Face à l’inflation, les salaires toujours à la traîne

Pour le cinquième trimestre consécutif, les salaires réels baissent dans le secteur privé au troisième trimestre 2022, selon la Dares. Preuve que les mesures de « protection » du pouvoir d’achat mises en place par le gouvernement n’atteignent pas leur but. 

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« La France est le pays de l’Union européenne où l’inflation est la plus faible, parce que nous avons mis en place des mesures efficaces pour protéger nos compatriotes. » Comme c’est le cas depuis l’automne 2021, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire a une nouvelle fois vanté ce jeudi sur France 2 le « bouclier tarifaire énergétique » du gouvernement qui aurait permis de juguler l’inflation relativement aux autres pays européens. 

Ce n’est pas faux : les derniers chiffres publiés sur le site d’Eurostat montrent qu’en octobre, le taux d’inflation en France est le plus faible de la zone euro. Cela étant en grande partie le fruit du blocage des prix du gaz, de la limitation de ceux de l’électricité à 4 % et de la remise à la pompe pour les automobilistes. Trois mesures dont le coût brut pour l’État s’élève à plus de 50 milliards d’euros pour les années 2021 et 2022. Ce n’est pas rien ! 

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Des manifestants réclament des hausses de salaire indexées sur l’inflation. © Alexandre Bré / Hans Lucas via AFP

Mais au sujet de la protection du pouvoir d’achat des ménages, on peut tout de même avancer que le gouvernement raisonne par le petit bout de la lorgnette. Car en réalité, peu importe le niveau d’inflation, si les salaires ne suivent pas, le niveau de vie baisse et l’économie déprime. Or lors du troisième trimestre 2022, l’inflation a de nouveau plus augmenté que les salaires en France, peut-on lire dans la dernière publication du 10 novembre de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) .

Salaires réels en berne 

Cette dernière nous apprend que le salaire mensuel de base dans le secteur privé – qui correspond au salaire brut inscrit sur la première ligne du bulletin de paIe – est en hausse de 3,7 % en moyenne lors du troisième trimestre 2022. Mais cette hausse est bien inférieure à celle des prix à la consommation (hors tabac), qui atteignait 5,7 % entre fin septembre 2021 et fin septembre 2022. 

Ainsi la Dares évalue la baisse des salaires réels dans le secteur privé à 2 % au troisième trimestre 2022. Dans le détail, la baisse est de 1,3 % pour les ouvriers, de 1,2 % pour les employés, de 2,9 % pour les professions intermédiaires et de 3 % pour les cadres. Et par grand type de secteur, la Dares nous dit que les salaires réels diminuent au troisième trimestre 2022 de 1,9 % dans le tertiaire, de 2,1 % dans l’industrie et de 2,6 % dans la construction. Pas de quoi fanfaronner, donc.

Pis, on remarque que les salaires réels du secteur privé sont en recul pour le cinquième trimestre consécutif, après – 2,9 % au deuxième trimestre,– 2,3 % au premier trimestre 2022, – 1,1 % au quatrième trimestre 2021, et – 0,6 % au troisième trimestre 2021. Ce n’est malheureusement pas mieux dans le secteur public : les fonctionnaires ayant bénéficié d’une hausse du point d’indice de seulement 3,5 % au 1er juillet 2022, après plusieurs années de stagnation.

Baisse du niveau de vie

Outre les salaires, les minima sociaux aussi ont été sous-indexés par rapport à l’inflation : ils ont été réévalués de 4 % à la mi-année. On peut donc s’attendre à un affaissement du niveau de vie en 2022. Surtout que lors des deux premiers trimestres de l’année, le pouvoir d’achat par unité de consommation – un indicateur qui prend en compte le nombre de personnes par ménage – était déjà en net recul de 1,8 % au premier et de 1,2 % au deuxième trimestre. Ce qui a créé un « acquis » de recul du pouvoir d’achat pour 2022 de 1,5 % selon l’Insee.

Pour contrer cette dynamique négative des rémunérations, le gouvernement mise sur son système de primes exceptionnelles pour les salariés et exonérées de cotisations sociales pour les employeurs, chiffres à l’appui : selon Bercy en 2022, les entreprises ont versé pour 1,4 milliard d’euros de « primes Macron » et de « primes de partage de la valeur »  à 2,5 millions de salariés. Impressionnant sur le papier ! Mais dans le détail beaucoup moins : ces primes ne bénéficient qu’à 12 % des salariés du privé pour un montant moyen de 47 euros par mois…

Effet pervers

En fait, les dispositifs de bouclier tarifaire, de primes exceptionnelles et d’aides sous-indexées produisent des effets pervers. Ils biaisent le rapport de force dans le dialogue social et désincitent les entreprises à augmenter les salaires à hauteur de l’inflation. Certes ainsi, la sacro-sainte « compétitivité » des entreprises, chère à la Macronie, est préservée à très court terme. Mais à moyen et long terme, un cercle économique vicieux s’enclenche : voyant leur niveau de vie régresser, les ménages, inquiets, thésauriseront, ce qui grèvera la croissance. 

Déjà en septembre, on a vu que la confiance des ménages se dégradait, l’indicateur de l’Insee étant au plus bas depuis vingt ans. Et dans sa note de conjoncture du 6 octobre, l’Institut ajoutait que « compte tenu de la dynamique prévue du pouvoir d’achat des ménages au second semestre, leur taux d’épargne se redresserait nettement, dépassant 17 % en fin d’année ». Par conséquent, « la consommation de biens ne progresserait pas, le contexte d’inflation élevée continuant de modérer les décisions d’achats des ménages »… 

Autant de signaux forts qui laissent craindre un affaissement de la demande et donc une croissance moindre pour les mois à venir. D’autant que le gouvernement va stopper sa remise à la pompe le 1er janvier prochain – après l’avoir déjà divisée par trois le 15 novembre 2022 –, et laisser filer les prix du gaz et de l’électricité en février à + 15 %. Intenable pour de nombreux ménages. En somme, tant que l’exécutif ne prendra pas à bras-le-corps la question de l’indexation des salaires sur l’inflation, il exposera l’économie française à de nombreux désagréments. 

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