Lviv (Ukraine).– La situation était très mauvaise à Marioupol, le grand port du Sud-Est ukrainien. Elle est à présent invivable ou presque. Dimanche 20 mars, après des semaines d’intenses bombardements, la Russie a lancé un ultimatum aux combattants ukrainiens, les sommant de quitter la ville sous peine d’être anéantis. Un ultimatum rejeté par les autorités.
Les troupes russes sont depuis entrées dans certains quartiers de la ville. Des bus de réfugié·es tentant de la fuir, dont certains transportant des enfants, ont été bombardés lundi. La plupart des gens qui ont fui se trouvent encore à Zaporijia, à environ 230 kilomètres de la ville. Lviv, la grande ville de l’ouest du pays, relativement épargnée jusqu’à présent, se trouve encore 1 000 kilomètres plus loin.
À Marioupol, la situation sanitaire est extrêmement préoccupante. Les habitant·es n’ont plus de gaz, ni eau, ni électricité depuis des jours et des jours. Le réseau téléphonique ne fonctionne pas non plus, a fortiori Internet. Les gens sont coupés du monde, sans même savoir s’il est possible de s’échapper.
C’est ce que nous a raconté Natalia Hajetska, une écologiste chargée d’un programme européen pour améliorer le tri des déchets à Marioupol. Nous l’avons rencontrée, avec Anastasia Levkova, lundi 21 mars, à Lviv, au lendemain de son arrivée après un éprouvant voyage de 48 heures.
Voici son récit en vidéo.
Nous avons également pu dialoguer en ligne avec Anastasia Hrechkina, jeune femme de 22 ans. Elle a elle aussi quitté Marioupol le 17 mars en fin de matinée. Elle n’est arrivée qu’à 1 h 30 du matin à Berdiansk, situé pourtant à 85 kilomètres à peine de Marioupol.
La jeune femme est partie en autostop. « Quand un type a accepté de nous emmener avec lui, nous n’avons pas demandé quelle était sa destination. Cela n’avait tout simplement pas d’importance. La seule chose importante était de sortir de cet enfer. Je rêvais de monter dans la voiture qui me ferait sortir », nous écrit-elle sur Telegram.
Il n’y avait aucun endroit où trouver de la nourriture.
Pourquoi n’avoir pas quitté la ville plus tôt ? « Les gens ne partaient pas car nous ne savions pas si nous pouvions passer par les check-points russes. Nous avions peur d’être abattus, tués, bombardés en chemin. Nous sommes restés là jusqu’à ce que la chance de mourir en restant là soit égale à la chance de mourir en essayant de s’échapper. »
Comme Natalia Hajetska, Anastasia Hrechkina a constaté un rapide déclin de la situation dans la ville. « Nous avons été privés d’électricité, de chauffage, de gaz, d’Internet, de connexion mobile, d’eau, de tout pendant les premiers jours du blocus. Les magasins ont été pillés, incendiés. Il n’y avait aucun endroit où trouver de la nourriture. Nous sommes restés là avec ce que nous avions à ce moment-là, c’est-à-dire pas grand-chose. Nous ne savions pas pendant combien de jours nous allions survivre avec cette quantité de nourriture, alors nous la divisions, en essayant de compter pendant combien de jours elle serait suffisante. »
Anastasia Hrechkina estime avoir eu de la chance. Son quartier a été l’un des derniers à avoir été bombardés par les Russes. Il n’empêche, les trois derniers jours, « c’était horrible » : « Nous ne pouvions pas sortir pour faire cuire de la nourriture sur le feu à côté de notre maison, et que dire d’aller à deux kilomètres pour puiser de l’eau ? »
« Plusieurs fois, ajoute-t-elle, nous nous sommes trouvés à côté d’explosions, nous criant les uns aux autres “Couchez-vous !”, nous couvrant la tête pour nous protéger des shrapnels. » De fait, Anastasia Hrechkina n’avait pas d’abri à proximité immédiate de son habitation, ou bien les sous-sols n’étaient pas jugés assez sûrs. La jeune femme s’est donc cachée dans l’appartement de sa mère, au 1er étage d’un immeuble qui en compte cinq : « Nous avons couvert les fenêtres de notre salon et mis des meubles autour du lit pour nous protéger des bris de verre, mais quand il y avait trop de bombes dehors, nous étions tous ensemble dans le couloir, car il n’y avait pas de fenêtres et c’était l’endroit le plus sûr de l’appartement. »
À un moment, on a compris que c’était possible de bouger.
Rostik Nepomniashchykh, lui, a pu quitter la ville le 14 mars dernier. Avec ses parents, sa sœur et son chien, il lui a fallu sept jours pour gagner Berlin, en Allemagne. Comme pour Natalia ou Anastasia, la plus longue partie du trajet fut les 230 kilomètres qui séparent la ville portuaire de Zaporijia, en raison des check-points russes, des mines sur la route, des ponts détruits qui forçaient la famille à « faire des détours infinis ».
« À Marioupol, c’était horrible avant que nous partions, mais les choses ont encore empiré par la suite, donc j’ose à peine le dire, explique le jeune homme. On devait dormir tout habillés car il n’y avait plus de chauffage. Il n’y avait plus d’eau, on allait en chercher dans des puits qui n’avaient pas fonctionné depuis un long moment, ou bien nous tentions de récupérer de l’eau de pluie. On faisait des soupes de vraiment n’importe quoi, de tout ce que nous trouvions. »
Prendre la décision de partir n’était pas évidente : « Il n’y avait pas Internet, on ne savait même pas s’il y avait des corridors, ni d’où ils partaient, ni quand. La seule connexion au réseau mobile, il fallait aller la chercher à un endroit à découvert, donc c’était dangereux. » Mais, « à un moment, on a compris que c’était possible de bouger. En plus, de plus en plus d’avions survolaient la ville, donc nous nous sommes dit qu’il fallait vraiment le faire tout de suite. Les policiers ont tenté de nous dire que c’était trop dangereux mais mes parents ne les ont pas écoutés, car nous étions désespérés ».
Les autorités estiment que près de 100 000 personnes sont encore à ce jour bloquées dans Marioupol.