Gardhimaou en Tunisie - Gourbi de Berre-l'Etang en France
Mission de soins et veille sanitaire auprès des travailleurs agricoles sans papiers. Médecins du Monde.
Plaine des Cravons, lieu dit «le Gourbi», un terrain vide désert isolé, deux amandiers, un chemin labouré une décharge agricole sauvage, des branches de fenouils fanés.
Des hommes tunisiens travailleurs agricoles vivaient là depuis vingt ans embauchés dans les serres régulièrement et «irrégulièrement», réserve de main-d'œuvre bas prix pour l'économie locale. Ils vivaient dans les caravanes écrasées par des bulldozers en juillet 2009 sur ordre de la sous-préfecture.
Les membres de l'équipe de la mission de soins et de veille Médecins du Monde étaient là, informés de l'arrestation des hommes à l'aube, tous relâchés dans les jours suivants après un séjour en centre de rétention.
Des jeunes Tunisiens étaient à nos côtés, tout juste arrivés de Gardhimaou ville de départ de cette migration, des jeunes partis de Tunisie un an auparavant, jeunes diplômés consternés d'assister au bout de leur route à la destruction de ce lieu de vie, but de leur périple. Ils sont passés de Tunisie en Libye ont attendu des semaines dans un hangar fermé nourris d'un bol de pâtes, se sont embarqués de nuit vers l'Italie, ont connu des mois de rétention à Lampedusa pour remonter clandestinement vers la France et le Gourbi de Berre. Ils ont pris le risque de mourir, d'autres sont morts.
Les consultations ont continué au bord de la route, nous avons reparlé du parcours, de la peur et de la mort. Ils nous ont répondu le refus de vivre sans avenir, sans travail malgré les diplômes, les faibles salaires, l'école des frères et sœurs à payer, le soutien des vieux à assurer, la corruption.
Nous leurs disions la France sécuritaire inhospitalière sans régularisation, le travail dur dans les serres sans protection et sous-payé et l'impossibilité d'accès aux droits aux soins médicaux, à l'aide médicale d'Etat, en raison des consignes données au CCAS de Berre de ne pas appliquer les lois sur le droit à domiciliation, malgré nos demandes et accompagnements réitérés et restés sans réponse du sénateur maire de Berre.
Ils étaient ancrés dans leurs choix, fiers de leur parcours, plein d'espoirs et convaincus qu'il fallait tenter la chance pour rester vivant.
Nous avons tous appris et vu les suicides et la mort des jeunes Tunisiens dans les petites villes de Tunisie, les mêmes jeunes éduqués diplômés sans travail ni ressources.
Témoins des deux côtés de la Méditerranée de la violence des politiques qui, au sud, détruisent la vision d'avenir de ses jeunes, au nord, dénient les droits fondamentaux des personnes, transforment les migrants en délinquants, en clandestins, bafouent les lois, votent des nouveaux textes législatifs restrictifs sur l'immigration dans une seule logique économique et sécuritaire.
Témoins de cette violence qui pousse des jeunes à prendre le risque de mourir, témoins de leur courage.
Comment accepter la compromission ou comprendre la logique de ces gouvernements sourds aux appels des jeunes à trouver un chemin riche d'espoir et de dignité.
Christine Larpin, responsable de la mission Gourbi
«Là-bas, on était comme des morts-vivants»
Annexes