Olivier Klein a finalement renoncé. Le ministre délégué au logement et à la ville avait assuré qu'il n’y aurait « aucun enfant à la rue cet hiver ». Une promesse qui collait mal avec l'annonce simultanée de la suppression de 14 000 places d'hébergement d'urgence prévue dans le budget 2023. Sous la pression, Olivier Klein a finalement annoncé vendredi à l'AFP qu' « après un gros travail entre le gouvernement et la majorité gouvernementale », le gouvernement avait « décidé de réinscrire 40 millions d'euros sur le budget 2023 sur l'hébergement d'urgence. Ça correspond à une stabilisation du nombre de places pour l'année 2023. Donc la baisse qui était annoncée est supprimée ».
Depuis la rentrée, près de deux mille enfants dorment dans la rue, selon la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), faute de places en hébergement d’urgence, accessibles lorsque l’on appelle le « 115 ». Un chiffre qui a presque doublé depuis l’an dernier, et qui ne prend donc pas en compte tous ceux qui se sont découragés de contacter un service notoirement engorgé. La Fondation abbé Pierre estime que 300 000 personnes sont actuellement sans domicile en France, et parmi elles des milliers d’enfants.

Dans ce contexte, la décision de supprimer sept mille places d’hébergement d’urgence d’ici la fin 2022, puis sept mille supplémentaires en 2023, passait évidemment très mal. Lors de l’examen du budget pour 2023 à l’Assemblée nationale, la majorité s’est d’ailleurs fracturée sur le sujet, avec près d’une quarantaine de députés Renaissance soutenant l’amendement de Stella Dupont visant à revenir sur ces suppressions. La députée du Maine-et-Loire avait alors alerté sur la situation à Angers, où plusieurs familles dorment dehors, l’hébergement d’urgence étant saturé.
Des économies sur le dos de l’hébergement d’urgence
Le gouvernement avait rappelé que le nombre de places en hébergement d’urgence était, avec près de 200 000 places disponibles, à un niveau historique, après les efforts consentis pendant la crise du covid. Sans convaincre pour autant sur la nécessité de les faire diminuer, alors que les besoins sont tels que ce chiffre est déjà insuffisant.
Au moment où l’inflation fragilise les ménages et où les factures énergétiques vont exploser, mettant certains locataires dans la difficulté pour payer leur loyer, la volonté de faire des économies sur le dos de l’hébergement d’urgence était difficilement compréhensible.
À la veille de la trêve hivernale, mardi 1er novembre, le ministère avait présenté les contours de son « dispositif hivernal » pour tenter de déminer la polémique naissante.
Le cabinet d’Olivier Klein a expliqué que le ministre avait écrit aux préfets le 16 octobre pour « une limitation très franche, voire absolue des expulsions locatives sans solution d’hébergement ». Une consigne qui, quinze jours avant la trêve hivernale qui interdit ces expulsions, ne coûte pas trop cher.
Si cette politique avait marché, il y aurait moins d’appels au 115 et là on pourrait fermer des places d’hébergement.
Le ministère assure aussi qu’un « suivi très fin » des impayés locatifs a été mis en place, avec, pour ce qui concerne l’envol des tarifs de l’énergie, une attention particulière mise sur l’application effective du bouclier tarifaire. Pas question, pour l’instant, de revoir à la hausse le chèque énergie, d’un montant variant de 100 à 200 euros selon les revenus, et dont les associations ont déjà dénoncé l’insuffisance pour les ménages les plus en difficulté.
Concernant les familles avec enfant(s) qui dorment aujourd’hui à la rue, « un dispositif de suivi en format cellule de crise a été mis en place », explique le cabinet d’Olivier Klein. Pilotée par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), qui travaillera avec les préfets et les acteurs de l’hébergement d’urgence, cette cellule aura la charge de trouver des solutions pour ne laisser aucun enfant dormir dehors cet hiver.
Sur le fond, le ministère avait tenté de justifier la baisse des places en hébergement d’urgence en défendant sa politique dite du « logement d’abord », lancée lors du premier quinquennat, et qui consiste à essayer de proposer, en priorité, une solution de logement pérenne aux personnes sans domicile fixe, sans passer par le chaotique parcours habituel de l’hébergement transitoire. Une politique historiquement défendue par les associations comme la Fondation abbé Pierre, au motif que le logement stable est la condition nécessaire à toute politique d’insertion sociale.
En ligne de mire du gouvernement : la réduction de l’hébergement à l’hôtel, coûteux et particulièrement compliqué à vivre pour les familles. Avec la fin de la pandémie et la reprise du tourisme, de nombreux hôtels ont, de toute façon, choisi de reprendre leur activité commerciale, ce qui explique, pour une part, la décision du gouvernement, qui n’a pas d’autres solutions à proposer dans l’immédiat.
Du côté d’Olivier Klein, on se félicite d’une politique du « logement d’abord » qui « a porté ses fruits avec, depuis 2018, 400 000 personnes qui ont eu accès à un logement social ou un logement d’accompagnement », dans des pensions de famille ou dans le parc privé, grâce à l’intermédiation locative (la sécurisation des loyers par un tiers).
Fort de ce qu’il considère comme un succès, le ministère s’apprête donc à présenter un deuxième plan quinquennal « logement d’abord », et 44 millions d’euros vont être fléchés pour 2023 vers cette politique. Une autosatisfaction qui heurte pourtant, au regard de l’embolie autour du « 115 » et du nombre de personnes à la rue.
« Si cette politique avait marché, il y aurait moins d’appels au 115 et là on pourrait fermer des places d’hébergement… Mais c’est l’inverse qui se produit », déplore Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation abbé Pierre.
Le ministère invoque des « causes conjoncturelles »
Les coupes budgétaires dans le logement social depuis 2018, amputé de 1,5 milliard d’euros chaque année depuis la mise en place de la RLS (la réduction de loyer de solidarité imposée aux bailleurs pour compenser la baisse des aides personnalisées au logement – APL), ont conduit à une importante baisse de la construction, alors même que les demandes explosent.
Questionné sur la sollicitation toujours plus pressante du « 115 », qui ternit quelque peu le bilan du plan « logement d’abord », le ministère répond qu’il va s’atteler à comprendre d’où viennent « ces besoins ». « C’est effectivement quelque chose qu’on doit travailler avec les acteurs pour les objectiver au mieux », répond l’entourage d’Olivier Klein, qui annonce la création prochaine d’un « Observatoire des besoins ».
Parmi les pistes avancées par le ministère pour expliquer cette hausse des demandes non pourvues en hébergement d’urgence, il y aurait des causes conjoncturelles, comme « les impacts résiduels de la crise sanitaire sur les vies de famille, les décohabitations, les divorces », mais aussi « les crises géopolitiques que l’on connaît », notamment la guerre en Ukraine, avec un afflux de population qui a mis en tension tout le secteur.
En attendant que la conjoncture évolue, le gouvernement n’a pour l’instant nulle intention de revenir sur la procédure d’expulsion accélérée en cas de squat adoptée l’an dernier. « Nul ne peut s’exonérer du respect du droit de propriété », explique le député porteur de la loi, Guillaume Kasbarian (Renaissance). Y compris en plein hiver, puisque la trêve ne s’applique pas aux occupations illégales. Une priorité qu’il faudra assumer si des familles continuent à ne pas trouver de place en hébergement d’urgence cet hiver, malgré le maintient des places au niveau de 2021.