Le 6 janvier 2011 est un jour faste pour Jean-Pierre Mattei. La Cour d'appel de Paris s'est déclarée incompétente dans le différend qui l'oppose à Total, ce dernier contestant les conditions de sa nomination comme arbitre de l'ancienne filiale du groupe pétrolier, Elf NeftGaz. Le tribunal arbitral, placé sous l'autorité de la cour d'arbitrage de Stockholm, va donc pouvoir statuer sur le contrat de pétrole russe signé par Elf en 1992. Les régions russes, s'estimant lésées par la non-exécution du contrat, réclament 170 milliards de dollars au titre de la réparation de leur manque à gagner.
Bien que cette affaire n'ait pas fait grand bruit, dans les milieux judiciaires, elle frappe beaucoup les esprits. Certains s'étonnent de la décision de la 1re chambre civile de la cour d'appel. Alors qu'il y a eu tant de faits contestables dans ce dossier et dans le processus de nomination de Jean-Pierre Mattei, pourquoi a-t-elle décidé de fermer les yeux? «Il y a tant d'intérêts dans les dossiers d'arbitrage. Les juges ne veulent pas se mettre les cours d'arbitrage à dos, surtout depuis qu'ils ont le droit, en tant que magistrats, de siéger dans ces tribunaux», confie, sibyllin, un avocat.
D'autres s'interrogent sur l'entêtement de Jean-Pierre Mattei à vouloir rester envers et contre tout l'arbitre d'Elf Neftgaz, après avoir été nommé dans des conditions si douteuses. Bien sûr, il y a l'argent. Etre arbitre est très rémunérateur: entre 300.000 et 500.000 euros par juge, en moyenne dans les dossiers importants, les tarifs d'arbitrage étant fixés librement par les arbitres eux-mêmes, en fonction officiellement du temps passé et des frais engagés, à la fin de la procédure. Dans le cas d'un dossier aussi lourd que celui d'Elf, cela peut monter beaucoup plus haut: plus d'un million d'euros, murmurent certains.
Mais même si l'appât du gain est réel, cela justifie-t-il de couvrir les sombres manœuvres qui ont permis sa nomination? A la faveur de cette affaire, de vieux souvenirs resurgissent. Car la présidence de Jean-Pierre Mattei au tribunal de commerce de Paris n'a pas été exempte de critiques. Lors de l'enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce en 1998, le président de la commission parlementaire, François Colcombet et le rapporteur, Arnaud Montebourg, avaient saisi la justice de certains faits. Les conditions de la reprise du Royal Monceau par l'homme d'affaires syrien Osmane Aïdi les avaient si intrigués – Jean-Pierre Mattei avait été soupçonné de partialité dans ce dossier – qu'ils avaient saisi la justice. La brigade financière avait enquêté, puis tout avait été enterré sur « ordre politique ».
Depuis, Jean-Pierre Mattei s'est fait oublier et le monde des affaires a la mémoire courte. Il a une société de conseil, Fimopar; il conseille le fonds d'investissement Sagard constitué par de très grandes fortunes; il siège à plusieurs conseils d'administration dont celui de Theolia à côté de son ami, le sénateur Philippe Dominati. Il est arbitre et préside le collège européen de résolution des conflits. De temps en temps, son nom émerge de quelque dossier compliqué, comme l'affaire immobilière Orco.
Économie et social Enquête
Pétrole russe: un arbitre au-dessus de tout soupçon
Selon les textes, «un arbitre ne doit être ni parent, ni allié des parties, ni directement intéressé à la solution du litige». Jean-Pierre Mattei, désigné comme arbitre dans le conflit Elf NeftGaz, répond-il à ces critères? Un témoin, Omar Harfouch, raconte le voyage qu'il a organisé en Ukraine en février 1999 pour André Guelfi, alias Dédé la sardine, à l'instigation de Jean-Pierre Mattei.
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