Au siège genevois de l'OMC, qui accueillait fin septembre les centaines de participants au Forum Public annuel de l'organisation, la «lassitude Doha» était perceptible dans tous les débats: pourquoi s'obstiner à conclure un cycle de négociations commerciales multilatérales lancé il y a huit ans, alors que les Etats-Unis traînent les pieds et que des enjeux nouveaux comme la concurrence ne sont pas inscrits au programme?
Le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, tout à sa satisfaction d'avoir vu les habitants de Genève donner leur accord par une «votation» aux travaux d'extension et de rénovation du centre William Rappard, admet que la question soit posée. Mais c'est pour lui donner une réponse positive. «La vérité politique, c'est que nous avons besoin de finir ce cycle pour que le rééquilibrage géopolitique se traduise dans les règles de l'OMC. Et s'il ne se termine pas, cela provoquera une forte révolte des pays en développement. Ce qui a changé dans la politique du cycle est assez simple. A l'origine, ce sont les Etats-Unis et l'Europe qui poussaient pour le lancer. Maintenant, ce sont les pays en développement qui font pression pour le terminer», explique-t-il.
Lors du récent sommet du G20 à Pittsburgh, le président brésilien Lula da Silva est arrivé avec en poche l'appel de 110 pays émergents et en développement, membres de l'OMC, plaidant pour que soit respecté l'engagement pris en avril à Londres de boucler les négociations en 2010. Même s'il récuse toute implication dans cette initiative, le directeur général admet que «cela ne le dérange pas». «C'est la réalité politique. Ils veulent cet accord et, sur le plan macro-économique, l'accord est énorme.» Une étude récente du Peterson Institute for International Economics (lire ici) a réévalué en très forte hausse les retombées positives d'une conclusion du cycle sur les bases établies en juillet 2008, avant que la négociation n'échoue sur des sujets marginaux.
En outre, rappelle Pascal Lamy, «on a beau dire que les tarifs ne sont plus importants, aujourd'hui il y a 250 milliards de dollars de tarifs encaissés tous les ans. Si les plafonds actuels restent, les pays membres peuvent porter ce niveau à 500 milliards. Il y a 250 milliards d'eau dans le système. Les tarifs pourraient doubler si tout le monde utilisait les plafonds du cycle de l'Uruguay». Dans le jargon de l'OMC, «l'eau» désigne l'écart entre les tarifs douaniers que les pays membres ont «consolidé» à l'OMC lors des précédentes négociations et les tarifs, souvent beaucoup plus bas, qu'ils appliquent dans la réalité. Contrairement à ce qui s'est passé lors de la crise des années trente, les tentations protectionnistes ont été contenues jusqu'à présent (même si 17 des membres du G20 y ont un peu cédé d'une manière ou d'une autre malgré l'engagement pris à Londres en avril !), mais le risque existe toujours. Pascal Lamy estime d'ailleurs que la surveillance mise en place par l'OMC, et qui fait l'objet de rapports réguliers, a beaucoup contribué à la dissuasion.
Économie et social Entretien
Commerce: faut-il vraiment conclure le cycle de Doha?
Le cycle de Doha des négociations commerciales multilatérales à l'OMC entrera en novembre dans sa neuvième année, déjà un record, et les appels répétés du G20 à conclure en 2010 rappellent fâcheusement ceux du G7 durant le précédent cycle de l'Uruguay. Faut-il vraiment s'obstiner à conclure alors que les Etats-Unis ont l'esprit ailleurs et que la mondialisation soulève des questions écartées sur l'agenda du cycle? Pour le directeur général de l'OMC, la réponse est toujours positive. Et pour les pays en développement aussi. Entretien.
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