« Trace noire » : comment le transport maritime pollue en toute impunité

Un documentaire d’enquête réalisé par le réseau de médias européens EIC démontre comment le transport maritime parvient à échapper à toute réforme visant à réduire ses émissions, malgré les dommages infligés à l’environnement et aux habitants des villes portuaires.

Ce documentaire est en accès libre.

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Zeynep Şentek, Craig Shaw (The Black Sea), Micael Pereira (Expresso) et l’EIC

29 mai 2021 à 18h17

Le transport maritime est une industrie à part. Chaque année, plus de 50 000 navires transportent 90 % des biens échangés sur la planète, tandis que 30 millions d’individus passent leurs vacances sur d’immenses bateaux de croisière aux allures de villes flottantes.

Mais tout cela a un coût très lourd, pour l’environnement comme pour les riverains des ports. Le transport maritime est un secteur très polluant, responsable de 3 % des émissions de CO2 mondiales – et même de 15 % pour les oxydes d’azote et 13 % pour les oxydes de soufre.

Pourtant, malgré la crise climatique, le secteur continue à polluer en toute impunité et en payant très peu d’impôts, rejetant toute réforme qui contribuerait à réduire son empreinte environnementale. C’est ce que montre le documentaire Black Trail (« La Trace noire »), réalisé par le réseau de médias d’investigation European Investigative Collaborations (EIC), que nous diffusons aujourd’hui (si les sous-titres français ne s’affichent pas, cliquez sur le bouton « CC » du lecteur vidéo).

© EIC

Cette enquête de l’EIC, dont Mediapart est l’un des membres fondateurs, a été réalisée sous la direction du média en ligne The Black Sea (Europe de l’Est), avec Expresso, SIC-TV (Portugal), RTS (Suisse), VG (Norvège), Reporters United (Grèce) et l’ONG britannique Finance Uncovered.

Cette équipe de journalistes a interrogé des dizaines d’experts et de témoins et a parcouru l’Europe, du Portugal au cercle arctique, pour cerner l’impact de la pollution du transport maritime sur l’environnement et les hommes. Avec en ligne de mire l’usage par les navires de fiouls lourds, véritables déchets du processus de raffinage, jusqu’à 500 fois plus toxiques que le diesel utilisé dans les voitures.

Malgré ces nuisances, les armateurs ne paient quasiment pas d’impôts grâce à des législations très accommodantes. L’enquête Black Trail révèle ainsi qu’un des navires de croisière de l’armateur italien MSC, le Preziosa, réalise 22 millions d’euros de profits par an mais ne paie que 18 000 euros d’impôt sur les sociétés – un taux ridicule de 0,08 %.

L’enquête de l’EIC montre enfin que les entreprises du secteur combattent avec succès les tentatives d’introduire des règles environnementales plus contraignantes, au nom du maintien de la « compétitivité » du secteur. C’est particulièrement le cas en Grèce, dont les armateurs contrôlent la moitié de la flotte européenne.

Ce lobbying est particulièrement fort à l’Organisation maritime internationale (OMI), l’agence des Nations unies qui régule le secteur et ne lui impose quasiment aucune contrainte environnementale. L’OMI a été « capturée » par les armateurs, dénonce Faig Abbasov, de l’ONG Transport & Environnement. 

L’OMI s’est contentée d’imposer l’an dernier un fioul lourd moins chargé en soufre. Mais selon plusieurs ONG, ce nouveau carburant lourd « mélangé » ne réduira pas les émissions de CO2 et augmentera les émissions de noir de carbone (ou suie), un polluant qui se dépose sur les glaces et accélère le réchauffement de l'Arctique.

En 2018, l’OMI avait pourtant élaboré un « plan vert » destiné à réduire les émissions de CO2 du secteur de 40 % en dix ans. Mais en novembre 2020, l’OMI a trahi son propre plan, se contentant d’adopter des mesures non contraignantes pour les armateurs.

Résultat : il y a de grandes chances que les émissions du transport maritime continuent à croître. Ce qui est incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris (entré en vigueur en 2016) qui visent à limiter la hausse de la température globale à 2 °C pour tenter de sauver la planète.