TVA sur la presse: François Hollande est saisi par des députés

Huit députés, de toutes tendances, en appellent dans une lettre au président de la République à propos des redressements de TVA discriminatoires visant la presse en ligne à travers Mediapart, Arrêt sur images et Indigo. Au nom d’une « République numérique porteuse d’un nouvel âge démocratique », ils lui demandent de suspendre les procédures de recouvrement en cours.

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La lettre a été déposée à l’Élysée jeudi matin 12 novembre. Son initiateur est Christian Paul, député PS de la Nièvre et, surtout, co-président de la Commission Numérique et Libertés de l’Assemblée nationale qui a récemment rendu un rapport unanime après un an de travaux (lire notre article ici). Outre quatre députés socialistes (Pascal Cherki, Laurence Dumont – première vice-présidente de l’Assemblée nationale –, Daniel Goldberg, Christian Paul) et un député écologiste (Sergio Coronado), ses huit signataires comptent aussi trois députés Les Républicains : Patrice Martin-Lalande (longtemps rapporteur budgétaire sur les questions de presse), Laure de la Raudière et Franck Riester (reconnus pour leur compétence sur les questions numériques).

Le président de la République est donc saisi par une initiative multipartisane, venue de parlementaires techniquement au fait du dossier qui, par conséquent, savent fort bien que la cause de l’égalité fiscale entre presse imprimée et presse numérique est juste. À l’heure de l’examen par le Parlement de la loi portée par la secrétaire d’État Axelle Lemaire qui entend promouvoir une « République numérique », ils appellent François Hollande à faire en sorte « que les actes ne s’éloignent pas des discours ».

Alors que, dans le cas de Mediapart, nous sommes sous le coup d’une sommation à payer 4,1 millions d’euros de redressement fiscal illégitime, injuste et incohérent (lire mon article ici), ce courrier informé ne se contente pas de démontrer notre bonne foi. Il prouve que, dans le contexte de l’ébranlement de la presse par la révolution numérique, notre position pionnière sur la neutralité des supports a permis de moderniser et de dynamiser le secteur. La balle est désormais dans le camp de François Hollande auquel les députés suggèrent trois scénarios de sortie de crise afin « qu’une solution juste soit trouvée sans retard avec l’aide du gouvernement ».

Voici la lettre :

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« Le taux de TVA de la presse est de 2,1 %, écrivent les huit députés. Celui de la presse en ligne était jusqu'en février 2014 étonnamment aligné, au plan européen et au plan français, sur celui des services en ligne de commerce électronique à 19,6 %, puis 20 %. Il en résultait une distorsion de concurrence évidente, mais surtout un obstacle aux développements des titres qui, de façon pionnière, avaient fait le choix d'une diffusion exclusivement payante en ligne. En 2014, le Parlement a enfin reconnu la neutralité des supports, en appliquant le taux réduit à tous les titres, qu'ils soient édités sur papier, en mode numérique, ou que leur diffusion soit mixte. La directive européenne de 1991, qui régissait la TVA, totalement dépassée par la révolution numérique, est elle-même remise en chantier sous les injonctions volontaristes du président Juncker. Plus généralement, la neutralité des supports est un principe de droit qui a heureusement cheminé au plan européen. »

Cette position de principe rappelée, les parlementaires abordent ensuite la question pendante du traitement « des années passées puisque ces médias en ligne ont défendu publiquement et appliqué le taux réduit, ce qui leur est encore aujourd’hui reproché ». « C’est pour eux à la fois une question de principe et un enjeu financier vital », écrivent les députés avant de développer trois arguments pour convaincre le pouvoir « d’aborder cette affaire équitablement et avec courage » : « 1. Partout en France et en Europe, cette différence de traitement [entre presse papier et presse numérique] est jugée absurde depuis de nombreuses années, à tous les niveaux. (…) 2. L’interprétation de la loi fiscale a été inutilement rigoureuse. (…) 3. L’ajout de pénalités considérables est réellement choquant. »

Les députés réduisent à néant l’argument fallacieux selon lequel nous nous serions « auto-appliqué » un taux réduit de TVA auquel, légalement, nous n’aurions pas eu droit. Tout au contraire, les huit signataires estiment que ce sont les pouvoirs publics (et, par voie de conséquence, l’administration fiscale) qui, jusqu’au vote de la loi de 2014, ne se sont pas mis en règle pour appliquer une égalité de traitement entre la nouvelle presse en ligne et l’ancienne presse sur papier. Leur lettre conforte donc la position exprimée de l’intérieur de l’administration fiscale par l’ancien patron de la DNEF (lire son expertise sur son blog) sur l’incohérence des redressements qui nous frappent. De plus, elle vient en appui du mémoire de nos avocats dont les arguments de droit et de fait ont été superbement ignorés par l’administration de Bercy (le lire ici).

« Dès leur origine, expliquent les parlementaires, les titres de presse en ligne sont des entreprises de presse avant d'être des services en ligne. La loi fiscale au taux plein aurait pu, aurait dû ne pas leur être appliquée. L’application de la loi française transcrivant une directive européenne, inopérante pour des raisons historiques évidentes, aurait dû emprunter un autre chemin. L’égalité devant la loi fiscale peut-elle être invoquée, quand la loi est archaïque et que son application sans discernement crée une réelle discrimination ? Il est urgent de porter remède à cette injustice. Notre République a, depuis le ХIХe siècle, réservé à la presse des droits particuliers, parce qu'elle sert la démocratie. S’en affranchir pour la presse en ligne est une erreur d’appréciation qui aurait dû être corrigée dès l’origine au sein même de l’administration fiscale. »

Monsieur le Président, la montre tourne

Pour les huit députés, aucun doute : la position de Mediapart, Arrêt sur images et Indigo, soutenue depuis le début par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), fondé en 2009, est juste depuis l’origine. Et, par conséquent, les redressements fiscaux prétendant nous appliquer rétroactivement une TVA à 19,6 %, puis 20 % jusqu’en février 2014, sont injustes. « Les points de vue défendus, résument-ils, ne laissent pas de place à la mauvaise foi, mais à des positions de principe, certes différentes des services fiscaux, mais auxquelles l’Histoire a donné raison. »

Comment en sortir ? Si ces députés, de droite comme de gauche, en appellent d’urgence au président de la République, c’est parce qu’ils considèrent que « le renvoi aux contentieux administratif, constitutionnel, et aux juridictions européennes, en raison de leurs délais de trop longues années, serait sans effet devant cette situation, inévitablement vécue par les intéressés et par l’opinion publique comme un inexplicable acharnement ». Aussi suggèrent-ils à François Hollande trois solutions de sortie de crise « qui ne sont pas exclusives les unes des autres » :

– soit le vote par le Parlement d’une « disposition interprétative » (qui rendrait caducs les redressements en cours, comme ce fut le cas, fin 2013, par un amendement du gouvernement qui effaça ainsi une dette de 4 millions du quotidien L’Humanité) ;

– soit l’examen positif par le ministère des finances d’un recours (hypothèse peu probable puisque, destinataire de nos mémoires en défense, il a validé, au plus haut niveau, ce mauvais coup fiscal) ;

– soit la désignation d’un médiateur entre l’État et les trois entreprises de presse concernées (comme ce fut, par exemple, le cas, sous l’égide de François Hollande à l’Élysée, pour le conflit entre les éditeurs de presse imprimée et la multinationale Google).

Il ne s’agit aucunement de demander un passe-droit, mais de mettre fin à un déni de droit. Faire prévaloir, comme le soulignent en conclusion de leur lettre les parlementaires, « les principes les plus essentiels, ceux de notre Constitution et du droit européen ». Faire respecter la parole présidentielle, d’un président à l’autre. C’est en effet au Palais de l’Élysée même que fut énoncé, en janvier 2009, par la voix de Nicolas Sarkozy, le principe d’égalité de droits entre presse numérique et presse imprimée : « Le statut d’éditeur de la presse en ligne ouvrira droit au régime fiscal des entreprises de presse (…). La France ne peut se résoudre à cette situation doublement stupide où la presse numérique est défavorisée par rapport à la presse papier, et la presse numérique payante défavorisée par rapport à la presse numérique gratuite. Cela n’a pas de sens. »

Cet engagement avait été formulé en 2008, l’année même de la création de Mediapart, deuxième journal en ligne payant après Arrêt sur images né en 2007, par les États généraux de la presse écrite (« Livre Vert » de ses conclusions à télécharger ici) :

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Il fut reformulé, devant l’impéritie des pouvoirs publics s’abritant derrière l’immobilisme européen, par l’ensemble des syndicats de presse français en 2011 (lire ici). Puis réitéré dans une déclaration commune solennelle de ces mêmes syndicats professionnels après l’annonce des contrôles fiscaux nous frappant fin 2013 :

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C’est grâce à cette protestation, légitimant a posteriori notre combat pionnier pour la reconnaissance de la presse en ligne, pour la promotion de son modèle payant, pour la neutralité des supports et l’égalité fiscale, que nous avons enfin obtenu la loi de février 2014 officialisant le même taux réduit de 2,1 % pour toute la presse. Pourtant rien n’avait changé, ni à Paris ni à Bruxelles. Seulement la prise de conscience par l’ensemble des éditeurs de presse, l’unanimité des parlementaires et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault de la justesse de notre position depuis l’origine.

« Cela n’a pas de sens » de discriminer la presse selon son support, disait hier Nicolas Sarkozy. Comme cela n’a pas de sens aujourd’hui de nous sanctionner pour avoir eu raison de mener ce combat, dont profitent aujourd’hui tous les éditeurs de presse, désormais convertis au modèle payant défendu depuis l’origine par Mediapart, Arrêt sur images et Indigo. Comme n’aurait pas eu de sens d’appliquer, lors des précédentes révolutions industrielles, la réglementation des charrettes à bras aux chemins de fer ou les lois des compagnies ferroviaires aux compagnies aériennes.

Monsieur le Président, la montre tourne. Les paiements réclamés par le fisc sont dus au plus tard lundi prochain, 16 novembre. Nous attendons impatiemment votre réponse.

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