Case départ
Les politiques dénoncent régulièrement les dérives de la finance contemporaine. Mais à dire vrai, l’acte fondateur est une décision politique, prise par le président des Etats-Unis Richard Nixon qui décide, le 15 août 1971, de «suspendre» la convertibilité du dollar américain en or. Ce putsch, qui enterre le système monétaire international mis en place en 1944 à Bretton Woods, ouvre en grand le robinet de la liquidité. La dépréciation du billet vert, jusque la regardé comme « aussi bon que l’or », provoque par ricochet les deux premiers chocs pétroliers, et la «stagflation» de la fin des années 70. L’intervention brutale, mais couronnée de succès de Réserve Fédérale des Etats-Unis, sous la houlette de Paul Volcker, pour reprendre le contrôle de l’inflation, ouvre «l’âge d’or» des banques centrales, qui est peut-être en train de s’achever sous nos yeux. Le marché des changes flottants, global, instantané, doté d’un appétit glouton en innovations technologiques, est la matrice des marchés financiers modernes. En faisant entrer sans retour les Etats-Unis dans l’ère des «déficits sans pleurs» (Jacques Rueff), Nixon a surtout semé les germes des «déséquilibres globaux» où s’alimentent les crises financières à répétition depuis le début des années 80.
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Dette
Elle est souveraine quand elle est émise par des Etats, pour financer les dépenses qu’ils ne veulent ou ne peuvent faire payer par les contribuables. Les rois et les princes s’adressaient aux banquiers comme les Fuger. Les départements du Trésor émettent des billets et surtout des obligations, d’une durée variable de quelques mois à trente, voire cinquante ans. James Carville, stratège des campagnes électorales de Bill Clinton, souhaitait se réincarner en marché obligataire car «vous pouvez intimider tout le monde». Le marché de la dette publique américaine est le modèle des marchés obligataires, profond, liquide, réputé sans risque. Les bons du Trésor américains fournissent les références pour l’étalonnage des dettes, celles des Etats fédérés, des municipalités, des entreprises…et des prêts hypothécaires. Même chose en Europe pour les bunds (Allemagne), les gilts (Royaume-Uni) ou les OAT (France). Cet étalonnage a fait la prospérité des agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch) qui attribuent des notes mesurant le risque qu’une dette ne soit pas remboursée. La meilleure signature reçoit un AAA et toute note inférieure à BBB - présente un niveau de risque significatif. Les agences sont au centre d’un conflit d’intérêt puisque elles sont rétribuées par les émetteurs des dettes. Elles portent certainement une responsabilité importante dans la formation de la crise des «subprime» puisqu’elles ont accepté de noter des produits financiers non seulement opaques dans leur composition, mais surtout détachés de l’émetteur originel. C’est ainsi que des investisseurs croyant acheter des dettes notées AAA se sont retrouvés propriétaires de «déchets toxiques», comme on dit à Wall Street.
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Désintermédiation
L’exemple est venu d’en haut. Comme les Etats, les autres catégories d’emprunteurs ont souhaité se passer de la médiation des banques pour financer leur activité, en émettant directement de la dette obligataire, négociable quotidiennement sur le marché. Longtemps réservé aux meilleures «signatures», les entreprises les plus solides, cet Eldorado a été ouvert aux communs des mortels par Michael Milken, l’inventeur des « junk bonds », obligations «pourries». Plus le risque de défaillance de l’emprunteur est jugé élevé, plus le rendement est important. Un jeu réservé en théorie aux investisseurs avertis… et aux poches profondes. Mais par le biais d’instruments divers, des crédits hypothécaires rechargeables aux cartes de crédit multiples, les ménages américains (mais aussi britanniques) sont entrés dans une économie de la dette, leur taux d’épargne étant proche de zéro, voire négatif. Le système ne peut fonctionner que si les gains virtuels sur une catégorie d’actif (les actions à la fin des années 90, l’immobilier américain jusqu’en 2006) apporte une garantie collatérale renforcée à cet endettement croissant. Que la bourse s’effondre, que le marché immobilier se retourne, sonne l’heure de vérité.
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Titrisation
Consiste à transformer n’importe actif (créance, immeuble, yacht, cheval de course, prêt immobilier évidemment…) en titre négociable sur un marché. Un gouvernement particulièrement impécunieux pourrait ainsi faire «titriser» ses futures recettes fiscales. Privées d’une part importante de leur activité commerciale classique par la désintermédiation, les banques ont trouvé dans la titrisation, pour le compte de tiers, un important relais de croissance. Mais aussi le moyen de replacer sur le marché une partie de leur portefeuille de prêts, en transférant le risque aux acheteurs de ces actifs.
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Effet de levier
Ressort essentiel du crédit. L’effet de levier est ce qui permet à une banque de transformer un euro de dépôt en dix euros de crédits, en portant du postulat que les déposants ne retireront pas leur argent tous ensemble. Pour une banque commerciale classique, l’effet de levier est limité par les ratios de solvabilité (établis par les accords internationaux dits de Bâle I et Bâle II). En très gros, elle doit conserver des fonds propres équivalents à 8% de ses actifs. Mais ces contraintes réglementaires ne pèsent pas sur les nouveaux acteurs de la finance moderne (ou sur les structures créées hors bilan par les banques pour contourner ces normes). LTCM, le fonds spéculatifs sauvé in extremis d’une faillite retentissante en 1998, utilisait un effet de 20. CCC, le fonds immobilier du groupe d’investissement Carlyle mis en faillite par ses créanciers, avait emprunté 31 fois sa mise initiale. Dans un marché en hausse, l’effet de levier permet de magnifier les gains. Mais en cas de retournement, il amplifie les pertes de manière exponentielle. C’est le retour de manivelle, le «deleverage » qui touche l’un après l’autre les marchés de crédit aux Etats-Unis. Comment un accident sur un segment mineur des marchés de crédit, celui des crédits hypothécaires à risque aux Etats-Unis, peut-il ébranler la planète finance ? La réponse est dans l’effet de levier.
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Risque
Le risque a un prix, mesuré par la prime de risque, c’est-à-dire l’écart entre les conditions consenties à l’emprunteur le plus solvable et à ceux qui le sont moins. La juste appréciation du risque et sa valorisation sont, en théorie, au cœur du métier de banquier. L’idée forte de la finance moderne est la dispersion des risques, qui ne restent plus concentrés (jusqu’à maturité des emprunts) dans les livres des banques mais sont replacés auprès de milliers d’investisseurs, qui peuvent les échanger quotidiennement. Mais il arrive (souvent) que le marché apprécie mal le risque, en pêchant par optimisme (euphorie) ou pessimisme (panique). La quasi-disparition de la prime de risque sur une catégorie (on dit classe chez les financiers) d’actifs est le signe annonciateur d’une crise. Elle aboutit toujours à rétablir la dure réalité : le rendement d’un actif est fonction du risque. Rendement élevé et risque faible ne peuvent cohabiter durablement. Même l'ingéniérie financière la plus sophistiquée ne peut contredire durablement cette loi.
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Produits dérivés
Ainsi nommés parce qu’ils dérivent d’actifs dits sous-jacents, actions, obligations, baril de pétrole ou poitrine de porc. Quand ils permettent à un exportateur européen de se couvrir contre un risque de change sur la parité euro/dollar, ou à un céréalier de «verrouiller» le prix de sa prochaine récolte, les dérivés jouent un rôle utile. Et ancien, le premier marché de futures, sur le riz, étant probablement né à Osaka au 16ème siècle. Mais l’évolution technologique (capacité de calcul des ordinateurs et développements logiciels) ainsi que les mathématiques appliquées ont poussé les créateurs de produits dérivés de plus en plus loin de leurs bases. Avec deux conséquences : personne ne peut plus les suivre et ils ont fini par se perdre. Si le résultat est de permettre à un citoyen américain, sans revenu, sans emploi, et sans patrimoine de souscrire un crédit hypothécaire «ninja» (pour no income, no job, no assets), il y a quelque chose de pourri au royaume de la finance.
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Bulle
Bulle, manie, envolée spéculative : étape obligatoire dans le processus de fermentation d’une crise financière. Bulle boursière et immobilière japonaise des années 80, bulle Internet des années 90, flambée immobilière aux Etats-Unis des années 2000 : il y a toujours une (mauvaise) raison pour expliquer que, cette fois-ci, c’est différent, les arbres continueront de monter jusqu’au ciel. Exemple emblématique du «thème d’investissement» qui justifie des valorisations sans lien avec le réel : «la nouvelle économie».
La vocation naturelle d’une bulle, c’est d’éclater, avec un effet de souffle plus ou moins dévastateur. Il faudrait donc agir préventivement pour en empêcher la formation. Mais la question divise depuis des années les banques centrales, qui n’ont rien fait…dans le meilleur des cas.
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«Credit crunch»
Principal mécanisme transmission de la crise financière et bancaire à l’économie réelle. La contraction du crédit a d’abord une dimension comptable: les pertes subies par les banques réduisent mécaniquement leur capacité à prêter de l’argent, tant qu’elles n’ont pas reconstitué leurs fonds propres. D’où l’appel aux fonds souverains des pays émergents ou du Golfe émanant des institutions financières américaines (ou de UBS en Suisse) ou la recapitalisation lancée par la Société Générale après les énormes pertes provoquées par la fraude attribuée au trader Jérôme Kerviel. En outre, la prudence ou la méfiance s’installant, le durcissement des conditions de crédit touche progressivement toutes les catégories d’emprunteurs, même les meilleurs. Le phénomène s’autoalimente si le ralentissement de l’activité économique réduit la demande de financement des entreprises et des ménages. Après l’éclatement de la bulle spéculative au début des années 90, le système bancaire japonais a traversé presque une décennie de baisse ininterrompue de l’encours des crédits. Les Etats-Unis ont fait les premiers pas sur ce chemin dangereux. Par contre, la zone euro enregistrait toujours début 2008 une création de crédit supérieure à deux chiffres.
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Banque centrale
La mission première des banques centrales (y compris aux Etats-Unis) est de garantir la stabilité interne de la monnaie (en bon français, de lutter contre l’inflation) en contrôlant la création de monnaie. Pour cela, elles utilisent prioritairement l’arme des taux d’intérêts directeurs, dont le principal est le taux au jour le jour auquel les banques se refinancent auprès de la banque centrale. Les banques centrales, on ne le souligne jamais assez, ne peuvent pas fixer directement l’évolution des taux de marché, à moyen et long terme. Il n’y a pas de relation mécanique entre une baisse des taux directeurs et un repli des taux longs, ceux auxquels se financent pour l’essentiel les entreprises et les ménages. Au contraire, une politique monétaire jugée trop laxiste peut susciter la défiance sur la capacité de la banque centrale à maîtriser l’inflation et provoquer une tension sur les taux de marché. En période d’instabilité financière, la fuite «vers la qualité» poussant les investisseurs à se ruer sur les obligations d’Etat, peut provoquer une inversion de la courbe des taux, le moyen/long terme passant sous le court terme. Mais la défiance généralisée à l’égard de tous les emprunteurs autres que l’Etat fait les taux appliqués aux entreprises et aux ménages ne baissent pas. C’est ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis où les baisses successives des taux directeurs (celui sur les fonds fédéraux pourrait tomber à 1,5% avant l’été) n’ont apporté aucun soulagement aux emprunteurs.
Le spectre qui hante les nuits des banquiers centraux est celui du Japon, où l’éclatement de la bulle spéculative suivie d’une déflation massive des actifs boursiers et immobiliers, a transformé la politique monétaire en couteau sans lame. Les taux directeurs ne pouvant tomber plus bas que zéro, la Banque du Japon a eu recours à «l’assouplissement quantitatif », consistant à mettre des sommes colossales à disposition du système bancaire. Sans pour autant relancer la création de crédit : «on ne peut faire boire un âne qui n’a pas soif». Un proverbe traduisible dans toutes les langues, y compris en anglais (Etats-Unis).
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Liquidité
Elle circule avant tout sur le marché interbancaire, où les banques équilibrent quotidiennement leurs situations de trésorerie : celle qui a temporairement besoin d’argent est assurée de le trouver auprès d’une contrepartie, qu’elle remboursera plus tard. Parallèlement, les banques centrales évaluent au jour le jour les besoins de liquidité du système bancaire de leur juridiction, injectant ou retirant de l’argent, par l’achat ou la vente de titres aux banques. Le mécanisme repose sur la certitude qu’à la banque prêteuse que la banque emprunteuse remboursera. Que cette confiance disparaisse, et le marché interbancaire peut connaître des tensions violentes (hausse des taux très au-delà de l’objectif fixé par la banque centrale), et même la paralysie. Depuis août 2007, les principales banques centrales ont dû intervenir à trois reprises (la dernière fois le 11 mars) pour éviter une telle trombose. Elle ont alors injecté des montants inhabituels (200 milliards de dollars le 11 mars, aux Etats-Unis). La Réserve fédérale américaine a en outre ouvert de nouveaux «guichets» pour permettre aux banques en difficulté de trésorerie de lui apporter des titres normalement inéligibles aux opérations de refinancement. C’est mettre le doigt dans un engrenage dangereux si cela signifie transférer des actifs de moindre qualité du bilan des banques à celui de la banque centrale. En outre, aucune injection de liquidité ne peut résoudre une crise de défiance, où la solvabilité des acteurs financiers est mise en cause.
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Assainissement
Quand la crise financière se transforme en crise bancaire, menaçant la stabilité ou l’existence d’institutions essentielles pour la bonne marche de l’économie, la priorité politique devient l’assainissement du système financier. Le rétablissement de la confiance, et donc de la circulation du crédit, en dépend. Ici encore, l’expérience de la crise japonaise est précieuse : après des années de mensonges sur le vrai niveau de leurs mauvaises créances, de plans de rééchelonnement des prêts à des entreprises «zombies», les banques japonaises ont été contraintes à une opération vérité à partir de 2002 par Heizo Takenaka, «l’épurateur» du gouvernement de Junichiro Koizumi. Les plus faibles ont été absorbées par les moins malades, la puissance publique ayant avancé des sommes considérables pour faciliter le nettoyage des bilans à la paille de fer. Si le pays n’a pas les ressources ou le ressort politique suffisants, l’issue est souvent le passage d’une partie plus ou moins significative du système financier sous contrôle étranger (Mexique, Chili, Corée du Sud, etc.). Les Etats-Unis ont commencé à goûter d’une politique qu’ils avaient recommandée chaudement aux pays émergents frappés par des crises financières quand des fleurons de Wall Street ont dû faire appel à des fonds souverains de pays émergents ou du Golfe pour renflouer leurs caisses vidées par la crise des «subprime». Mais cela pourrait bien ne pas suffire.
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Nationalisation
Vous êtes à la case Arrivée. La nationalisation temporaire partielle (ou presque complète dans le cas de la Scandinavie au début des années 90) du système bancaire a souvent été dans le passé le point de passage obligé vers la sortie de crise. La crise des Savings and Loans a coûté plus de 150 milliards de dollars aux contribuables américains au début des années 90. Le gouvernement britannique s’est finalement résigné à nationaliser la banque Northern Rock, victime l’été dernier de la première panique bancaire en Angleterre depuis le milieu du 19ème siècle. America Inc. devra inévitablement prendre en charge une partie du bilan des banques, comme avant-hier Nihon K.K., et dernièrement UK Ltd ou Deutschland Gmbh (cas de la banque IKB). Les plus récentes initiatives de la Réserve Fédérale des Etats-Unis sont un pas dans cette direction.