A ma gauche, le front des opposants aux OGM, réunissant entre autres la Fondation Nicolas-Hulot (FNH), Greenpeace et France Nature Environnement (FNE). A ma droite, leurs défenseurs, où l'on compte notamment l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) et, dans une certaine mesure, la FNSEA.
Surprise... Tous se disent plutôt rassurés par la nouvelle loi sur les OGM définitivement adoptée par le Parlement, jeudi 22 mai. «Cette loi limite la casse, je ne suis pas catastrophé, explique Arnaud Apoteker, responsable de la campagne OGM de Greenpeace. Elle ne change pas énormément de choses, ce n'est pas un chèque en blanc.»
Porte-parole de FNE, mais aussi avocat et donc futur praticien de la loi dans les prétoires, Arnaud Gossement, de France Nature Environnement, soupire : «On a passé des heures entre militants à essayer de savoir quel bilan on tirait de la loi...» De son côté, Jean-Paul Besset, porte-parole de FNH, considère que «la loi ne nous satisfait pas en tant que telle car elle n'interdit pas les OGM mais elle est plutôt protectrice, hérissée de points qui ont pour objet de dissuader les producteurs».
Pour Luc Esprit, directeur général de l'AGPM, auteur de plusieurs propositions d'amendements, «mis à part quelques réserves, la loi crée une situation préférable». Producteur de maïs OGM depuis dix ans dans le Lot-et-Garonne, Claude Ménara est l'une des bêtes noires des écologistes. Il considère ainsi cette nouvelle situation: «La loi va nous permettre de produire encore plus et dans le respect de l'environnement». Mais il ajoute : «Ce n'est pas parce que la loi est votée que la France va se couvrir d'OGM.»
C'est également ce que déclare le porte-parole de Greenpeace: «Je ne considère pas qu'avec cette loi, on sera envahi d'OGM.» Pascal Ferey, président de la commission environnement de la FNSEA et vice-président du syndicat agricole, conclut : «La loi correspond aux attentes des agriculteurs, qu'ils soient pro ou anti-OGM.»
Les désaccords entre pro et anti demeurent. Alors, pourquoi ce relatif consensus? L'effet magique du Grenelle ? Plutôt le soulagement pour les uns et les autres de constater que la partie adverse ne l'a pas nettement emporté. Le débat parlementaire a surtout permis d'éliminer du projet de loi les dispositions les plus conflictuelles.
Bilan: la loi modifie peu l'encadrement de la culture et des essais d'OGM en France. «Sur le fond, il n'y a pas de changement majeur, constate Antoine Messéan, chercheur à l'Inra, auteur d'une étude de référence sur la coexistence entre maïs OGM et non-OGM. Les gens s'étaient mis en tête qu'il n'y avait pas de réglementation sur les OGM, mais c'est faux. Il y avait déjà eu une directive européenne en 1990, retranscrite en 1992. En 2003, la traçabilité et l'étiquetage sont devenus obligatoires. Le dispositif d'évaluation des OGM était déjà strict, plus exigeant que pour l'agriculture conventionnelle.»
Que dit la loi?
Que dit la loi ? Elle transpose deux directives européennes : la 2001/18 sur la dissémination d'OGM et une partie de la 2004/35 sur la responsabilité environnementale. Elle organise la coexistence entre cultures génétiquement modifiées et cultures conventionnelles. Ce principe de coexistence est au cœur de la controverse sur les OGM. Pour les écologistes, où il y a OGM, il y a forcément dissémination et donc contamination de l'environnement. A l'inverse, les défenseurs des biotechnologies estiment que des mesures de précaution (distances entre les cultures essentiellement) suffisent à protéger les unes des autres.
Premier apport de la loi : la localisation exacte des parcelles de cultures OGM et la publication de ces informations sur les sites Internet des préfectures. Les producteurs doivent également avertir leurs voisins directs avant de semer. Jusque-là, le public ne pouvait connaître que les cantons dans lesquels se trouvaient des champs d'OGM.
«C'est un levier d'action très important car en cas de contamination, cela permet de savoir d'où elle vient, analyse Arnaud Gossement, de la FNE. En Autriche, la localisation à la parcelle a conduit à l'élimination des OGM.» En contrepartie, la loi crée un délit spécifique pour punir les destructions de plants d'OGM (les militants parlent de «fauchages volontaires»): deux ans d'emprisonnement et 75.000€ d'amende.
La loi introduit une autre contrainte pour les producteurs d'OGM: l'obligation de prendre une assurance couvrant l'éventuel préjudice économique causé à des agriculteurs non-OGM, dont les cultures se retrouveraient contaminées. «Cela va plus loin que la directive, qui ne l'impose pas, remarque Arnaud Gossement, mais cela fait reposer tout le poids du système de responsabilité sur l'agriculteur, ce qui n'est pas tout à fait juste.»
Troisième nouveauté: la création d'un Haut conseil des biotechnologies chargé de donner son avis sur les demandes d'autorisations d'OGM. Il est composé de deux chambres, un comité scientifique rendant des avis, et un comité économique, éthique et social publiant des recommandations. Le président du haut conseil doit être un scientifique reconnu par ses pairs. Ce haut conseil devra donner une définition du seuil de «sans OGM».
La notion de «sans OGM» a permis la grande innovation de la loi : la possibilité d'exclure la culture d'OGM de certaines zones géographiques. Parcs nationaux et parcs naturels régionaux peuvent interdire les OGM «avec l'accord unanime des exploitants agricoles». L'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) peut demander une protection particulière pour certains labels de qualité et appellations d'origine.
Surtout, les OGM «ne peuvent être cultivés que dans le respect de l'environnement et de la santé publique, des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production commerciales qualifiées sans OGM». C'est le premier article de la loi, résultant d'amendements proposés par les députés anti-OGM, André Chassaigne (communiste) et François Grosdidier (UMP).
La controverse du "sans OGM"
Quelle sera la portée réelle de ces dispositions ? Pour Michel Dupont, de la Confédération paysanne, la liste des labels de qualité sans OGM «dessine un maillage territorial fort (voir la liste complète dans l'onglet Prolonger), qui concerne notamment l'amidon, le maïs et la semoule, importants car ils entrent dans la composition de nombreux plats cuisinés». L'agriculture biologique, qui ne représente aujourd'hui que 2% de la surface agricole nationale, mais doit atteindre 6% en 2012, et 20% en 2020, conformément aux recommandations du Grenelle, devrait jouer aussi un rôle significatif.
Mais la loi ne définit pas ce qu'est le «sans OGM», renvoyant à une «définition au niveau européen» qui en réalité n'existe pas (le seul seuil défini par l'Union européenne concerne l'étiquetage obligatoire des produits qui contiennent au moins 0,9% d'OGM). Elle s'en remet à la voie réglementaire, sur avis du haut conseil.
Cette ambiguïté rédactionnelle rassure André Chassaigne, qui croit y voir «le fondement juridique pour la création d'un seuil officiel du "sans OGM"». Pour François Grosdidier : «l'important, c'est que la France va décider de son seuil et non en rester à 0,9% comme le demandaient les semenciers». C'est aussi l'analyse de Jean-Paul Besset de FNH : «Cet article inscrit dans la loi des raisons de refuser les OGM pour les zones de qualité et l'agriculture de terroir. Or dans notre balance commerciale, ce sont ces produits qui font la différence».
Toute la question, c'est donc désormais de fixer le niveau du «sans OGM». L'agriculture biologique l'établit à 0%, le sénateur Jean Bizet, ouvertement pro-OGM, souhaite qu'il soit de 0,9%. Les sénateurs Jean Muller et Fabienne Keller souhaitent qu'il corresponde au seuil technique de détection reproductible, soit environ 0,1%.
La loi est également muette sur d'autres questions sensibles: définition d'un seuil de contamination; définition de la distance d'isolement entre cultures OGM et non-OGM; conditions exactes de la responsabilité financière des producteurs d'OGM.
En attendant les décrets d'application...
Il reste maintenant à rédiger les décrets d'application de la loi. Selon Antoine Hoerth, rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, «ils ne seront pas rédigés avant la constitution de la Haute Autorité, et avant qu'elle n'émette ses avis sur le sans OGM et les distances entre les cultures. Ce ne sera pas avant janvier 2009».
«La patate chaude est renvoyée aux gouvernements futurs», estime Jean-Paul Besset, de la FNH. Mais, s'inquiète le sénateur Jacques Muller, «mon expérience, c'est que le lobbying associatif ne pèse rien par rapport au lobbying industriel. Il y a des groupes de pression plus que vigilants sur leur périmètre.» Arnaud Gossement, de FNE, familier des prétoires, remarque que «le problème, c'est que tout ce qui n'est pas décidé dans la loi devra être arbitré par les juges. Le bon débat de société ne se fait pas dans les tribunaux.»
La loi demeure imprécise sur les rapports entre autorités politiques et scientifiques. «Beaucoup va dépendre de la composition du Haut conseil des biotechnologies, avec des personnes sérieuses... ou pas», analyse Pierre-Henri Gouyon du Muséum d'histoire naturelle, qui pointe le rôle central que seront appelés à jouer les scientifiques. Au final, la loi fixe un cadre. Mais beaucoup reste aujourd'hui à faire.