Le système Airbnb exacerbe la crise du logement ? Le gouvernement détourne le regard

Trois amendements visant à supprimer la « niche fiscale Airbnb » ont été retoqués par le gouvernement dans le projet de loi de finances adopté cette semaine. Alors que de plus en plus d’élus locaux se plaignent des effets dévastateurs sur le marché du logement, le gouvernement rechigne pour l’instant à encadrer les plateformes.

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La location de meublés touristiques de courte durée, principalement sur Airbnb, s’est envolée ces dernières années en France, le pays étant même devenu, derrière les États-Unis, le deuxième plus gros marché de la plateforme.

Un développement qui a contribué à raréfier l’offre de logements dans les métropoles et les sites touristiques, a participé à l’explosion du prix des loyers et a entraîné un mouvement de spéculation immobilière.

L’attractivité des paysages et du patrimoine français n’est pas la seule explication à la spectaculaire progression de cette offre locative.

Comme le rappelait récemment la Fondation Abbé Pierre et un collectif d’élu·es dans une tribune à Libération, le tapis rouge fiscal déroulé aux plateformes a dopé l’essor de ce type de location et, même limitée à 120 jours par an depuis la loi Elan, la location de courte durée est, dans les zones attractives, devenue bien plus intéressante qu’une location à l’année.

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Manifestation devant le siège de Airbnb à Paris, le 16 octobre 2021. © Photo Marta Nascimento / REA

« C’est de très loin le meilleur placement », précise un conseiller fiscaliste joint par Mediapart qui détaille une législation ultrafavorable qui a attiré ces dernières années riches investisseurs et propriétaires désireux de faire le placement le plus rentable. « Selon l’article 35 du Code général des impôts, ce type de location est une activité commerciale quand la location nue, non meublée, est considérée comme un revenu foncier », souligne-t-il, avant de déplier la panoplie de dispositifs permettant d’obtenir un abattement sur les revenus de 71 % et, dans certains cas, d’échapper totalement à l’impôt.

En cas de cession, bingo : la législation sur les activités commerciales ne s’applique pas et le propriétaire pourra céder son bien sous le régime des plus-values immobilières des particuliers, beaucoup plus favorable. « Quand des clients nous appellent pour nous dire qu’ils paient trop d’impôts sur leurs revenus locatifs, nous leur conseillons de tout passer en meublés de ce type. Le rendement est maximal », raconte-t-il.

Débattus in extremis, juste avant que ne tombe le couperet du 49-3, trois amendements visant à mettre fin cette très généreuse « niche fiscale Airbnb » ont tous été rejetés cette semaine lors de l’examen le projet de loi de finances. Portés par Julien Bayou (Europe Écologie-Les Verts), Inaki Echaniz (Parti socialiste) ou encore Vincent Bru (MoDem), ils proposaient de mettre un terme à l’incroyable incitation fiscale en faveur de ce type d’offre locative.

Ils demandaient un alignement de la fiscalité sur la location classique. Une mesure de bon sens au moment où l’État cherche à faire des économies et alors qu’Airbnb ne paie pratiquement pas d’impôts en France (366 000 euros l’an dernier d’impôt sur les bénéfices). Une paille alors qu’avec près de 500 000 offres sur le territoire, l’Hexagone représentait en 2018 un marché de 9,2 milliards d’euros pour la plateforme américaine.

Pour le gouvernement, qui avait émis un avis défavorable à tous ces amendements de régulation en commission, il semble pourtant urgent d’attendre.

En séance, le ministre du budget Gabriel Attal a certes reconnu que « la airbnbisation d’un certain nombre de quartiers dans un certain nombre de grandes villes » était « un vrai sujet » mais a considéré qu’il y avait un risque, en adoptant ces amendements, de « taper des logements qui ne sont pas sur les plateformes. Par exemple les gîtes ruraux ».

L’argument des « externalités positives » reste un peu court

Alors que les député·es proposaient de voter un sous-amendement pour exclure lesdits gîtes, la discussion a tourné court et le rapporteur général Jean-René Cazeneuve a alors donné un nouvel argument. « Nous sommes conscients des excès, surtout dans les zones touristiques », a-t-il expliqué en défendant les avancées à ses yeux portées par la loi Elan : limitation du nombre de jours autorisés et obligation de se déclarer en mairie principalement. « Est-ce qu’il faut aller plus loin ? Peut-être. […] Il faut faire attention parce qu’il y a beaucoup de gens qui en profitent. Cela provoquerait un mini choc fiscal. »

L’argument des « externalités positives » a été maintes fois brandi par Airbnb et autres Booking. Leur essor ruissèlerait sur les localités avec les dépenses diverses faites par les touristes de passage et aurait même un impact sur l’emploi, avec le développement de nouveaux services comme les conciergeries.

Un argument que ne veulent plus entendre des maires qui voient leurs villes se vider de leurs habitant·es et assistent à la disparition, dans certains quartiers, des commerces de proximité qui n’intéressent pas les touristes.

L’idée du salutaire complément de revenu pour de petits propriétaires, avancée par le rapporteur général du budget au cours des débats (« N’oublions pas en effet que derrière cette plateforme géante, beaucoup de particuliers louent leur bien de manière épisodique, quelques semaines par an : cela les dépanne »), a aussi fait long feu.

« Des études sur Airbnb montrent que 72 % des logements proposés sur la plateforme appartiennent à 20 % des propriétaires qui louent bien souvent beaucoup plus que quatre ou cinq logements », souligne ainsi le député La France insoumise François Piquemal. 

Dans un rapport très complet, la Fondation Abbé Pierre rappelle d’ailleurs que le « modèle Airbnb » a bien participé « à la financiarisation du logement en facilitant l’utilisation du logement en tant qu’actif financier. Il a contribué à inciter les propriétaires à louer à court terme pour valoriser leur bien ».

Gain rapide, optimisation fiscale et régulation minimale, pourquoi s’embarrasser ? Airbnb bénéficie en France d’un statut privilégié difficilement explicable.

Dernier exemple en date, alors qu’il sera bientôt impossible de mettre en location des passoires thermiques (classées avec une étiquette F ou G), les propriétaires mettant en location meublée de courte durée seront, eux, exemptés de cette obligation.

« Un pur scandale », tonne Ian Brossat (Parti communiste), adjoint au logement à la mairie de Paris qui mène une guérilla depuis son arrivée en 2014 contre l’extension des plateformes, qui prive aujourd’hui la capitale de près de 20 000 logements.

Il juge s’être senti un peu seul dans cette bataille contre le rouleau compresseur de la plateforme américaine, avec un gouvernement n’avançant dans la – très faible – régulation que sous la pression d’élus locaux de plus en plus mécontents. « À l’échelle nationale, cela a été la course de lenteur. Il a fallu pas loin de deux ans pour obtenir les décrets d’application après la loi Elan », relève-t-il.

Pour lui, « les villes devraient pouvoir fixer la durée maximale de location d’un logement sur une année. Actuellement, la loi permet de louer son logement jusqu’à 120 jours par an, c’est trop. Dans les autres villes touristiques du monde, on n’est plutôt sur des durées de 60 à 90 jours, voire 30 dans un certain nombre de cas. La France est beaucoup plus laxiste que les autres pays européens ».

Un avis partagé par Renaud Payre, vice-président chargé du logement à la métropole lyonnaise, qui vient de mettre en place un arsenal de mesures pour contenir l’expansion de ces locations de courte durée. « Le but est d’agir préventivement avant qu’on n’atteigne la situation de Paris », explique-t-il, en soulignant que dans la métropole, des quartiers populaires comme à Villeurbanne commencent à être attractifs pour ce type de location, du fait de la présence du métro.

Le ministère en pleine réflexion

Autre problème auquel sont confrontés les élus désireux d’encadrer cette pratique : les contournements incessants et la faiblesse des contrôles. Paris, qui a désormais une équipe d’une trentaine de personne dédiées à ces sujets, a récemment fait condamner Airbnb à une amende de 8 millions d’euros pour non-respect des obligations de déclaration sur ses annonces en ligne et Lyon vient de se doter d’une équipe de six personnes pour surveiller la régularité des annonces en lignes. Mais tout cela reste quelque peu artisanal.

La question dépasse, en tout cas, les clivages politiques habituels. Alors qu’il s’agit au départ d’une initiative d’élu·es de gauche, de plus en plus de maires de droite, dans les zones tendues, commencent à essayer de limiter l’expansion de ces locations, comme à Biarritz, aux Sables-d’Olonne ou à Saint-Malo…

Chez Olivier Klein, on indique que le sujet est « une forte préoccupation du gouvernement notamment pour les zones littorales et les zones de Montagne, c’est pourquoi nous réfléchissons à étendre les dispositifs déjà existants dans les métropoles à ces zones ». L’entourage du ministre délégué au logement et à la politique de la ville fait aussi savoir qu’il travaille à appliquer les mêmes mesures visant les passoires thermiques aux plateformes.

La fiscalité de ces locations fait pour l’instant l’objet d’une « réflexion ». Une « réflexion » qui relève surtout de Bercy, qui attend les conclusions définitives d’un rapport de l’Inspection générale des finances sur le sujet. Le ministère assure que des changements devraient intervenir au début de l'année prochaine.

Ce qui pourrait faire avancer le gouvernement français est que, même au niveau de l’Union européenne, qui a longtemps défendu la non-entrave à l’activité économique des plateformes, le dogme est en train d’évoluer devant la crise de logement, qui devient, en Allemagne, en Espagne ou en France, de plus en plus criante.

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