien siège social du troisième armateur mondial, la CMA CGM, alors en très mauvaise posture financière avec une dette de 3,5 milliards d'euros. Et débourse immédiatement les 50 millions d'euros alors que, début 2011, les locaux ne sont toujours pas occupés par les services du conseil général. Vincent Potier, réduit au rôle «d'observateur et d'exécutant» dans ce dossier «négocié personnellement par Jean-Noël Guérini et Beatrix Billès», a dénoncé face aux gendarmes ce qui ne lui «paraît pas une méthode de bonne administration», au vu de la somme d'argent public en jeu.
Quant aux marchés de sécurité, ils étaient, toujours d'après Vincent Potier, suivis «de manière attentive et personnelle» par Jean-François Noyes, un proche d'Alexandre Guérini aujourd'hui conseiller général et président de l'office HLM des Bouches-du-Rhône. Une précision d'importance puisque, comme le relatait La Provence, le Conseil général et son bailleur social ont fait appel à plusieurs reprises «pour des marchés de l'ordre de plusieurs millions d'euros» à la société Alba Sécurité, gérée par Carole-Evelyne Serrano, la compagne de Bernard Barresi, arrêté en juin 2010 après dix-huit ans de cavale.
Vincent Potier se souvient d'ailleurs d'un incident lié à l'attribution d'un marché à Alba Sécurité en 2004-2005. Il raconte «la demande de la part de Jean-François Noyes que soit écarté un fonctionnaire jugé incompétent qui intervenait dans l'analyse des offres». «Par la suite, les propositions de promotion professionnelle (de ce fonctionnaire muté dans un autre service) ont été refusées», complète-t-il.
Contacté mardi soir, le conseil général des Bouches-du-Rhône dit «ne pas pouvoir se prononcer sur des documents inconnus et relevant du secret de l'instruction». En décembre 2010, lors d'un entretien avec La Provence, Jean-Noël Guérini avait déclaré, avec un peu d'imprudence : «Il est clair que ce sont les affaires de mon frère qui sont aux mains de la justice et non pas celles du Conseil général des Bouches-du-Rhône, ni de son président.»