International Report

Sans-papiers: «Trump veut nous faire peur»

L’administration Trump a lancé dimanche une série de raids contre les sans-papiers. L’opération, très politique, est destinée à effrayer les migrants dans les quartiers populaires des grandes villes. Reportage à Jackson Heights, New York, un des quartiers les plus divers du monde.

Mathieu Magnaudeix

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New York (États-Unis), de notre correspondant. – Les amis de Lesly sont partis se cacher. Quelques jours, le temps que l’orage passe, ils vivent dans une autre maison pour éviter les visites inopinées de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), la redoutée agence fédérale anti-immigration.

« Hier, dit Lesly, l’ICE est venue dans leur appartement. Heureusement, il n’y avait personne. » Lesly Herrera Castillo, une femme trans mexicaine arrivée aux États-Unis à la fin des années 1990, connaît la peur qui taraude en permanence le sans-papiers : cette crainte permanente de laisser des traces, d’avoir affaire à la police, de laisser son nom à l’hôpital.

Ces jours-ci, ses amis de Long Island ont des raisons de rester sur leurs gardes. L’administration Trump a annoncé à partir de ce dimanche 14 juillet une série de raids anti-migrants dans dix grandes villes américaines : New York, Baltimore (Maryland), Atlanta (Géorgie), Chicago (Illinois), Denver (Colorado), Houston (Texas), Los Angeles et San Francisco (Californie), Miami (Floride), La Nouvelle-Orléans (Louisiane).

En théorie, l’objectif de cette grande opération est d’arrêter deux mille sans-papiers – Trump avait parlé en juin de « millions » d’arrestations, avant de repousser l’opération une première fois. Dimanche, au premier jour de l’opération, les agents de l’immigration se sont d’ailleurs faits plutôt discrets. Dans tout le pays, les activistes vont rester sur leur garde toute la semaine.

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Lesly Herrera Castillo. © Mathieu Magnaudeix

Les grandes villes libérales abritent d’importantes populations immigrées. Les raids, décidés par Donald Trump en réponse à un afflux estival de migrants à la frontière, sont censés cibler des « criminels » ayant reçu un ordre d’expulsion. En réalité, ils visent toutes les familles de migrants, car n’importe quel sans-papiers ayant la malchance de croiser le chemin des agents de l’ICE peut être arrêté ou déporté.

Pour Donald Trump, qui a fait des migrants des boucs émissaires pratiques, l’annonce d’une telle opération est aussi très politique : le président des États-Unis veut plaire à ses électeurs, et prétend blâmer son opposition démocrate, accusée de plaider pour les « frontières ouvertes » et de favoriser l’immigration illégale.

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Marche « Abolish ICE » à Jackson Heights (Queens, New York), dimanche 14 juillet. © Mathieu Magnaudeix

Au temps de l’administration Obama, l’agence tournait à plein, mais ciblait en priorités les sans-papiers condamnés par la justice. Mais avec Trump, passer la frontière est désormais considéré comme un crime, et l’ICE a carte blanche – certaines grandes villes, qualifiées de « sanctuaires », refusent toutefois que leur police assiste ses services.

Dans tout le pays, les organisations de défense des droits humaines et des migrants ont multiplié ces derniers jours les campagnes d’information en plusieurs langues et distribué des plaquettes d’information. Les conseils sont toujours les mêmes : ne pas ouvrir la porte à l’ICE, sauf mandat express d’un juge, ne rien signer, ne rien dire, filmer ce qui se passe. À Atlanta, des organisations de voisins se sont mises en tête de débusquer les agents de l’ICE pour les éloigner de leur quartier.

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Garder le silence, ne pas ouvrir la porte... les « droits » des sans-papiers sont rappelés en espagnol lors de la manifestation. © Mathieu Magnaudeix

À New York, des agents de l’ICE ont toqué dès samedi à la porte de certains migrants à Brooklyn et Harlem – personne ne leur a ouvert. Dimanche 14 juillet, ces tentatives étaient à l’esprit de quelques dizaines de manifestants réunis dans le quartier populaire de Jackson Heights (Queens), un des quartiers les plus divers des États-Unis, où l’on parle 160 langues.

Tous étaient venus réclamer l’abolition de l’agence, créée dans la vague du grand tournant sécuritaire post-11-Septembre, et la fermeture de ce que beaucoup nomment les « camps de concentration » à la frontière mexicaine, dont les conditions inhumaines de détention ont été rappelées récemment par des avocats et des parlementaires.

« L’administration Trump veut créer la peur, c’est inhumain et immoral, explique l’activiste Daniel Puerto. Les gens vivent dans la crainte d’être séparés de leurs familles, expulsés vers un pays qu’ils ne connaissent pas ou plus, condamnés à l’équivalent d’une peine de mort. »

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À Jackson Heights, klaxons de soutien à la manifestation. © Mathieu Magnaudeix

« Ici, beaucoup de nos voisins sont sans papiers », nous dit Jessica Ramos, la sénatrice représentant Jackson Heights au Sénat de l’État de New York. Pour être élue, cette fille d’immigrés colombiens a défait un baron démocrate du Queens, une ville dans la ville de 2,5 millions d’habitants. Sa victoire a coïncidé avec celle d’Alexandria Ocasio-Cortez, cette jeune représentante socialiste devenue un emblème du renouveau de la gauche américaine, qui représente cette circonscription au Congrès.

« Pour nous, tout cela est très personnel, poursuit Ramos. Les personnes touchées sont les membres de notre famille, le commerçant d’à côté, nos enfants. » Son équipe organise cette semaine des vigies au petit matin pour protéger les migrants sur la route du travail.

« Dans ce pâté de maisons, peut-être trois, quatre ou cinq familles sont en train d’élaborer des plans d’urgence », calcule l’élue municipale Catalina Cruz, née en Colombie, débarquée dans le Queens à neuf ans. Elle aussi est une ancienne sans-papiers.

« Le temps n’est peut-être plus si loin où nous devrons héberger des sans-papiers, user de nos corps en première ligne et créer des chaînes humaines », prévient Ingrid Gomez, animatrice des Queens United Independent Progressives, un groupe local constitué d’anciens de la campagne d’Alexandra Ocasio-Cortez.

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«Abolish ICE » © Mathieu Magnaudeix

Arrivée à onze ans du Salvador, alors sans papiers, Karla Henriquez, une jeune trentenaire, a vu ces deux sœurs brièvement arrêtées dans de telles opérations. « Cette expérience, je ne la souhaite à personne, dit-elle. C’est pour cela que je suis là. Cette politique est raciste et déshumanisante, et je suis heureuse de constater combien notre communauté se défend. »

Tout au long de la marche, qui finit par rejoindre une station de métro plus au nord, des passants lèvent le poing dans les habitacles de leur voiture. D’autres applaudissent ou bien observent la scène avec un petit sourire.

Pour tous les participants, également révulsés par la crise humanitaire à la frontière mexicaine, où au moins sept enfants sont décédés en détention depuis la fin de l’année dernière, la nécessité d’abolir purement et simplement la police de l’immigration ne fait aucun doute. Mais à cette heure, aucun candidat à la primaire démocrate ne propose de supprimer totalement cette agence qui fonctionnait à plein sous la présidence Obama. Beaucoup, à commencer par Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, proposent en revanche de la réorganiser de fond en comble.