Une double rétrospective est visible, pour une semaine encore, au Centre Pompidou à Paris. Intitulée « Jonas Mekas / José Luis Guerin, cinéastes en correspondance », elle présente l'intégralité des films de l’un et de l’autre mais aussi, sous forme d'installation au niveau -1 du Centre, les neuf lettres vidéo que Mekas et Guerin se sont échangées au cours des trois dernières années (deux sont présentées ci-dessous). La formule de la correspondance filmée fut inaugurée il y a quelques années avec Abbas Kiarostami et Victor Erice, cinéaste trop rare, auteur d’au moins un chef-d’œuvre, L'Esprit de la ruche (1973).
Munis de petites caméras numériques, deux cinéastes s'écrivent, s'envoient des nouvelles de leur travail, font part de leurs réflexions. Chacun tient le journal de ses pensées, de ses projets, s'interroge sur l'évolution de son art en s’adressant à un autre artiste. Après l'Iranien et l'Espagnol, c'est donc aujourd’hui au tour d’un autre Espagnol et d’un Lituanien installé à New York depuis plus de cinquante ans de correspondre par images interposées. Plusieurs nouvelles correspondances suivront courant 2013, entre le Catalan Albert Serra et l'Argentin Lisandro Alonso, le Barcelonais Jaime Rosales et le Chinois Wang Bing, le Catalano-Basque Isaki Lacuesta et la Japonaise Naomi Kawase.
Entre Guerin et Mekas, il y a une différence d'âge et de statut qui n'était pas aussi sensible entre Kiarostami et Erice. Guerin a à peine plus de 50 ans et seulement une demi-douzaine de films à son actif, dont la plupart – voyez au moins En construction (2001) – se tiennent à mi-chemin entre le documentaire et le journal filmé. Le second, qui vient tout juste de fêter ses 90 ans, peut être considéré comme le bon génie, l'ogre doux de l'expérimental américain et international, cinématographique et au-delà. Toute l’avant-garde, ou presque, de la seconde moitié du XXe siècle peut être résumée par le nom de Mekas. Car si celui-ci n'a jamais cessé de tout filmer, sa vie, ses rencontres, les États-Unis, s’il n’a jamais cessé de fabriquer des films de toutes les durées – dont le monumental Walden en 1969 –, il a toujours veillé également à montrer les œuvres des autres, comme critique pour FilmCulture puis Village Voice et comme programmateur au sein du mythique Anthology Film Archives, qu'il fonda en 1970.
La lettre vidéo de Jonas Mekas à José Luis Guerin
La lettre vidéo de José Luis Guerin à Jonas Mekas
Le 7 janvier, jour de clôture de la manifestation, Mekas présentera en avant-première son dernier long-métrage, Outtakes from the Life of a Happy Man. Il suffit d'avoir aperçu une fois le demi-sourire sempiternel du vieillard sous son chapeau pour savoir combien un tel titre lui convient : pages arrachées à la vie d'un homme heureux… Dans ce film – auquel il est sans doute, à cette heure, en train de mettre la toute dernière main et dont vous pouvez voir, dans le porfolio ci-dessous, quelques images –, Mekas rassemble des décennies d'images tournées en 16 millimètres – et désormais numérisées –, comme il avait recueilli il y a un an toute une vie de boisson, d’oisiveté et d'amitié au bar du coin, juste en face de l'Anthology Film Archives, dans le délicieux My Mars Bar Movie.
- Mediapart remercie le Centre Pompidou d'avoir mis à notre disposition, en exclusivité, dix images fixes tirées de Outtakes, qui en donnent un très bel avant-goût, ainsi que les deux premières lettres vidéo échangées par Mekas et Guerin.