Économie et social Parti pris

Une occasion manquée

La crise financière mondiale aurait dû donner de l'ambition aux propositions de la présidence française de l'UE sur la régulation financière en Europe. A ce stade, il n'en est rien. Pour Nicolas Sarkozy, il n'est manifestement pas question de donner des pouvoirs supplémentaires à la Banque centrale européenne. Plus généralement, on peut craindre que dans cette présidence française, le faire savoir ne l'emporte sur le savoir-faire.

Philippe Riès

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Faisons un cauchemar. Dimanche 20 janvier 2008, dans la soirée, la poignée de responsables de la Société Générale, de la Banque de France et de la Commission Bancaire, qui ont identifié les 50 milliards d'euros de positions «non autorisées et dissimulées» prises par le trader Jérôme Kerviel, décident, après beaucoup d'hésitations, d'avertir l'Elysée. Ils demandent à leur interlocuteur une discrétion absolue.
Lundi matin, la banque française commence à déboucler les positions. Les conditions de marché sont détestables, les pertes, évaluées à 1,7 milliard d'euros dimanche soir, montent régulièrement. Mais le processus se déroule sans heurt. Les cessions respectent les volumes maxima autorisés sur les différents marchés concernés. Dans la déprime générale des bourses mondiales, l'opération passe inaperçue.
C'est mardi 22 janvier, à l'ouverture des places asiatiques, que les choses se gâtent. Un important fond spéculatif a commencé à jouer «court» l'action Société Générale et simultanément les indices boursiers européens sur lesquels Jérôme K. a pris ses énormes positions. Coïncidence ? C'est peu probable. L'alarme est venue de plusieurs banques américaines qui ont refusé de servir de contrepartie quand la SocGen s'est présentée sur le marché interbancaire européen. Le message qui remonte vers la direction générale de la banque est sans ambiguïté : la rumeur court sur le marché d'une exposition à d'énormes positions spéculatives qui ont mal tourné.
Dés lors, tout va très vite. L'action Société Générale s'effondre en quelques minutes et NYSE-Euronext décide de suspendre la cotation. A la Banque de France, le gouverneur Christian Noyer appelle la BCE à Francfort. Comme toutes ses homologues, la Société Générale est chaque jour prêteuse et emprunteuse de plusieurs dizaines de milliards d'euros sur le marché interbancaire. Qu'il se ferme et c'est la thrombose. En fin de matinée, un communiqué commun de la Banque centrale européenne et de la Banque de France affirme que le système européen de banques centrales met à la disposition de la banque française toutes les liquidités nécessaires, sans limites.
Mais c'est trop tard. Le mal est fait. Des files d'attente se forment devant les agences de la Société Générale, non seulement en France mais dans tous les pays à l'Est de l'Europe où la banque compte des millions de clients. La zone euro, pour la première fois de sa courte histoire, est confrontée à une crise bancaire systémique impliquant une grande institution ayant des activités transfrontalières.

Qui dit crise, dit gestion de la crise par l'autorité de surveillance. Petit problème : dans l'état actuel de la régulation financière en Europe, son identité, ses responsabilités et ses pouvoirs restent très mal définis. C'est cela qu'il faudrait changer, et très vite, pour prévenir une nouvelle crise ou y faire face dans de meilleures conditions.

La rancune de Sarkozy

Dans la réalité comme chacun sait, l'Elysée ne fut pas averti (et s'en trouva, dit-on, fort marri), la ministre des Finances Christine Lagarde, n'étant elle-même mise au courant que le mercredi 23 janvier, après le débouclage ordonné et complet des opérations, et à la veille de l'annonce publique par la Société Générale d'une perte de 4,9 milliards d'euros.

Manifestement rancunier, Nicolas Sarkozy demanda ensuite avec insistance la tête du PDG de la Société Générale Daniel Bouton, ce qui lui permettait au passage de caresser dans le sens du poil une opinion publique légitimement choquée par l'ampleur des pertes subies par la deuxième banque française. Lors de l'audition de Christian Noyer et du président de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) Michel Prada, des amis politiques de M. Sarkozy avaient même lancé l'idée d'imposer par la loi l'information du Président de la République et du gouvernement en cas de difficulté majeure dans une institution bancaire.
Ce comportement est évidemment révélateur d'une incapacité de la droite «illibérale» française à accepter l'indépendance de la banque centrale, qui lui a été imposée l'Union économique et monétaire...et endossée ensuite par le peuple français consulté par référendum. Il ne faut pas compter sur «Sarko l'Américain» (dixit Jean-Marie Colombani, qui en a même fait un livre) pour emboîter le pas au secrétaire au Trésor des Etats-Unis Henry Paulson, dont l'insistance à étendre les pouvoirs de surveillance de la Réserve Fédérale sur les banques vient prendre à contre-pied nos petits joueurs de fond de court.
Il y a, à l'opposé, la conscience manifeste, dans la haute administration française, que toute ambition excessive concernant la gouvernance de la zone euro paraîtrait suspecte à nos partenaires, à commencer par l'Allemagne qui n'a jamais digéré les tirades anti-BCE de Nicolas Sarkozy et de son porte-plume, l'eurosceptique Henri Guaino.
Mais cette approche minimaliste retenue pour le renforcement de la régulation financière en Europe, alors que la planète financière ne parvient pas à s'extraire de sa crise la plus grave depuis la seconde guerre mondiale, pose aussi une question d'ordre plus générale sur la présidence française de l'UE.

On semble avoir choisi d'afficher les ambitions les plus fortes dans des domaines où elles ont assez peu de chances de se matérialiser par des progrès tangibles, comme la politique européenne de défense. Et de jouer au contraire profil bas là où des choix concrets s'imposeraient pourtant : la régulation financière, mais aussi, au hasard, le «bilan de santé» de la Politique agricole commune (et son impact sur la structure future du budget de l'Union). Bref, les apparences plutôt que la substance. Mais, tout compte fait, est-ce bien surprenant ?