Citation extraite des Vingt et un jours d'un neurasthénique, qui prend un relief particulier en ces temps électoraux troubles, troublés, troublants :
« On peut poser en principe absolu l’axiome suivant : “Est nécessairement élu le candidat qui, durant une période électorale, aura le plus promis et le plus de choses, quelles que soient ses opinions, à quelque parti qu’il appartienne, ces opinions et ce parti fussent-ils diamétralement opposés à ceux des électeurs.” Cette opération que les arracheurs de dents pratiquent journellement sur les places publiques, avec moins d’éclat, il est vrai, et plus de retenue, s’appelle pour le mandant “dicter sa volonté”, pour le mandataire “écouter les vœux des populations”…
Pour les journaux, cela prend des noms encore plus nobles et sonores… Et tel est le merveilleux mécanisme des sociétés politiques que voilà déjà plusieurs milliers d’années que les vœux sont toujours écoutés, jamais entendus, et que la machine tourne, tourne, sans la plus petite fêlure à ses engrenages, sans le moindre arrêt dans sa marche. Tout le monde est content, et cela va très bien comme cela va.
Ce qu’il y a d’admirable dans le fonctionnement du suffrage universel, c’est que le peuple, étant souverain et n’ayant point de maître au-dessus de lui, on peut lui promettre des bienfaits dont il ne jouira jamais, et ne jamais tenir des promesse qu’il n’est point, d’ailleurs, au pouvoir de quelqu’un de réaliser. Même il vaut mieux ne jamais tenir une promesse, pour la raison électorale et suprêmement humaine qu’on s’attache de la sorte, inaliénablement, les électeurs, lesquels, toute leur vie, courront après ces promesse, comme les joueurs après leur argent, les amoureux après leur souffrance. Électeurs ou non, nous sommes tous ainsi… Les désirs satisfaits n’ont plus de joies pour nous… Et nous n’aimons rien autant que le rêve, qui est l’éternelle et vaine aspiration vers un bien que nous savons inétreignable.
L’important, dans une élection, est donc de promettre beaucoup, de promettre immensément, de promettre plus que les autres. Plus les promesses sont irréalisables et plus solidement ancré dans la confiance publique sera celui qui les aura faites. »
Sans oublier ceci, extrait de « La Grève des électeurs », Le Figaro, 28 novembre 1888 :
« Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. »
Mais tout cela ne va pas sans ceci :
« L’injustice qui frappe un être vivant – fût-il ton ennemi – te frappe du même coup. Par elle, l’Humanité est lésée en vous deux. Tu dois en poursuivre la réparation, sans relâche, l’imposer par ta volonté, et, si on te la refuse, l’arracher par la force, au besoin. En le défendant, celui qu’oppriment toutes les forces brutales, toutes les passions d’une société déclinante, c’est toi que tu défends en lui, ce sont les tiens, c’est ton droit à la liberté, et à la vie, si précairement conquis, au prix de combien de sang ! Il n’est donc pas bon que tu te désintéresses d’un abominable conflit où c’est la Justice, où c’est la Liberté, où c’est la Vie qui sont en jeu et qu’on égorge ignominieusement, dans un autre. Demain, c’est en toi qu’on les égorgera une fois de plus… »
« À un prolétaire », L’Aurore, 8 août 1898.