Culture et idées Analyse

NKM, et si on essayait de la prendre au sérieux?

La secrétaire d'État à la pro- spective et au dévelop- pement de l’éco- nomie nu- mérique, Nathalie Kosciusko- Morizet, publie le 29 octobre Tu viens?. Voilà certes un livre de circonstance et sans doute rédigé par bien des porte-plumes. Voilà de surcroît un livre horripilant dans la mesure où la politicienne tente en premier lieu de convaincre Nicolas Sarkozy qu'elle a tous les atouts pour aimanter une partie de l'électorat écolo-socialiste. Mais la démarche de l'auteure en faveur d'une forme de cyberdémocratie, certaines de ses analyses sur la crise, l'utopie, le besoin de long terme, les nouvelles techniques et la sobriété énergétique, valent le détour. Objet de communication politique mais aussi vecteur de surprenantes transmissions, Tu viens? appelle une critique en forme de paix armée.

Antoine Perraud

En politique, l’inachèvement d’un destin s’avère passionnant. Victor Hugo, d’abord à droite, enfin à gauche, s’impose comme notre plus beau cas d’espèce. En avril 1848, en vue de l’élection de l’Assemblée constituante au suffrage universel (masculin), voici ce que proclamait Totor à ses concitoyens, sur une affiche (aujourd’hui conservée au musée de la place des Vosges à Paris) :
«Deux Républiques sont possibles: l'une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit qui est la fortune de tous et le travail qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, mettra l'Europe en feu et la civilisation en cendres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu. L'autre sera la sainte communion de tous les Français dès à présent et de tous les peuples un jour, fondera une liberté sans usurpations et sans violences, une égalité qui admettra la fraternité non de moines dans un couvent mais d'hommes libres, partira de ce principe qu'il faut que tout homme commence par le travail et finisse par la propriété, respectera l'héritage qui n'est autre chose que la main du père tendue aux enfants à travers le mur du tombeau, poursuivra sans quitter terre pourtant et sans sortir du possible et du vrai, la réalisation sereine de tous les grands rêves du sage, subordonnera la force à l'intelligence, dissoudra l'émeute et la guerre ces deux formes de la barbarie, fera de l'ordre la loi des citoyens et de la paix la loi des nations. Je suis prêt à donner ma vie pour empêcher l'une et établir l'autre.»
Victor Hugo n’avait que 46 ans. Le Second Empire, la proscription, la réflexion, allaient le faire évoluer. Il devait découvrir que la violence des intérêts privés égorge la liberté davantage que le drapeau rouge, que l’héritage maintient les privilèges (parfois du vivant du père !), que la propriété est souvent une amorce plus qu’une terminaison, qu’elle ne résulte pas du travail mais le défie voire l’humilie.
Une même sorte d’ambivalence face à l’inaccompli saisit le lecteur du livre publié ce 29 octobre par Nathalie Kosciusko-Morizet : Tu viens ? (Gallimard, 180 p., 12,90€). Née en 1973, secrétaire d’État à la prospective et au développement de l’économie numérique auprès du premier ministre, tête de liste UMP dans l’Essonne lors des prochaines élections régionales, elle est, après avoir fait Polytechnique comme papa, entrée tôt en politique: «Lorsque j’ai eu le sentiment qu’il me fallait agir contre l’abandon, contre tous les abandons, et que je ne parviendrais pas à m’accommoder d’une existence qui me laisserait à l’état de spectatrice.» Elle s’est engagée à droite, «avant tout en faveur du mouvement social, de l’initiative et contre les conservatismes».
Elle se réclame de Simone Weil au nom du «rapport d’obligation qui nous lie à une collectivité dont l’histoire et l’avenir excèdent nos existences individuelles, et au sein de laquelle il nous revient toujours d’être des passeurs». Et elle ajoute dans la foulée: «En appeler à la transformation radicale et entière de la société, c’est se soustraire à cette obligation. Entreprendre de la réformer collectivement, c’est s’y plier et faire de la politique.»

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