Centres éducatifs fermés : le gouvernement s’entête malgré les alertes

Vitrine du gouvernement en matière de lutte contre la délinquance des mineurs, ces établissements alternatifs à la détention sont très bien servis dans le budget de la justice, examiné mardi par les députés. Vingt ans après leur création, leur bilan est pourtant critiqué de toutes parts.

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L’argent public, pour eux, coule à flots. Dans le budget de la justice pour 2023, examiné mardi par les député·es en commission des lois, les centres éducatifs fermés (CEF), qui accueillent des adolescent·es de 13 à 18 ans en conflit avec la loi (sous contrôle judiciaire, sursis avec mise à l’épreuve, etc.), voient leurs financements dopés : 39 millions d’euros sont dédiés aux CEF publics (pour 216 places en France), plus 84 millions pour les centres privés (460 places gérées par des associations). Et des inaugurations sont annoncées, un programme de création de 20 centres sur cinq ans ayant été lancé sous le premier quinquennat Macron.

Bref, une « belle » vitrine en matière de lutte contre la délinquance des mineurs. Mais l’investissement est-il bien choisi, alors que moins de 1 800 jeunes, l’an dernier, sont passés entre ces murs ?

« Ils ont bénéficié d’un encadrement extrêmement qualitatif », a déclaré une conseillère d’Éric Dupond-Moretti, fin septembre, à l’occasion d’un point de presse sur le nouveau Code de la justice pénale des mineurs. « La primauté de l’éducatif » pour endiguer la délinquance est mise en avant. Le satisfecit est complet. Pourtant, les CEF, qui fêtent pile leurs vingt ans d’existence en cette rentrée, ne manquent pas de contempteurs.

La Cour des comptes en 2014, l’Inspection générale des affaires sociales en 2015, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2018 puis en 2021, ainsi que de nombreuses missions du Sénat ont réclamé une évaluation sérieuse par le ministère de la justice, pointant tantôt la fragilité, tantôt le coût de fonctionnement faramineux du dispositif.

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Des mineurs placés en centre éducatif fermé à Saint-Brice-sous-Forêt, en juin 2015. © Photo Loïc Venance / AFP

Dans le dernier rapport publié fin septembre, des sénateurs de gauche comme de droite dénoncent une « focalisation trop importante sur les CEF », accusée de « nuire aux autres solutions » proposées par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Si « certains [centres] sont présentés comme des modèles », « d’autres ont dû être fermés du fait de graves défaillances dans la gestion des jeunes », s’inquiète la sénatrice socialiste Laurence Harribey. Les auteurs réclament donc une « réorientation » des moyens prévus pour les nouveaux centres.

« Sur le papier, un CEF offre un véritable accompagnement : une équipe de 17 à 18 professionnels éducatifs se relaie 24 heures sur 24 auprès de 8 à 12 jeunes avec une équipe médicale et un enseignant », rappelle Abdelrezeg Labed, secrétaire national FO-PJJ, dont l’organisation syndicale n’est pas en soi opposée à l’existence des CEF. Mais la réalité est moins reluisante. « La crise est systémique, dit-il. Aussi bien dans le public que dans l’associatif habilité, malgré un énorme déploiement de moyens. »

De tous les dispositifs mis en œuvre par la Protection judiciaire de la jeunesse (qui voit ses moyens augmenter de 10,4 % en 2023), les placements en CEF sont les mieux dotés. Alors qu’ils concernent moins de 2 % des mineur·es pris·es en charge par la PJJ au pénal, leur coût représenterait 14 % des moyens alloués à la PJJ pour la mise en œuvre des décisions judiciaires.

Le prix de revient à la journée, dans les centres associatifs, atteint ainsi 587 euros par jeune, alors qu’il serait d’environ 30 euros en « milieu ouvert », selon le SNPES-FSU. Ainsi, le CEF « nouvelle génération » d’Épernay, inauguré en janvier, fonctionnera avec un budget annuel de 2 millions d’euros pour 12 jeunes.

« Ça coûte un pognon de dingue, comme dirait notre président, raille Pierre Lecorcher, co-secrétaire national de la CGT-PJJ. Et pourtant qu’ils soient privés ou publics, les CEF ne fonctionnent pas ou alors très temporairement. »

Moins de cinq heures de cours effectifs par semaine

Conçus comme une alternative à la prison, les CEF en sont devenus l’antichambre. Le taux d’incarcération après un passage en CEF serait de 70 %, estiment certains syndicats. La Contrôleure générale dresse un constat au vitriol sur le volet scolaire et sanitaire. Dans son rapport de juillet 2021, elle estime que les enfants placés en CEF bénéficient souvent de moins de cinq heures de cours hebdomadaires effectifs, y compris pour les mineur·es de moins de seize ans, alors que le raccrochage scolaire fait partie du cahier des charges.

Par ailleurs, si plusieurs CEF bénéficient de pôles sanitaires efficaces, la prise en charge reste « sommaire », voire « insuffisante » pour « des enfants dont l’état de santé est souvent dégradé par l’errance, les addictions, la négligence ou l’éloignement durable des soins ». Sans surprise, « certains enfants soumis à des traitements sédatifs au long cours n’ont pas accès à un suivi psychiatrique adapté ».

Quant au volet éducatif pur, vanté par la chancellerie, il est fragilisé par des problèmes massifs de recrutement, quand il n’est pas défaillant. « Dans chacun des 18 CEF publics, 8 à 12 postes d’éducateurs spécialisés sont vacants, explique Pierre Lecorcher. Des contractuels viennent en pompiers, rarement formés, précaires, pressurisables. » Dans le privé aussi, l’absence de collectif, de continuité éducative et la dureté des conditions de travail ont rapidement raison des meilleures volontés et transforment l’accompagnement en gardiennage, et le CEF en cocotte-minute.

La Contrôleure générale insiste sur la nécessité que les équipes soient « empreintes d’empathie, de compréhension, de patience », car « la dynamique du groupe peut être toxique, les différends ou les conflits latents pouvant être exacerbés par la promiscuité ».

D’abord des enfants en danger

Si les jeunes peuvent être placés jusqu’à six mois, la durée effective moyenne n’atteint pas quatre mois sur le premier semestre 2022, alors même que « la durée permet le développement de la relation éducative, la construction d’un projet d’insertion sociale, scolaire et professionnelle, et la préparation de la fin du placement, en lien avec sa famille », rappellent les documents budgétaires eux-mêmes.

« Un enfant en situation de délinquance est d’abord un enfant en danger, juge ainsi nécessaire de rappeler Jacqueline Francisco, secrétaire générale du SNPES-FSU. Les jeunes que nous rencontrons ont tous et toutes des histoires fracassées. » Deux enfants sur trois ont en effet un parcours d’enfant protégé par l’Aide sociale à l’enfance. « Très souvent la violence est omniprésente dans leur vie. Être dans le rapport de force avec eux, c’est trop dommageable, car ça génère encore plus de haine contre la société. »

Sur le terrain, les dysfonctionnements sont donc légion. Mediapart documentait en juin les dingueries du CEF associatif du Pionsat en Auvergne. Depuis la publication, l’établissement a été vidé de ses occupants, et la filiale du groupe SOS y accueille désormais des enfants placés.

En juin encore, le CEF de Cambrai a connu un événement dramatique, quand un adolescent de 14 ans s’est pendu. En août, le CEF de Châtillon-sur-Seine a été fermé temporairement après des mois d’alertes syndicales – des enquêtes sont en cours.

Sauf exception, les CEF sont en état de mort cérébrale.

Abdelrezeg Labed, représentant Force ouvrière

Enfin, à Beauvais, la situation est explosive. Le symbole est fort, car le centre, premier inauguré en 2003, a longtemps été la vitrine du dispositif. « Les drames n’y sont pas médiatiques, mais ils sont personnels, constate Claire Drouhin, éducatrice PJJ en milieu ouvert et secrétaire régionale Grand Nord du SNPES-FSU. Des témoins nous racontent des enfants livrés à eux-mêmes, des contentions, des coups, des insultes permanentes, un professionnel qui tient la tête de l’enfant au-dessus de la cuvette des toilettes pour le calmer. »

Dès le mois de janvier, la syndicaliste a signalé les faits à la procureure de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale – qui oblige tout fonctionnaire ayant la connaissance d’un crime ou d’un délit à saisir la justice. En juin, sa direction régionale lui a emboîté le pas. La procureure de la République a confirmé à Mediapart avoir confié une enquête au commissariat de Beauvais. L’arrivée de trois nouveaux éducateurs titulaires début septembre n’aurait pas inversé la tendance. Selon nos informations, l’un d’eux a été agressé, les deux autres ont été arrêtés au bout de 15 jours.

Mais le gouvernement fait la sourde oreille et poursuit son programme de développement comme si de rien n’était. « En cas de défaillance ou de dysfonctionnement, l’administration minimise, elle lance un audit, dit que c’est conjoncturel, licencie les contractuels. Mais sauf exception, les CEF sont en état de mort cérébrale », regrette Abdelrezeg Labed de Force ouvrière.

La CGT, elle, réclame le retour d’un grand service de la protection de l’enfance, qui mette un terme à l’externalisation des missions régaliennes de la PJJ vers de grandes associations jugées proches du pouvoir. Tandis que le SNPES, opposé à « la philosophie répressive à l’origine de la création des CEF », demande leur fermeture et leur conversion en foyers d’accueil bien dotés. Leur détermination n’a pas encore entamé le blindage de ces établissements qui semble à toute épreuve.

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