Économie et social Analyse

Le monde développé au miroir du Japon

Pour les principaux pays industrialisés, la «sortie de crise» évoque furieusement le chemin sur lequel s'est engagé le Japon il y a tout juste vingt ans, après l'éclatement de sa propre bulle de crédit: reprise incertaine, croissance soutenue artificiellement par la dépense publique, envolée de la dette, politique monétaire difforme. Mais si l'archipel a pu s'offrir vingt années de stagnation sans sombrer, c'est en puisant dans ses réserves. Un exemple à ne pas suivre.

Philippe Riès

Le passé récent du Japon est-il notre avenir? Croissance molle ou nulle, déficit budgétaire incontrôlable, dette publique abyssale, politique monétaire inopérante, taux d'intérêt collés au plancher: le monde développé, Etats-Unis et peut-être plus encore zone euro, doit-il se préparer à une «sortie de crise» à la japonaise, avec les conséquences sociales destructrices qu'entraînerait une stagnation économique prolongée comparable à celle dont l'archipel a fait une expérience pratiquement ininterrompue depuis l'éclatement de la bulle spéculative des années 80, il y a très exactement vingt ans? Les autres pays industrialisés peuvent-ils d'ailleurs s'offrir ce «luxe», sachant que les conditions politiques, économiques et sociales qui expliquent la tolérance du Japon à cette interminable maladie de langueur ne sont pas facilement reproductibles?
Interrogations d'autant plus légitimes que le peu d'intérêt manifesté pour cette expérience de «déflation par la dette», à la fois reproduction de la Grande Dépression des années trente du siècle dernier et anticipation de la Grande Récession que l'on veut croire surmontée, n'a d'égal que la tendance à en tirer les mauvaises leçons. Ainsi a-t-on pu entendre certains économistes invoquer l'exemple japonais pour relativiser la gravité de la situation financière de nombre des pays industrialisés au sortir de la crise, avec des niveaux de déficit budgétaire et d'endettement public jamais atteints en temps de paix. Le gouvernement de Tokyo n'a-t-il pas été capable de refinancer sans heurts un Himalaya de dettes publiques, au point que le rendement sur l'obligation de référence (le JGB à dix ans) reste parmi les plus bas au monde (1,3% ces derniers jours)? Une musique suave aux oreilles des gouvernants qui ont ouvert en grand les vannes de la dépense publique pour «combattre la crise» et se demandent maintenant comment sortir de ce puits sans fond sans pratiquer la «rigueur» et en payer le prix dans les urnes... ou dans la rue?

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